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15 septembre 2022
Brame en forêt
de Rambouillet...
Une belle arrière saison…
Le mois de septembre est souvent très agréable, mais cette année, la torpeur de juillet et d’août se prolonge anormalement. Encore 28 degrés Celsius au cours de cette journée du milieu de mois et des nuits d’une douceur un tantinet anachronique. Ces considérations météorologiques sont certes mentionnées pour planter le décors, mais pas seulement. Car leur influence sur la nature en général et sur le brame en particulier est tangible. La fraicheur automnale est bien plus favorable...
A 19h00, plusieurs d’entre nous sont encore bras nus. Une petite brise souffle du nord-ouest et agite les houppiers. Le bruit des feuilles sèches qui s’entrechoquent au bout des branches jette sur la forêt un fond sonore qui risque de nous gêner dans l’écoute du brame. Nous ne pouvons qu’espérer que le calme revienne...
La marche débute sous un ciel légèrement voilé. Quelques rares oiseaux se font entendre dans la profondeur du sous-bois. Un Rougegorge familier à gauche, une Mésange huppée dans les Pins sylvestres au-dessus de nos têtes, un Troglodyte mignon à droite. Mais l’époque des chants - directement liés à la nidification - est clairement achevée. A 19h25, une grosse voix retentit brusquement. Grave, profonde. Ce premier brame se prolonge quelques secondes avant de s’éteindre. La soirée débute tôt, ce qui est - nous l’espérons tous - de bon augure pour notre sortie. Nous nous arrêtons et observons le plus grand silence, guettant une réplique.
Puis un second coup de gueule. Bref. Puis un troisième. Pas encore une longue ode à l’amour mais plutôt un ténor qui s’éclaircit la voix et chante pour le moment ses strophes en pointillés. Une bête de scène qui, en artiste accompli, veille à chauffer la salle. Longue plainte aigue derrière nous : le Pic noir - le plus grand pic d’Europe - signale sa présence. Une très belle espèce d’oiseau, peu commune mais bien représentée en forêt de Rambouillet.
Nous poursuivons notre chemin. Au moins deux cerfs différents brament maintenant de façon plus évidente, plus soutenue, et semblent se répondre ou se défier. A 20h15, une petite clairière couverte de bruyères en fleur apparait devant nous. Les lieux enchanteurs évoquent le surnaturel, la magie et les légendes. Nous n’aurions sans doute pas été surpris de voir à cet instant une créature tout droit sortie d’un livre pour enfants apparaitre devant nous. Mais c’est un beau chevreuil qui choisit alors de se montrer. Nous ayant aperçu, l’animal enjambe la lande de quelques bonds gracieux et se réfugie dans l’épaisseur du sous-bois. Clameur de quelques Bernaches du Canada, sans doute posées sur les petites pièces d’eau qui piquent à cet endroit la forêt.
A 20h30, dans la lumière bleutée du crépuscule, nous parvenons à une autre clairière, herbeuse celle-ci. Des animaux broutent sans crainte. Nous apercevons d’abord deux biches adultes. Puis une troisième suivie de son faon né au printemps. D’un coup de jumelles, nous comptons les cervidés : quatre, cinq, six... Quand un grand cerf apparait tout à coup dans l’oculaire. Un bel animal, majestueux, marchant lentement la tête légèrement baissée. Pelage roux qui tranche dans la nuit tombante. Une espèce de crinière plus sombre couvre son encolure. Et de grands bois, lourds dont nous ne parvenons pas à compter le nombre d’andouillers dans la lumière un peu trop faible.
Le brame envahit dans la nuit…
Puis le cerf s’immobilise à une petite centaine de mètres de nous. Il jette un œil sur les biches qui paissent non loin de lui, lève la tête, couche ses bois sur son dos et pousse un long brame rauque en direction des étoiles qui ne brillent pas encore. Le chant s’élève, clair et se propage dans toutes les directions. C’est à cet instant que nous prenons conscience que le vent est totalement tombé. L’air est désormais tout à fait immobile, uniquement agité de cette onde sonore qui roule jusqu’à nos oreilles de spectateurs privilégiés et attentifs. Le cerf reprend sa marche et glisse doucement sur notre gauche. Tous les dix pas, le manège se renouvelle : l’animal s’arrête, lève la tête et brame une autre tirade. Dans notre dos, deux ou trois autres cerfs brament plus loin, à l’abris des regards au milieu de la forêt. Pas de temps mort. Lorsqu’un cerf se tait, un autre prend le flambeau. Nous ne sommes pas simplement les témoins d’une représentation qui se joue sous nos yeux. Nous sommes au centre de la scène et les seuls admirateurs d’une tranche de vie qui tourne tout autour de nous, nous encercle et nous emporte.
Le grand cerf a disparu. A force d’avancer sur la gauche, il est sorti de notre champ de vision. De notre poste d’observation, nous ne pouvons en effet pas apercevoir la clairière dans son ensemble. Mais l’animal poursuit son jeu et nous l’entendons bramer à intervalles réguliers. C’est alors que nous découvrons un autre grand cerf le long de la lisière, tout au fond de la même clairière. L’animal s’empresse à la suite d’une biche et brame à son tour sans déclencher d’hostilité de la part du premier animal. Deux places de brame distinctes aux limites invisibles se sont donc créées dans cet espace pas si restreint. Les deux mâles dominants s’ignorent et œuvrent chacun de leur côté à la perpétuation de leur espèce.
Puis la nuit se referme complètement et rend nos jumelles inutiles. Notre ouïe seule est désormais témoin du spectacle qui se poursuit. Une Effraie passe au vol et chuinte près de nous. Plus loin, une Chouette hulotte hulule.
Peu avant 23h00, alors que le brame se poursuit sans discontinuer, le vol nuageux se fissure. L’encre du ciel apparaît avec sa cohorte d’étoiles. Véga et Deneb au zénith, Altaïr plus bas au sud. A l’ouest, un astre luit de mille feux : Jupiter se hisse au-dessus de la cime des arbres. Au jumelles, nous distinguons nettement le pourtour de son disque ainsi que trois des quatre satellites découverts par Galilée au début du XVIIe siècle.
Lorsque nos véhicules sortent des ténèbres et que notre sortie s’achève, une Chouette hulotte hulule depuis les branches d’un grand chêne juste au-dessus du parking. Un au-revoir des plus agréable. Encore quelques minutes à écouter ce chant merveilleux et le groupe se sépare. Merci à toutes et à tous d’être venus partager cette belle soirée au milieu de la forêt, d’avoir savouré la magie du sous-bois à la tombée de la nuit et d’avoir respiré ses parfums qui montent du sol lorsque le soleil plonge sous l’horizon.
Liste des espèces
Oiseaux :
Bernache du Canada, Canard colvert, Héron cendré, Pigeon ramier, Effraie des clochers, Chouette hulotte, Pic noir, Pic épeiche, Mésange bleue, Mésange huppée, Mésange nonnette, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Pouillot véloce, Pinson des arbres
Mammifères :
Cerf élaphe, Chevreuil européen