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20 décembre 2020
Soleil hivernal...
Un départ sous la grisaille…
Le ciel de plomb couvre la forêt et happe une partie de la lumière. Un ciel uniforme comme si un seul nuage suffisait à joindre les quatre horizons entre eux. Pas de nuance. Un voile terne nimbe la forêt et le petit village de Gambaiseuil, notre point de départ. Arbres grisâtres, sans relief. Pourtant, la clairière bruisse de cris d'oiseaux. Peu de chants qui sont généralement réservés à des fins reproductrices lorsque le printemps pointe le bout de son nez. Mais des cris de contact. Des bavardages : « Je suis là », « Ne t'éloigne pas trop », « Il y a à manger ici » ou « Attention danger à gauche »... Des Mésanges charbonnières, des Mésanges bleues, des Sittelles torchepots, un Troglodyte mignon, un Grosbec casse-noyaux... Et même un Bruant zizi, rare en forêt qui chante à tue-tête depuis le sommet d'un épicéa, profitant de la grande douceur de cette journée qui débute. La forêt et ses environs abrite une richesse avifaunistique évidente.
Après avoir doublé une jolie mare aux eaux noires de jais et franchi un ruisseau encaissé en empruntant une solide passerelle métallique, le premier arbre remarquable apparaît à la croisée de deux chemins. Un hêtre âgé de plusieurs siècles étale ses branches dans toutes les directions. Des branches aussi épaisses que les troncs des arbres environnants. Un port fier et typique des arbres ayant poussé la lumière avec de la place autour de lui pour s'étirer à loisir. Une dizaine de Grives litornes passent au vol avec une certaine nonchalance. Leurs cris râpeux impossible à confondre permettent de les identifier sans même les voir. Les oiseaux se rendent probablement dans la clairière de Gambaiseuil que nous venons de quitter. Les prés herbus les attirent. Comme les Merles noirs, elles y cherchent leur nourriture en fouillant l'herbe à la recherche d'un ver de terre, d'une limace ou d'une araignée. A moins qu'elles ne préfèrent un buisson d'aubépine pour en consommer les baies.
Nous poursuivons notre chemin au fond du vallon des Ponts-Quentin. Le ruisseau serpente paresseusement. Son niveau d'eau est anormalement bas pour la saison en raison de la rareté des pluies tombées à l'automne. Si les précipitations ne tombent pas en abondance dans l'hiver et au printemps, les nappes phréatiques seront au plus bas au début de la saison chaude. Une nouvelle catastrophe pour la végétation meurtrie des derniers étés caniculaires. L'amoureux du ciel bleu et de la chaleur que je suis attends avec impatience les dépressions atlantiques pour remplir les mares, gonfler les cours d'eau et reconstituer les réserves avant la sécheresse estivale.
Mais la pluie peut attendre demain !
Alors que nous longeons une parcelle couverte d'épicéas, des cris métalliques caractéristiques parviennent à nos oreilles. Les conversations cessent. On lève les yeux au ciel dans lequel les nuées commencent à se déchirer et apercevons un petit groupe d'une douzaine de Beccroisés des sapins survoler les houppiers. Les femelles sont vertes et bien difficiles à distinguer lorsqu'elles sont posées dans la végétation. Les mâles, eux, arborent un plumage entièrement rouge, vif sur la tête, la poitrine, le ventre et le dos – brique sur les ailes. Une espèce rare en Ile-de-France.
A cet endroit, le ruisseau est à sec. Quelques vasques plus profondes au milieu du lit de graviers sont bien remplies d'eau stagnante, mais rien pour nous rassurer. Puis le chemin devient pentu. C'est la montée sur le plateau. Nous ne sommes pas dans les Alpes, mais les cœurs s'accélèrent et les sacs à dos s'alourdissent. A mi-pente, la pause s'impose pour admirer un arbre exceptionnel. Sans doute le plus majestueux du massif forestier de Rambouillet. Le Chêne de l'Ascension en impose. Un cercle de jeunes arbres l'entoure comme une corolle de pétales blancs ceint le cœur jaune de la marguerite. Une foule de courtisans respectueusement inclinés au pied de leur monarque incontesté. Le roi possède un tronc épais (5,5 mètres de circonférence – divisez par Pi pour connaître le diamètre), droit qui explose en une multitude de grosses branches à environ huit mètres au-dessus du sol. Le houppier foisonne avec la densité et la multitude d'une ombelle de fleur de carotte. L'arbre offre le gîte et le couvert à de nombreuses espèces d'oiseaux et d'insectes. De nombreux animaux doivent même passer l'essentiel de leur existence sur ou à proximité immédiate de lui. Un monde à lui seul.
Un retour sous le soleil…
Achevant de grimper la pente, notre groupe arrive sur le bord du plateau de Montfort. Un chemin nous permet de nous y enfoncer. Le relief s’aplanit totalement. Les quelques pluies de l'automne stagnent encore sur les chemins argileux. Chaussures de marche et bottes en caoutchouc ne sont pas un luxe. Les chaussures de toile s'imbibent lentement mais sûrement. Des petites volées de Tarins de aulnes passent régulièrement au-dessus de nos têtes. Ils se nourrissent des graines qu'ils trouvent au bout des branches d'aulne et de bouleau principalement. Absents à la belle saison, les tarins arrivent en Ile-de-France durant la seconde moitié de septembre et restent chez nous jusqu'au mois d'avril. On les rencontre alors fréquemment en forêt et autour des points d'eau et marais.
Puis sur notre gauche, la longue plainte d'un Pic noir. Long cri aigu constitué d'une seule note tenue une à deux secondes et audible de fort loin. Il est la plus grande espèce de pic en Europe. L'oiseau reste à distance et donc invisible malheureusement.
Sous un ciel où le bleu domine largement, le pique-nique s'organise. Aux pieds de deux grands chênes jumeaux, aux troncs soudés sur le premier mètre puis divergents – le premier à gauche, le second à droite. Assis sur l'humus en ayant pris soin de nous isoler de l'humidité du sol, le repas est pris au soleil. Les rayons chauds frappent nos visages – douceur particulièrement agréable en cette saison où les bains de soleil ne sont plus que des souvenirs lointains.
Le début de l'après-midi nous ramène dans les pentes. Dans le sens de la descente cette fois. Mais les chemins sont bien plus humides ici qu'ailleurs car les sources sont nombreuses dans cette partie de forêt. Les bottes sont comme deux poissons dans l'eau. Les chaussures de marche oscillent entre confiance et prudence. Quant aux chaussures de toile... Les voies d'eau se multiplient.
Un curieux pin apparaît alors en lisière d'une parcelle couverte de résineux – plantation monospécifique. Un curieux pin, donc. Avec un seul tronc mais deux pieds. Ce qu'on nomme une anastomose – connexion entre deux organes, deux structures. Séparés au niveau du sol, les deux arbres se rejoignent et fusionnent à environ 2,5 mètres de hauteur. Pour ne plus former qu'un seul tronc grimpant vers la lumière et atteindre une vingtaine de mètres de haut. Facétie de la nature ou facétie humaine au moment de la plantation ? Difficile à dire. Il en résulte aujourd'hui une singularité que visitent volontiers les promeneurs.
Après la traversée d'un bourbier portant bien son nom, nous changeons de terrain et passons brutalement sur un sol sableux. L'argile est derrière nous. Le sous-bois est désormais bien drainé, les chemins bien plus secs. Les bottes en caoutchouc n'ont plus aucune utilité et ressemblent à un véhicule 4x4 haut sur roues remontant l'avenue des Champs-Elysées. Par contre les chaussures de toile reprennent vie. Chacun son heure de gloire.
La pente s'inverse de nouveau et nous repartons à l'assaut de l'Alpe-d'Huez. La lumière se fait déjà plus rasante alors que l'horloge n'a pas encore sonné trois coup. Mais à vingt-quatre heure du solstice d'hiver, la journée est très courte et le soir s'annonce déjà. Un arbre magnifique apparaît bientôt, en lisière d'une nouvelle plantation monospécifique de Pins sylvestres. Un arbre tout droit sorti d'un roman féerique de Tolkien. Un chêne dont le tronc et les branches sont couverts d'une magnifique mousse verte donnant à cet arbre un aspect magique. On attendrait presque l'apparition d'un elfe ou de toute autre créature fantastique de notre imaginaire.
La fin de la sortie s'achève sous le soleil. Le soleil descend déjà derrière les arbres et le jour n'a plus qu'une heure devant lui. La dernière balade de cette année si particulière s'achève avec l'espoir que 2021 soit plus sereine. En attendant, joyeux Noël à tous et passez de bonnes fêtes.
Liste des espèces
Oiseaux :
Buse variable, Pigeon colombin, Pigeon ramier, Pic vert, Pic noir, Pic épeiche, Pic mar, Corneille noire, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange huppée, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Grive litorne, Grive mauvis, Grive musicienne, Grive draine, Roitelet huppé, Bergeronnette des ruisseaux, Étourneau sansonnet, Moineau domestique, Grosbec casse-noyaux, Tarin des aulnes, Linotte mélodieuse, Sizerin cabaret, Bec-croisé des sapins, Pinson des arbres, Bruant zizi
Mammifères :
Cerf élaphe (traces), Sanglier