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Mai/Juin 2022
La faune de Camargue
Vendredi 27 mai...
La bande d’asphalte de l’autoroute défile à vive allure et semble avalée par le capot du véhicule qui nous entraine toujours plus au sud. Sous nos yeux de passagers, le paysage défile : la Beauce, la Sologne, l’Auvergne… Ce séjour en Provence débute par une leçon de géographie. Et une leçon de sciences : de nombreux oiseaux croisent notre route – ou nous la leur. Des Faucons crécerelles et des Buses variables dans la partie nord de notre itinéraire, puis de plus en plus de Milans noirs au fur et à mesure que nous nous approchons du Massif Central. Les Milans noirs et royaux quadrillent les départements de la Haute-Loire et du Cantal. A chaque kilomètre son oiseau… En exagérant à peine ! Puis un magnifique Aigle botté (forme claire) posé sur un piquet de clôture à l’angle d’un petit bois. Un oiseau magnifique aperçu bien trop rapidement.
La température est fraiche – autour de 15°c mais le temps est ensoleillé. La pause déjeuner est prévue au sommet des gorges du Tarn pour profiter de la Lozère quelques minutes en passant. Dans le canyon majestueux, quelques Vautours fauves cherchent les courants ascendants pour s’échapper, grimper tout en haut du ciel et se laisser glisser sans un battement d’ailes vers l’horizon à la recherche de leur nourriture. Les Craves à bec rouge longent les falaises de leur vol souple tandis que les Martinets à ventre blanc dansent dans l’azur aussi vite que leur corps fuselé le leur permet.
Puis notre migration se poursuit vers le midi. Viaduc de Millau, causse du Larzac, corniches des Cévennes pour arriver aux abords de Lodève et de Clermont l’Hérault. Les oliviers poussent ici un peu partout et la température monte en flèche sans que rien ne semble devoir la stopper. Deux signes qui ne trompent pas : nous sommes arrivés en région méditerranéenne.
A Montpellier, le thermomètre affiche 36°c… Pour le moment nous ne souffrons pas de la chaleur car l’habitacle est encore à la température ambiante des montagnes. Mais le soleil généreux a vite fait de nous mettre dans le bain. Sur l’eau des étangs du littoral de Carnon et de Palavas, les premiers Flamants roses apparaissent. Le dépaysement est cette fois complet.
Peu avant 17h, nous découvrons notre port d’attache. Un mas provençal installé au pied de la digue isolant la Camargue du Petit-Rhône. Le bras n’achemine vers la mer que dix pourcent du débit total du fleuve mais il paraît large. De grands arbres poussent sur les ségonaux – ces talus qui se trouvent entre la digue et l’eau du fleuve. Autour de notre logement, un vaste paysage agricole aussi plat qu’une table de billard : parcelles de blé, d’orge et de nombreuses rizières. Des canaux d’irrigation zèbrent cette campagne nourricière, apportant l’eau du Rhône jusqu’aux cultures.
Et partout des oiseaux…
Bien arrivés en Camargue. Stop.
Le mas où nous logeons est un petit paradis terrestre. Stop.
Grande maison au milieu de la nature. Stop.
Le soir, les Rainettes méridionales donnent un concert. Stop.
De nombreuses libellules volent encore, jusqu’au crépuscule. Stop.
Et nous nous endormons à l'abri derrière les moustiquaires. Stop.
Samedi 28 mai...
Le réveil est lumineux. Alors que l’horloge indique un peu plus de 6h, la campagne se pare d’or. A l’est, le disque du soleil vient de s’élever au-dessus de l’horizon et darde ses rayons sur chaque herbe, chaque feuille, chaque épi environnant le mas. Mais l’astre du jour n’est pas venu seul. Un vent de tempête l’accompagne, soufflant du nord…
Le Mistral !
Le « M » majuscule est intentionnel. La minuscule ne suffit pas à décrire les bourrasques qui malmènent la végétation. Le souffle dans les branches des plus hauts platanes nous donne l’impression de nous trouver au bord de l’océan un jour de noroit. Chaque son de la nature se trouve inexorablement balayé loin vers le sud avant de trouver le chemin de nos oreilles. Nous sommes sourds et peu d’oiseaux se font entendre dans un tel vacarme. Un Rossignol philomèle ici, une Bouscarle de Cetti là. Une Cisticole des joncs pesant à peine quelques grammes parvient pourtant à égrainer son chant au-dessus d’un carré d’orge. Un groupe d’Ibis falcinelles au plumage lustré de reflets acajou se nourrissent dans une rizière, plantant leur long bec dans la terre détrempée à la recherche d’un mollusque, d’une larve, d’un ver…
Après le petit déjeuner, notre groupe quitte la Camargue fluviale pour pénétrer au cœur du delta dans les sansouires sursalées où ne poussent que la salicorne et quelques tamaris. Le village des Saintes-Maries-de-la-Mer apparaît dans le lointain, l’église surplombe le reste des bâtiments. Le Mistral tempête plus violemment ici qu’ailleurs, aucune végétation, aucune aspérité de terrain ne venant contrer sa fuite en avant. Beaucoup d’étangs sont à secs après les semaines de sécheresse que connait la région. Eole soulève poussière et sel qui s’envolent en d’immenses nuages opaques. On jugerait prendre pieds dans un western spaghetti de Sergio Léone. La musique d’Ennio Morriconne dans les oreilles, nous nous attendons presque à voir apparaître Clint Eastwood pistolets à la ceinture.
Sur un petit étang peu profond, une quinzaine de Flamants roses se nourrissent dans la belle lumière du matin. Proches de nous, ils se prêtent aux premières photos. Dégingandés, les oiseaux nous observent sans appréhension. Des Spatules blanches passent régulièrement au vol par groupe de deux, trois, six ou seules. L’espèce niche au milieu de la Réserve Nationale de Camargue et des oiseaux sortent pour aller s’alimenter. Des Cochevis huppés chantent tant bien que mal et s’accommodent du vent. Quelques Echasses blanches picorent la vase tandis que le cri assourdi d’une Panure à moustache nous parvient faiblement.
La star de cette matinée apparaît discrètement : un gros oiseau aux plumes bleu-roi monté sur de grosses pattes rouges. Lorsqu’il se retourne pour nous faire face, son énorme bec rouge nous saute aux yeux. L’observation est brève : la Talève sultane entre à nouveau dans les roseaux et disparaît. Mais deux autres oiseaux sortent à leur tour à découvert et longent la végétation, bien en vue. L’observation est magnifique et se prolonge plusieurs minutes.
Photos !
Pour achever la matinée et débuter l’après-midi, il est décidé d’aller nous balader en bordure de la Réserve des Impériaux. Au départ des Saintes-Maries, la digue à la mer ferme le delta, isolant la Camargue de la Méditerranée. C’est aussi une magnifique balade qui court sur plusieurs kilomètres. Ces derniers jours, un très rare Chevalier à pattes jaunes – oiseau originaire d’Amérique du Nord – a été aperçu plusieurs fois dans ce secteur. Décidés à tenter notre chance, nous partons à pieds fouiller les étangs avec nos jumelles.
Des Fauvettes mélanocéphales et Fauvettes à lunettes occupent les touffes de salicornes. Les oiseaux sont actifs, crient, chantent comme si les rafales venues du nord ne malmenaient pas les lieux. Quelques très beaux Goélands railleurs passent au vol tandis que des Gravelots à collier interrompus courent sur les vasières. Quelques Avocettes élégantes nichent elles aussi dans les environs. Mais de Chevalier à pattes jaunes, point !
Par contre, une nouvelle alerte tombe sur nos téléphones portables connectés aux réseaux d’ornithologie. Une rarissime Pie-grièche masquée vient d’être découverte quelques minutes plus tôt sur la ripisylve du Grand-Rhône. Si l’observation est confirmée, cet oiseau ne serait que le troisième de son espèce à être aperçu en France après celui de 1961 et celui de 2008 – tous deux observés en région PACA.
Une outsider tout à fait inespérée.
Arrivés sur les lieux, nous découvrons ce bel oiseau posé au bord de la route sur une branche sèche d’un petit arbre mort. Mais l’observation est de courte durée. Farouche, la pie-grièche disparaît rapidement dans l’épaisseur de la végétation pour ne ressortir furtivement que de longues minutes plus tard. Nous sommes bien sûr heureux de l’avoir aperçue, d’avoir rencontré cette espèce qui n’est observée que localement en Grèce puis en Turquie et au Moyen-Orient. Mais aussi un peu frustrés de ne pas avoir eu la chance de l’admirer dans de meilleures conditions ni pu la photographier.
Balade touristique dans le centre-ville d’Arles en fin d’après-midi. Stop.
La place de la mairie, le théâtre antique. Stop.
Ainsi que le magnifique amphithéâtre romain. Stop.
Apéritif pris au célèbre café « La Nuit » peint par Van Gogh. Stop.
Puis dîner sur place pour goûter à la gardiane de taureau. Stop.
Et retour au mas pour une nuit bien méritée. Stop
Dimanche 29 mai...
Le Mistral qui s’est déchaîné toute la nuit mollit un peu avec l’apparition du soleil. Un peu… Mais les naturalistes passionnés de grand air que nous sommes apprécions ce répit si modeste soit-il. Le vent qui rend fou déboule encore furieusement du septentrion, guidé dans sa course par le couloir rhodanien. Les branches ploient. Les oiseaux au vol passent tantôt à toute vitesse, tantôt au ralenti, luttant à l’image de la Horde d’Alain Damasio.
Pourtant, le Loriot d’Europe chante à tue-tête depuis les houppiers bordant le fleuve tout comme les Hypolaïs polyglottes dans les buissons plus près du sol. Les Ibis falcinelles, Aigrettes garzettes, Hérons gardeboeufs et Mouettes mélanocéphales quittent leurs colonies respectives pour rejoindre les cantines au sein desquelles ils ont leurs habitudes. Des escadrilles de quelques individus à quelques dizaines parcourent le ciel encore coloré d’ocre.
Après avoir consacré une partie de la matinée à ravitailler notre camp de base pour la semaine qui s’ouvre devant nous, notre groupe part se balader autour du Mas du Pont de Rousty, siège du Parc Naturel Régional de Camargue et du Musée camarguais. Un beau sentier de quelques kilomètres traverse différents milieux du delta. Au-dessus du principal canal d’irrigation – roubine – des Guêpiers d’Europe chassent les insectes. Et ils sont nombreux en raison de la forte température (un peu plus de 30°c à l’ombre). Beaucoup de papillons : Demi-Deuils, Cuivrés communs, Citrons de Provence, Soucis, Sylvaines… Et de libellules : Crocothémis écarlates, Orthétrums réticulés, Sympétrums à nervures rouges, Libellules à quatre taches, et même une magnifique Aeschne isocèle dans sa robe brun-roux qui tranche avec ses magnifiques yeux verts.
Un Faucon hobereau passe rapidement au vol. C’est lui aussi un prédateur redoutable pour les grandes libellules qui chassent de leur côté les plus petites espèces attribuant ainsi à chacune d’elles sa place dans la chaîne alimentaire. Proies également convoitées par les Sternes hansels qui réclament leur part du gâteau en volant inlassablement au-dessus des rizières.
Tout au bout du chemin, un observatoire de bois permet d’observer la faune sans être vus. Devant nous s’étale un beau marais d’eau peu profonde entouré d’une immense roselière. La lumière est maintenant très forte et crue. Il est plus de midi et le soleil règne sans partage au zénith. La crème solaire est notre précieuse alliée. Deux Cygnes tuberculés nagent sur l’eau tandis qu’une Talève sultane arpente au loin une lisière avant de rapidement disparaître dans la végétation. Rousserolles turdoïdes, Rousserolles effarvattes et Luscinioles à moustaches mêlent leurs voix râpeuses dans un concert dont l’essentiel est emporté par le vent.
Au loin, un Busard des roseaux chasse lui aussi les yeux rivés sur le sol.
Après avoir fait quelques emplettes à la boutique du musée, notre groupe s’en va parcourir ce que nous avons choisi de baptiser la route des guêpiers. Une importante colonie niche à terre dans le sable d’une parcelle en jachère. Au bord de la route, une petite clôture sert aux oiseaux pour se poser à leur retour de chasse. Là, les oiseaux remettent leur offrande à madame en vue de lui montrer tout leur attachement – et plus si affinité.
Si l’on veille à rester discret – et donc à ne pas descendre de voiture pour rester à observer depuis l’habitacle – les oiseaux se montrent très confiants. Beaucoup se posent très près, jusqu’à dix ou douze mètres environs. Mais certains ne se doutant pas de ce que dissimulent ces voitures stationnées sur le bas-côté, nous survolent à quelques mètres à peine. Il est alors bien difficile de les cadrer dans l’oculaire de nos appareils photos. Avec un peu de patience toutefois…
Nous sommes à l’affût, cherchant à cadrer ces oiseaux bien trop rapide pour nous lorsque Goupil entre scène. Un magnifique renard passe devant nous sans nous apercevoir. Juste en arrière de la clôture sur laquelle les guêpiers étaient posés un instant auparavant. L’animal n’est pas à quinze mètres de nous et poursuit son petit bonhomme de chemin semant la panique parmi les volatiles colorés. L’animal fait consciencieusement le tour de la parcelle, reparaît une minute à l’autre bout puis disparaît pour de bon dans la végétation.
Retour au mas au bord du Rhône. Stop.
Apéro sur la terrasse et à l’ombre du grand platane. Stop.
La douche nous a lavés de la chaleur de la journée. Stop.
Au soir, balade dans les rizières autour du mas. Stop.
Dans les lueurs roses et orangées du couchant. Stop.
Le vent est enfin tombé. Stop.
Lundi 30 mai...
Notre troisième journée est consacrée au massif des Alpilles, ces collines que nous apercevons chaque jour dans le lointain un peu sur la droite du mont Ventoux et à une heure de route à la vitesse de touristes. Nous garons les véhicules aux abords d’un charmant petit village. De là, part un sentier qui grimpe dans la montagne.
Comme Blanquette après avoir rompu sa corde, nous nous enfonçons vers l’inconnu, avec peut-être cette différence que nous aimerions voir le loup. Des papillons multicolores volent en tous sens, profitant du soleil ardant et de la chaleur déjà forte. Nous identifions de nombreuses espèces : Piéride du chou, Grisette, Myrtil, Tytire, Tabac d’Espagne, Tircis, Sylvain azuré…
La pente régulière ne montre aucune difficulté. Un petit bois de Chênes pubescents nous procure de l’ombre. Au sol, de nombreuses plantes poussent en fouillis parfois inextricable. Genêts, Argousiers, Chênes kermès, Cistes… Et nous découvrons même quelques feuilles de Salsepareille laissant supposer qu’une petite communauté de Schtroumfs vit à proximité.
Après une portion bien plus raide, nous parvenons enfin sur la crête. Devant nous, vers le sud, la plaine de la Crau et la Camargue s’étirent devant nous. Fos-sur-Mer et Istres sur la gauche, Arles sur la droite. Vers le nord, les 1910 mètres d’altitude du mont Ventoux barrent l’horizon. Plus à gauche, une courte portion du Rhône miroite au soleil. Et plus à gauche encore, la ville d’Avignon est bien en vue avec en son centre – monumental – le palais des papes. Au nord-ouest, les prémices des Cévennes.
A l’ombre d’un grand cèdre, nous repérons notre chemin. Car si nous avons atteint la crête, nous sommes encore loin du sommet. Au-dessus de nous, deux immenses rapaces glissent majestueusement dans le ciel. Deux Vautours fauves et leurs 2.80 mètres d’envergure. Puis, deux autres rapaces entrent en scène à leur tour : deux Circaètes Jean-le-Blanc – plus petit, seulement 1,70 mètres d’envergure. Mais nous sommes toujours à la recherche des stars du secteur. Deux espèces de rapaces rares en France : le Vautour percnoptère et surtout l’Aigle de Bonelli dont la population française n’excèderait pas les vingt couples nicheurs.
Ou comment chercher deux aiguilles dans une grange de foin !
Comme aux pieds des collines, les papillons abondent : Machaons, Flambés, Mélitées orangées, Thècles du kermès, Thècles des Nerpruns, Bleu-Nacrés espagnols, Citrons de Provence, Echiquiers d’Occitanie… Beaucoup d’espèces inconnues dans la moitié nord de la France qui contribuent grandement à notre dépaysement.
Dans un bouquet de Valérianes, un magnifique Sphinx livournien butine les fleurs. Sa longue trompe plonge au cœur prélever le nectar tandis que l’insecte bat des ailes à une fréquence impressionnante. Quelques Fauvettes mélanocéphales et Fauvettes passerinettes alarment à notre passage et volettent d’un buisson à l’autre. Un couple de Grands Corbeaux passe au-dessus de nous et lance leurs cris rauques si caractéristiques.
Dans l’après-midi, parvenus au sommet, nous nous engageons sur un petit sentier du plateau. La chaleur est forte mais nous avons de la crème solaire, des chapeaux et de l’eau en abondance. Les papillons toujours très nombreux s’enrichissent du Marbré de vert que nous cherchions depuis le début de cette journée. C’est alors qu’un grand rapace arrive de nulle part. Plumage noir et blanc, queue cunéiforme : c’est lui, le Vautour percnoptère. La première des deux aiguilles que nous espérions tant. L’oiseau s’éloigne rapidement pour disparaître dans le vallon proche. Une très belle obs sur le ciel maintenant chargé de nuages. Mais il reparaît bientôt, grimpe en altitude pour ne devenir qu’un petit point malgré nos jumelles. Nous ne le reverrons plus.
Le sourire est sur toutes les lèvres. Quel bel oiseau ! Nous avons eu beaucoup de chance.
L’observation d’un Pipit rousseline sur le côté gauche du chemin, nous donne l’idée de quitter le sentier et d’aller observer en bordure du plateau. Assis sur les rocher surplombant les pentes, un cirque s’ouvre devant nous. Avec, en face, une barre rocheuse couverte de garrigue. Une Fauvette pitchou s’envole et s’éloigne de quelques dizaines de mètres. Fouillant les rochers aux jumelles, nous découvrons un rapace posé sur l’un d’eux. Grande taille, tête et ailes de couleur brune. Mais l’oiseau est loin et son identité incertaine. Peut-être l’un des Circaètes observés plus tôt en journée.
Mais quelques minutes plus tard alors que nous le surveillons étroitement, l’oiseau déplie ses longues ailes et s’élance dans le vide. Cette fois, l’identifier est un jeu d’enfant. Et son nom fuse bientôt car la tache blanche qu’il arbore sur le haut du dos ne laisse aucun doute : un Aigle de Bonelli adulte. L’oiseau longe la corniche, tourne et nous montre son ventre blanc qui contraste avec le dessous très sombre de ses ailes. Puis il s’éloigne et plonge derrière la barre rocheuse sur laquelle il était posé. Nous le voyons revenir quelques minutes plus tard. Pour ne pas risquer de déranger cette espèce rare, nous choisissons de ne pas nous attarder sur le site que nous quittons une dizaine de minutes après notre arrivée.
De souriant, le groupe devient euphorique. Si le Vautour percnoptère constitue déjà une belle prise, l’Aigle de Bonelli est un peu le Graal de cette journée. Nous l’avions espéré sans vraiment y croire. La redescente se fait légère. Nous aussi volons à quelques centimètres au-dessus du sol. Nos jambes sont toutefois un peu lourdes lorsque nous bouclons la boucle et revenons à nos véhicules.
Superbe journée au cours de laquelle nous avons fait un peu de cueillette. Stop.
Thym, romarin et sarriette viendront agrémenter les plats de cette semaine. Stop.
Un détour par le centre-ville pour nous attabler en terrasse. Stop.
Apérol, bières et coupes glacées que nous avons amplement mérités. Stop.
Balade en soirée avec les lampes électriques autour de notre gîte. Stop.
Pour observer les grenouilles et nourrir les hordes de moustiques. Stop.
Mardi 31 mai...
Les nuages apparus dans le ciel de la veille se sont dissipés. Le soleil luit déjà haut dans le ciel lorsque nous arrivons aux portes de la réserve de l’étang de Scamandre en Camargue gardoise – la partie de la Camargue qui se trouve dans le département du Gard.
Un petit sentier sur pilotis de bois promène d’abord le visiteur à travers le marais. Là, les hérons sont omniprésents. Une vaste colonie occupe le centre de la réserve et regroupe différentes espèces qui y nichent pêle-mêle : Aigrettes garzettes, Hérons cendrés, Hérons gardeboeufs, Crabiers chevelus, Bihoreaux gris mais aussi Ibis falcinelles. Des oiseaux au vol passent sans cesse près de nous, soit pour se rendre sur des zones de pêche, soit pour en revenir. Les observations sont impressionnantes de proximité.
Dans l’eau peu profonde d’une petite mare, une Echasse blanche parcourt l’onde d’un pas alerte et picore ça et là, crevant le miroir de la surface de son bec fin comme une aiguille. Rossignols philomèles, Rousserolles effarvattes et Rousserolles turdoïdes chantent en cœur tout autour de nous. Des Cigognes blanches planent au-dessus des lieux. Elles aussi nichent à proximité.
Le circuit se poursuit. Des Ragondins dans l’eau ou sur les berges grignotent la végétation de leurs grosses dents orange. L’eau est partout. Et avec la chaleur, libellules et papillons volent où que se porte le regard. Chez les odonates, l’Orthétrum réticulé est de loin le plus abondant. Mais nous identifions également des Orthétrums à stylets blancs, des Sympétrums à nervures rouges, des Sympétrums méridionaux et des Crocothémis écarlates. Parmi les demoiselles – les libellules de petite taille – les Ischnures élégantes s’ajoutent à la liste.
Après une boucle de quelques kilomètres, nous nous installons près de l’entrée de la réserve. Des tables de bois à l’ombre de grands pins verdoyants invitent les visiteurs à s’installer pour pique-niquer ou simplement passer un moment assis à l’ombre. Les bâtiments où siège l’administration sont à proximité immédiate.
Au cours de notre déjeuner, une Huppe fasciée est aperçue à deux reprises. Une première fois sur le toit de l’un des bâtiments. Une seconde dans un pin tout proche. Un très bel oiseau que nous voyons revenir pour la troisième fois avec une chenille ou une larve d’insecte dans le bec. Intrigués, nous surveillons l’oiseau afin de comprendre son manège. La huppe descend au sol et à petits bonds répétés s’approche d’un gros tonneau de bois à trois mètres à peine de la porte ouvrant sur l’intérieur des locaux. Quelle n’est pas notre surprise de voir tout à coup sortir d’un trou percé au centre du baril la tête d’un jeune déjà emplumé. Le parent s’approche alors, remet sa proie à l’oisillon et s’éloigne au vol aussitôt. La scène n’a pas duré cinq secondes.
Pour le moins ahuris, nous réagissons toutefois rapidement. Un affût photos est improvisé. Tous les téléobjectifs et autres lunettes d’observation sont immédiatement braqués sur ledit tonneau dont la surveillance débute dans l’instant. Durant l’attente, les appareils photos sont mis sur trépieds et stabilisés. Les mises au point sont réglées au millimètre sur l’orifice et télécommande en main, nous nous apprêtons à déclencher les rafales de prises de vue dès que l’un des parents reviendra nourrir bébé.
Une vingtaine de minutes plus tard, les appareils photos crépitent. La scène est immortalisée : le parent huppe hérissée donne la becquée à son oisillon à la fenêtre du tonneau. Une image que nous n’imaginions pas fixer sur nos pellicules numériques lorsque nous sommes sortis du lit ce matin. Cette imprévisibilité donne toute sa magie à l’observation de la nature.
Une Cistude d’Europe est découverte dans l’après-midi. Stop.
Puis nous photographions les cigognes sur leur nid. Stop.
Et après quelques achats gastronomiques plus tard. Stop.
Nous regagnons notre pied-à-terre camarguais. Stop.
Pour une douche et un repas bien mérités. Stop.
Petite balade en soirée pour digérer avant d’aller au lit. Stop.
Mercredi 1er juin...
Une surprise nous attend au saut du lit : un épais brouillard enveloppe la Camargue d’une chape grise. La petite pluie de la nuit a engendré cet aplat terne qui avale les couleurs de Provence pourtant si prononcées. Contrairement au début du séjour où le vent nous ôtait l’ouïe, nous nous trouvons aujourd’hui privé de la vue. Tous les oiseaux chantent mais nous n’en apercevons presque aucun. Jusqu’aux environs de 10h, nous devons nous en remettre à nos seules oreilles.
Puis, le brouillard s’évanouit en quelques minutes laissant apparaître ce soleil si généreux sur le pourtour méditerranéen. Les sons s’accompagnent tout à coup d’images. Et des oiseaux merveilleux nous entourent.
A commencer par ces Glaréoles à collier. Les oiseaux nichent en petite colonie, directement sur le sol asséché d’une parcelle à quelques centaines de mètres de nous. Quelques-unes passent au vol près de nous et nous permettent de les admirer. Une silhouette élégante, gracieuse les font presque passer pour d’immenses hirondelles. Espèce nicheuse rare en France, la Glaréole à collier est l’une des espèces étendard de Camargue. L’une de celles que tous les naturalistes de passage cherchent à observer. Trois Oedicnèmes criards nichent également sur les lieux. De gros oiseaux hauts sur pattes affublés de deux gros yeux jaunes. De mœurs crépusculaires, ils se montrent très peu actifs pour le moment.
Dans un bouquet de roseaux un peu plus loin, un petit groupe de Panures à moustaches crient tant et plus. Volubile, l’espèce est plutôt difficile à voir car sort peu du couvert de la végétation. Nous les cherchons pourtant, guettant les vieilles tiges sèches de roseaux qui dépassent de la masse verte des pousses de l’année. Et cela fonctionne : une femelle sort de la végétation, grimpe le long de la tige et crie deux ou trois minutes bien en vue. Puis le groupe d’oiseaux s’envole et s’éloigne. Notre chance qui nous a accompagnés durant tout ce séjour nous a encore une fois servis.
Nous quittons les marais d’eau douce pour descendre dans la Camargue salée. Nous nous enfonçons dans les salins en direction de l’anse de Beauduc. Tout au sud, le paysage devient lunaire. La végétation disparaît peu à peu. Ne subsistent que la salicorne et quelques touffes de tamaris. Pour le reste, l’eau et le sel sont partout. La réverbération est intense et la chaleur importante.
Des Goélands railleurs se laissent observer à quelques mètres, cherchant leur nourriture dans une petite lagune. Quelques dizaines d’Avocettes élégantes avec leur bec incurvé vers le haut se nourrissent également dans l’eau peu profonde. Leur plumage bigarré de noir et de blanc et leur silhouette gracile font de ces échassiers des dandys élancés de toute beauté. Quelques Gravelots à collier interrompus courent sur le sable et des Tournepierres à collier sont occupés à leur toilette.
Arrivés au bout de la piste de terre, nous laissons les véhicules pour terminer à pieds et nous retrouver sur la plage. Le golfe de Beauduc est une anse en croissant de lune. Là, la Camargue plonge dans la Méditerranée. En face de nous, l’église des Saintes-Maries-de-la Mer semble flotter au-dessus des flots. Des Sternes caugeks pêchent leur déjeuner devant nous. Quelques Goélands leucophées farnientent sur le sable. Les pique-niques sortent des sacs et nous déjeunons sur le sable à un mètre des petites vagues qui agitent à peine la mer.
Durant l’après-midi, nous quittons les salins pour remonter vers le nord. Pour revenir dans les marais d’eau douce ou légèrement saumâtre, dans les rizières. Une seconde petite colonie de Glaréoles à collier est découverte au loin. Plusieurs oiseaux sont posés à terre, d’autres volent au loin. Le contrejour rend l’observation médiocre et frustrante.
Mais quelques oiseaux s’approchent, nous dépassent et posent dans la rizière derrière nous. Cette petite parcelle est le seul point d’eau du secteur et durant une heure environ, plusieurs oiseaux se succèdent pour venir boire. Là, toutes proches, les glaréoles se laissent admirer et photographier. Les observations sont magnifiques, magiques. Un grand moment d’ornithologie qui laisse le groupe très heureux de ce séjour où la chance ne nous a jamais fait défaut.
Le retour au mas se fait par les petites routes. Stop.
A observer les guêpiers à rechercher les rolliers. Stop.
Dernier apéritif, dernier dîner. Stop.
Et dernière balade au crépuscule pour écouter les rainettes. Stop.
Demain nous quittons le paradis. Stop.
Pour revenir assurément l’an prochain. Stop.
Liste des espèces
Oiseaux :
Grèbe castagneux, Grèbe à cou noir, Grèbe huppé, Grand Cormoran, Héron cendré, Héron pourpré, Crabier chevelu, Héron garde-boeufs, Grande Aigrette, Aigrette garzette, Bihoreau gris, Blongios nain, Butor étoilé, Cigogne blanche, Spatule blanche, Ibis falcinelle, Flamant rose, Cygne tuberculé, Tadorne de Belon, Canard colvert, Sarcelle d'hiver, Canard chipeau, Nette rousse, Bondrée apivore, Milan royal, Milan noir, Buse variable, Aigle de Bonelli, Aigle botté, Vautour fauve, Vautour percnoptère, Busard Saint-Martin, Busard des roseaux, Circaète Jean-le-Blanc, Faucon hobereau, Faucon crécerelle, Faisan de Colchide, Gallinule poule-d'eau, Talève sultane, Foulque macroule, Huîtrier pie, Vanneau huppé, Grand Gravelot, Gravelot à collier interrompu, Courlis cendré, Chevalier gambette, Chevalier aboyeur, Tournepierre à collier, Échasse blanche, Avocette élégante, Oedicnème criard, Glaréole à collier, Goéland leucophée, Mouette mélanocéphale, Mouette rieuse, Goéland railleur, Sterne hansel, Sterne pierregarin, Sterne naine, Sterne caugek, Pigeon biset domestique, Pigeon ramier, Tourterelle des bois, Tourterelle turque, Coucou gris, Effraie des clochers, Martinet à ventre blanc, Martinet noir, Martin-pêcheur d'Europe, Guêpier d'Europe, Rollier d'Europe, Huppe fasciée, Pic noir, Cochevis huppé, Alouette des champs, Hirondelle rustique, Hirondelle de rochers, Hirondelle de fenêtre, Hirondelle de rivage, Loriot d'Europe, Grand Corbeau, Corneille noire, Choucas des tours, Pie bavarde, Geai des chênes, Crave à bec rouge, Mésange charbonnière, Mésange huppée, Panure à moustaches, Grimpereau des jardins, Rougegorge familier, Rossignol philomèle, Rougequeue noir, Merle noir, Bouscarle de Cetti, Lusciniole à moustaches, Rousserolle turdoïde, Rousserolle effarvatte, Hypolaïs polyglotte, Fauvette à tête noire, Fauvette grisette, Fauvette mélanocéphale, Fauvette passerinette, Fauvette à lunettes, Fauvette pitchou, Cisticole des joncs, Pouillot de Bonelli, Roitelet à triple bandeau, Pipit rousseline, Bergeronnette grise, Bergeronnette printanière, Pie-grièche masquée, Étourneau sansonnet, Moineau domestique, Moineau friquet, Verdier d'Europe, Chardonneret élégant, Serin cini, Pinson des arbres, Bruant proyer, Bruant zizi, Bruant ortolan
Mammifères :
Chevreuil européen, Renard roux, Lapin de garenne, Ragondin
Papillons de jour :
Hespérie de l'alcée (Grisette), Hespérie de la houque, Hespérie du dactyle, Sylvaine, Flambé, Machaon, Piéride de la rave, Piéride du chou, Marbré-de-vert, Fluoré, Souci, Citron de Provence, Citron, Thècle (Thécla) du kermès, Thècle (Thécla) de l'yeuse, Thècle (Thécla) des nerpruns, Cuivré commun, Cuivré mauvin (C. flamboyant), Azuré des nerpruns, Bleu-nacré espagnol, Tircis, Mégère (Satyre), Tityre (Ocellé rubané), Myrtil, Demi-deuil, Échiquier d'Occitanie, Tabac d'Espagne, Sylvain azuré, Vulcain, Belle Dame, Petite Tortue, Mélitée orangée
Papillons de nuit :
Sphinx gazé, Moro-sphinx, Sphinx livournien, Ptérophore blanc, Zygène de la filipendule
Odonates :
Caloptéryx occitan, Pennipatte blanchâtre, Ischnure élégante, Aeschne isocèle, Anax empereur, Anax napolitain, Spectre paisible, Crocothémis écarlate, Libellule à quatre taches, Orthétrum à stylets blancs, Orthétrum réticulé, Sympétrum à nervures rouges, Sympétrum méridional
Névroptères :
Ascalaphe soufré
Reptiles et amphibiens :
Cistude d'Europe, Couleuvre verte et jaune, Lézard à deux raies (L. vert occidental), Crapaud calamite, Rainette méridionale, Grenouille verte
Orthoptères :
Criquet égyptien, Grande Sauterelle verte
Cigales :
Cigale grise (Cicada orni)