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16 septembre 2021
Soirée brame...

Grand retour du soleil…

Après deux journées de pluies abondantes, l’épaisse couche nuageuse se disperse et laisse de nouveau apparaître un beau ciel bleu. Quelques nuages sont encore là, mais uniquement pour le décor, pour accompagner ce bleu qui pourrait sinon paraître trop uniforme – juste la touche de zèle du peintre qui nous a réalisé la toile de la soirée.

 

Nous mesurons notre chance. Ce soir, la météo nous est favorable. Nos anges gardiens ont bien bossé.

 

L’air immobile et le calme qui règne en sous-bois laissent espérer une belle soirée de brame. Les sons devraient porter au loin. La seule inconnue reste maintenant les animaux eux-mêmes. Seront-ils en voix ? Aurons-nous droit à une polyphonie, à un bigband, à des sérénades enflammées ou au contraire à une nuit de repos durant laquelle les cerfs ne brament que de loin en loin ?

 

Impossible de le savoir. Si cette soirée est placée sous les meilleures auspices, le brame reste difficilement prévisible.

 

Pour le moment, la température est encore très douce. Les Pouillots véloces crient dans les houppiers. Des oiseaux de passage durant leur migration vers des contrées plus clémentes qui se nourrissent copieusement dans la forêt avant de poursuivre leur route dans quelques heures ou quelques jours. Un Grimpereau des jardins se fait lui aussi entendre, tout comme une petite bande de Mésanges à longue queue depuis les branches d’un bouquet de peupliers. Si le son nous parvient, l’image reste brouillée par les nombreuses feuilles que l’automne n’a pas encore jetées au sol.

 

Vers 19h30, le premier cerf entre en lisse. Un brame fort mais sans suite. Comme le premier pétard prévenant de l’imminence du feu d’artifice ou les trois coups de brigadier sur la scène du théâtre avant le lever de rideau. Le groupe s’arrête, se tourne dans la direction de l’orateur. Chacun s’installe, arrange son siège, glisse un dernier mot dans l’oreille de son voisin puis fait silence et attend que débute la représentation. Un autre coup de gueule, puis un troisième… Comme un feu qui peine à prendre. Une allumette, puis deux, puis encore une et rien d’autre qu’une faible étincelle.

Nous reprenons notre marche. Les artistes se font désirer. En professionnels, ils savent comment chauffer une salle. Un deuxième animal arrive à son tour mais se tient comme le premier sur la réserve. Les visiteurs que nous sommes avons compris. Une belle soirée s’annonce sans doute mais nous allons devoir nous montrer patients. Nous avons déjà vérifié comme nous l’espérions que les sons portent extraordinairement bien ce soir. Les cerfs distants de plusieurs centaines de mètres semblent à côté de nous. Leurs voix nous arrivent fortes, puissantes, profondes comme s’ils se tenaient devant nous.

Parvenus en lisière d’une clairière, nous jetons un rapide coup de jumelles sur les alentour. Pas d’animaux à découvert pour le moment. Nous plantons notre bivouac en veillant à rester cacher derrière un écran de végétation. L’attente débute.

Le vif du sujet…

Trois cerfs brament maintenant autour de nous. Nous les entendons là encore comme s’ils n’étaient qu’à quelques mètres. Un chant tonitruant qui rythme notre pique-nique. Vers 20h00, le cerf que nous affutons arrive à son tour dans la compétition. Un brame vigoureux mais le larron reste invisible. Sans doute un peu en retrait en sous-bois à inspecter les lieux. Puis le cerf s’avance. Un animal superbe. Une silhouette musclée, une robe lustrée, monsieur s’est mis sur son trente-et-un. Mais ses bois restent en partis masqués par l’ombre d’un chêne. Porte six à gauche. Au moins six à droite. Des bois réguliers de couleur sombre avec des pointes blanches qui tranche dans la demi-obscurité. L’animal brame, les bois rejetés en arrière le long du dos, la gueule ouverte sur la nuit à pousser son raire aux alentours. Je suis là crie-t-il à la ronde. Ces biches, cette place sont miennes et je les défendrai, soyez-en avertis. Son message envoyé à la nuit, il se tourne avec indolence et entre en forêt. Sans doute rejoindre les dames et leur dire à quelque point elles sont en beauté ce soir.

 

Apparition merveilleuse mais de courte durée.

 

Une dizaine de minutes plus tard, une biche sort à son tour à découvert. Au petit trot, puis accélérant encore le pas. Un faon court après sa mère en se demandant certainement quelle mouche a bien pu piquer sa mère. Quand le cerf sort à son tour pour rejoindre sa belle au pas de course. Les trois animaux s’éloignent à l’autre bout de la prairie et sortent de notre champ de vision.

 

Un voile pudique est jeté sur la scène suivante…

 

La lune sort alors de derrière son écran de verdure. Une lune gibbeuse dont la luminosité est annoncée à 72% par les éphémérides. Une lumière blanche coule du ciel débarrassé de ces nébulosités artistiques. La fraicheur s’accentue davantage à chaque minute. Les vestes sont refermées jusqu’au col.

 

Nous décidons de reprendre la marche pour nous réchauffer un peu et tenter de nous approcher du ténor de la soirée qui hurle depuis le plateau derrière nous. Nous sommes à bon vent même si celui-ci est pratiquement nul. Notre nouveau poste de guet n’est pas à plus de deux-cents mètres du cerf. Chaque fois que ce dernier ouvre la bouche, c’est pour nous gratifier d’un brame très grave, profond, venu de loin et né dans une poitrine sans doute large. Les autres animaux sont par comparaison directe plus fluets. Le quart d’heure suivant est vécu comme un moment rare. Un concert de quatre ou cinq voix différentes, se mêlant, s’enchainant, se défiant. Un concert ne devant jamais finir tant chaque cerf stimulé par la voix des autres et la lune maintenant haute semble vouloir tout donner.

 

Mais l’heure tourne et nous redescendons la colline. De nouveau au bord de la prairie, la nuit maintenant tombée se pare un mètre au-dessus du sol d’une brume nimbée de clair de lune. Atmosphère presque irréelle si l’on ajoute les odeurs de bruyères et d’humus qui montent de la terre humide.

 

Le retour aux véhicule se fait dans le silence, chacun écoutant le chant de la forêt. Dans un endroit dégagé, nous tournons les jumelles vers le ciel. La Grande Ourse au-dessus de ce grand chêne. Le « W » de Cassiopée plus à droite et l’étoile polaire entre les deux. Jupiter, Saturne et la Lune trônent au-dessus de l’horizon sud et le faible halot de la galaxie d’Andromède est aperçu à force de patience.

 

Le retour aux véhicules se fait peu après 23h00. Une soirée brame très fructueuse comme nous l’espérions. Beaucoup d’animaux. Un brame important. Et des sons qui roulent en tonnerre dans toutes les directions. Des instants magiques que nous n’oublierons pas.

 

Liste des espèces

Oiseaux :

Pigeon ramier, Pic vert, Pic épeiche, Corneille noire, Geai des chênes, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Rougegorge familier, Merle noir, Pouillot véloce, Pinson des arbres

Mammifères :

Cerf élaphe

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