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28 février 2021
Les étangs de Saint-Hubert
sous le soleil…
Petit coup de froid ce matin…
La bise souffle et déboule directement du septentrion – du plat pays, celui de Jacques. Elle pousse les dernières feuilles mortes qui traînent encore ici et là – celles que Charles ramasse à la pelle. Avec des chansons en tête, nous remontons le col de nos vestes, enfonçons nos bonnets jusqu'aux oreilles. Si le ciel bleu demeure, la douceur de ces derniers jours a été emportée par le vent.
D'autres chansons nous parviennent : celles des oiseaux. Car si l'hiver n'a pas dit son dernier mot, la gente ailée a compris que le printemps approchait à grands pas et ne compte pas s'en laisser compter par Eole et son haleine glacée. Ca vocalise, ça chante, en sourdine, en séducteurs, en virtuoses – les mâles subissent les assauts de leurs hormones. Ca piaille, ça braille, ça proteste, ça invective, ça interpelle dans un maelstrom de sons aigus ou graves, puissants ou à peine audibles. La diversité de la nature est d'une richesse inouïe.
Les Verdiers d'Europe paradent. Acrobaties aériennes, on tente de se faire remarquer par les filles qui ne montrent par toujours autant d'attention que les gars en attendent. Les Pies bavardes tournent autours d'un bouquet d'arbres et visitent le nid de l'an dernier. Vérification de la structure, mise à l'épreuve de la solidité de l'ensemble, audit des normes en vigueur dans le monde des bêtes à plumes. Madame vérifie la déco et monsieur dresse l'inventaire des travaux à entreprendre avant de penser à y installer sa famille. Mélopée du Rougegorge familier, strophe percutante du Pinson des arbres, voix de stentor du Troglodyte mignon.
Puis nous découvrons les étangs. Deux des six plans d'eau que compte la chaîne des étangs de Saint-Hubert. Creusés dans les années 1680 pour apporter de l'eau aux fontaines de Versailles, ils constituent aujourd'hui la plus grande zone humide du sud des Yvelines. Et un paradis pour les oiseaux.
Vers l'est, le contre-jour est violent. Le soleil se reflète dans l'eau chahutée par la brise. Les roseaux plient mais ne rompent pas. Des Grands Cormorans au plumage noir de jais sont posés sur des piquets de bois à un mètre au-dessus de l'eau. Immobiles comme au Grévin, ils jettent un œil impassible sur les Mouettes rieuses qui virevoltent autours d'eux, les agacent et cherchent à leur ravir leurs perchoirs.
Grandes Aigrettes et Hérons cendrés pêchent le long des roselières. Entreprise moins aisée qu'à l'automne car le niveau de l'eau est bien plus haut aujourd'hui qu'il ne l'était au début de décembre. Les pluies et la neige des trois derniers mois sont heureusement venues compenser en partie le déficit hydrique de l'année 2020. Les échassiers, pourtant nanties de longues pattes, mouillent les plumes du bas ventre.
Cris aigus du Martin-pêcheur derrière nous.
Hiver versus printemps : le choc des Titans !
Vers l'ouest, une lumière dorée sature les couleurs des roseaux et écrase un peu le paysage. Une brume légèrement laiteuse délave la forêt en arrière plan. Sur l'eau, quelques canards vaquent à leurs occupations : quelques Canards souchets reconnaissables à leur large bec en forme de spatule, des Canards chipeaux au plumage anthracite et une dizaine de Sarcelles d'hiver. Des Cygnes tuberculés paradent. Les mâles gonflent leur plumage, disposent leurs ailes en corbeille : charmeurs et entreprenant avec les dames, belliqueux et agressifs avec les autres mâles. Il n'y en aura pas pour tout le monde : la nature ne réserve les plaisirs de la chaire qu'aux plus audacieux. Méthode radicale pour sélectionner génération après génération les individus les plus forts et les mieux armés dans la lutte quotidienne pour la survie.
En sous-bois à l'abri du vent, la température grimpe d'un coup. La tentation est forte de nous installer au soleil et de lézarder. La balade se poursuit toutefois sous les grands arbres dessinés par une lumière crue. Leurs troncs ne sont plus que des silhouettes sombres. Les Pouillots véloces chantent. Les premiers de l'année, fraîchement revenus de leurs quartiers d'hiver : « Chiff-Chaff, Chiff-Chaff... ». Les compteurs d'écus empilent à nouveau leurs deniers les uns sur les autres : un autre indice que le printemps approche.
Le retour sur la digue rime avec le retour du vent. Râ donne généreusement de sa personne mais Eole continue de ruiner ses efforts. Les Dieux se livrent comme chaque année à une lutte de pouvoir qui devrait perdurer tout le mois de mars avec son alternance de giboulées et d'éclaircies radieuses. Les vestes se referment. Trois Grandes Aigrettes quittent la roselière et s'éloignent au vol avant de poser dans une crique et de disparaître à nouveau hors de vue. Un Grèbe huppé vient pêcher un petit poisson sous notre nez. Les photographes auront le temps d'immortaliser la scène avant que l'oiseau ne plonge encore une fois sous la surface pour s'éloigner.
Le retour aux véhicules se fait le long de la rive sud de l'étang, en bordure de la plaine cultivée. Nous y observons la forme des arbres et distinguons ceux enfermés au cœur d'une parcelle forestière – hauts avec des branches en houppier élevées vers le ciel –, ceux de lisière dont les branches sont toutes tournées vers la plaine, et ceux qui poussent isolés et qui arborent une forme arrondie, harmonieuse, pas très hauts mais aux branches étalées dans toutes les directions. La lumière a en effet influencé – dicté – l'ensemble de leur croissance et façonné la silhouette qu'ils arborent aujourd'hui.
La balade s'achève alors que la température s'élève enfin. Les papillons ne devraient plus tarder à sortir de leur retraite pour voler quelques heures durant l'après-midi. Nous n'en avons malheureusement pas aperçu ce matin. Le froid les a contraint à rester cachés dans la végétation, à l'abri du tas de bois ou de la cavité qui leur a permis de passer l'hiver. Car tous les papillons observés si tôt en saison sont des insectes qui ont émergé sous leur forme imago (adulte) avant les premiers frimas et ont hiberné. Ils sortent ponctuellement au cours de l'hiver à la faveur d'une période douce et ensoleillée, étirent leurs ailes, font quelques longueurs pour retourner au chaud dès que le temps se refroidit.
Il est temps aussi pour nous de retrouver la chaleur et d'aller déjeuner. De nouvelles sorties auront lieu durant tout le mois de mars si nous sommes autorisés à sortir. On croise donc les doigts pour nous retrouver prochainement au milieu de la nature.
Liste des espèces
Oiseaux :
Grèbe castagneux, Grèbe huppé, Grand Cormoran, Héron cendré, Grande Aigrette, Cygne tuberculé, Oie cendrée, Bernache du Canada, Canard colvert, Sarcelle d'hiver, Canard chipeau, Canard souchet, Buse variable, Faisan de Colchide, Râle d'eau, Foulque macroule, Mouette rieuse, Pigeon ramier, Tourterelle turque, Martin-pêcheur d'Europe, Pic vert, Pic épeiche, Pic mar, Corneille noire, Pie bavarde, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Tarier pâtre, Merle noir, Grive mauvis, Grive musicienne, Bouscarle de Cetti, Pouillot véloce, Accenteur mouchet, Pipit farlouse, Bergeronnette grise, Étourneau sansonnet, Moineau domestique, Grosbec casse-noyaux, Verdier d'Europe, Chardonneret élégant, Tarin des aulnes, Sizerin cabaret, Bouvreuil pivoine, Pinson des arbres, Bruant jaune, Bruant des roseaux