top of page

78

4 octobre 2018

Du brame et de la brume 

Douceur d’octobre…

 

Adainville est le parfait petit village rural de carte postale. A peine 800 habitants. Pas du réseau dans toutes les rues. Mais un calme omniprésent. La description n’a évidemment rien de péjorative : on adore !

 

Sur le faîte de l’église, trois Rougequeues noirs sont posés. L’un d’eux chantonne quelques notes. Peut-être des oiseaux autochtones attendant de partir sous des cieux plus cléments. Ou des oiseaux de passage – l’espèce migre majoritairement entre la fin de septembre et les deux premières décades d’octobre.

 

Les Rougegorges semblent omniprésents. Partout autour de nous, des oiseaux lancent à la volée leur plainte flûtée et mélancolique. Partout des cris de contacts d’oiseaux invisibles naviguant dans les buissons environnants. Et le rire du Pic vert qui éclate.

 

Dans la demi-heure avant que l’horizon n’avale le disque solaire, des paquets de boules de plumes volent tous azimuts. Des Bergeronnettes grises rejoignant un dortoir. Des Chardonnerets élégants, Linottes mélodieuses – et même un Serin cini – profitant des dernières minutes de clarté pour picorer au pied des bouquets de graminées.

 

Et l’appel roulé de l’Alouette des champs dont les mouvements vers le sud viennent de débuter. Migrant principalement la nuit, des centaines de milliers d’alouettes vont bientôt passer au-dessus de nos chaumières. Parfois haut. Des groupes plus ou moins importants. Assurant la cohésion du groupe par l’émission régulière de cris audibles du sol. Les effectifs vont augmenter durant tout le mois et culminer dans la région entre la fin octobre et le début de novembre.

 

Le groupe au complet s’élance sur un chemin forestier. Une côte pour nous plonger immédiatement dans le bain. En sous-bois, les Rougegorges semblent ici aussi occuper chaque arpent. Les oiseaux nordiques sont arrivés nombreux pour la mauvaise saison. Comme chaque année à cette même période. Les Grives musiciennes s’activent également. Des « psitt » caractéristiques tombent depuis le sommet des arbres.

 

Et la brume monte…

 

La pénombre nous encercle déjà lorsque nous nous arrêtons pour casser la croûte. Nous ne sommes plus que des silhouettes sombres. Sans couleur. Le blanc des yeux contrastant encore avec le reste. Un peu comme dans une bulle de bandes dessinées lorsque la lumière s’éteint – seuls les yeux trahissent les personnages invisibles. Et c'est généralement à ce moment là que le scénariste prévoit le hurlement qui effraie tout le monde.

 

Point de hurlement cette fois.

 

Mais un simplement hululement. Une Chouette hulotte – dans la parcelle proche. Un chant empreint de magie dans le silence de la nuit. Loquace, le rapace appelle à de nombreuses reprises. Pas un souffle d’air. Pas un mouvement de la végétation. Véritable arrêt sur image. Les sons voyagent sans entrave ce soir. Le ciel clair, l’air pur portent les voix sur de grandes distances.

 

A 20h25, le premier coup de gueule est entendu. Au bas de la colline. Dans la vallée – proche de la rivière. Un cerf bramant à près de deux kilomètres de là. Sur notre droite – vers l’est.

 

La soirée est lancée.   

 

Nous engageant dans la pente, nous quittons le plateau pour la vallée. Les faisceaux des lampes torche nous ouvrant un chemin empierré. Et assez raide. Loin devant sur notre gauche le cerf poursuit ses exercices vocaux. Imité derrière nous par la Chouette hulotte décidément bien en voix ce soir.

 

Lorsqu’un second cerf se manifeste sur notre gauche. Dans la vallée lui aussi. Un bon kilomètre sépare les deux animaux. Le cheminement se poursuit. Dans l’obscurité, trouée par nos lumières. Dans les parcelles à notre passage, des animaux se déplacent. Bruit de pas. Frôlement de branches basses. Froissement de fougères sèches. Rien de visible. Uniquement la bande son. Une biche, un chevreuil – qui sait ?

 

Arrivée dans une belle lande de bruyère, le ciel s’ouvre brusquement. La nuit maintenant bien noir est percée de centaines de points brillants. De diverses intensités. Véga au zénith, Altaïr et Déneb toutes proches forment le triangle des belles d’été. La Grande Ourse, l’étoile polaire. Le « W » de Cassiopée sur l’horizon nord. De l’autre côté, la constellation du Sagittaire avec au centre du moment, la star – terme fort peu approprié.

 

Fort peu approprié car la star de la nuit n’est pas une étoile. Mais une planète. Disque nettement discernable. Eclat fixe car n’émettant pas de lumière mais reflétant simplement celle du soleil. Saturne et ses anneaux constitue un spectacle de choix dans la lunette d’observation. Toutes les trois ou quatre minutes, il est nécessaire de corriger l’alignement : la rotation de la Terre semble rapide lorsqu’on regarde à travers un oculaire.

 

Et cet objet lumineux ? D’aspect curieux, il clignote. Et paraît mobile… D’un mouvement indépendant des autres astres.

 

On appelle ça un « avion » : A-V-I-O-N ! Une sorte d’étoile filante paresseuse… filant à faible allure jusqu’à Orly !

 

Une vraie étoile filante zèbre tout à coup le ciel. Très fugace, le météore se désintègre dès son entrée dans l’atmosphère. Une traînée blanche d’une fraction de seconde. Si instantanée qu’elle s’évanouit avant que notre cerveau en ait pris pleinement conscience. Et au levant, Mars rayonne au-dessus des arbres. Répandant sa clarté rouge, elle est de loin l’objet le plus lumineux de la voûte céleste.

 

Lorsqu’un bon coup de gueule rompt le silence de la forêt après une demi-heure de calme. Un cerf bramant dans la grande propriété privée toute proche. Probablement tourné de notre côté, l’animal brame à pleins poumons. Et semble à deux pas. Une voix grave. Puissante. Qui impressionne lorsqu’on découvre le brame pour la première fois. On imagine le cerf la tête relevée. Les bois ouverts en couronne au-dessus de son dos. Bouche grande ouverte. Hurlant à la cantonade.

 

La température baisse nettement. Une fraîcheur humide tombe sur nos épaules. Au-dessus de la lande, une brume diaphane monte du sol. Et couvre rapidement les bruyères. Ambiance fantomatique – Halloween avant l’heure.

 

Pour nous trouver au plus près du cerf, et pour fluidifier notre sang refroidi, nous choisissons de descendre jusqu’à la rivière. Le chemin, encadré de propriétés privées nous mène rapidement au bord de l’eau. Ici, la brume couvre le sol sur une épaisseur de trois bons mètres. Nos respirations expulsent des volutes vaporeuses. La température perd encore un ou deux degrés.

 

Le cerf est proche. Le raire suivant nous le confirme : emplissant l’air, le son roule jusqu’à nous. Nous décoiffe, nous dépasse et s’enfuit au galop dans la nuit à l'assaut de la forêt. Puis de longues minutes de silence s’enchaînent. La pause se prolonge. Il est plus de 22h00 et les véhicules sont à deux bons kilomètres. Le temps de rebrousser chemin est venu.

 

La Chouette hulotte chante toujours. Nous offrant là un concert magnifique et inespéré. Au détour des chemins sableux, sortant brusquement de la nuit, de grands chênes se dressent régulièrement au-dessus de nos têtes. Des troncs de plusieurs mètres de circonférence. Des branches énormes, plus grosses que la plupart des arbres environnants.

 

Marchant vers l’ouest, nous entendons à nouveau le second cerf que nous avions sur notre gauche plus tôt dans la soirée.

​

Puis la nuit se referme. Les portières claquent (doucement). Les feux s'allument. Et les voitures s'éloignent. La soirée fut belle une nouvelle fois.

  

Liste des espèces

​

Oiseaux

Héron cendré, Bernache du Canada, Pigeon ramier, Tourterelle turque, Chouette hulotte, Pic vert, Pic épeiche, Alouette des champs, Corneille noire, Mésange charbonnière, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Rougequeue noir, Merle noir, Grive musicienne, Pouillot véloce, Roitelet huppé, Accenteur mouchet, Bergeronnette grise, Moineau domestique, Linotte mélodieuse, Serin cini, Pinson des arbres

 

Mammifères :

Cerf élaphe

 

Amphibiens :

Crapaud commun ou épineux

20180901-Carrefour du Haut Planet (11).J
bottom of page