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01 octobre 2020

Le calme avant tempête...

Les nuages se disloquent...

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​Le disque du soleil drapé dans un voile de nuages réapparaît en fin d’après-midi après plusieurs jours de mauvais temps. Une forte tempête doit débouler durant la nuit, tout droit venue d’Amérique. Aussi la quiétude de cette soirée apparaît comme irréelle. Pas un souffle d’air n’agite les branches. Pas un battement de cil parmi la végétation. Pas une feuille pour dodeliner de la tête – même mollement.

 

La calme avant la tempête…

 

La douceur ne devrait pas durer. On sent déjà l’humidité monter du sol. La température va sans doute chuter avec le soleil. On emporte des vestes chaudes. Et on se met en route. La mélopée du Rougegorge familier accompagne cette fin de journée. Arrivés massivement du nord de l’Europe pour passer l’hiver chez nous, les rougegorges sont partout et paillent dans chaque buisson. Les mésanges se montrent également en voix : Mésanges bleues, Mésanges charbonnières, Mésanges à longue queue, Mésanges noires, Mésanges nonnettes et deux Mésanges huppées responsables d’un véritable tapage nocturne.

 

Alors que nous longeons les maisons du hameau, un grand cerf apparaît au milieu des fougères. Sans crainte, il nous regarde passer, attendant que nous nous éloignons pour reprendre le cours de son existence. Mais nous l’avons remarqué. Le temps de brandir les jumelles, il tourne les talons et s’enfonce dans la végétation. L’apparition n’a duré que deux ou trois secondes. Un animal magnifique que nous n’avons pas eu le temps d’admirer. Ni de juger. Impossible d’estimer son âge ni de compter le nombre d’andouillers (les pointes sur ses bois – qui ne donne pas l’âge de l’animal). Nous patientons un instant, mais il s’est éloigné.

 

Nous poursuivons notre balade.

 

Le chemin sableux est constellé d’empreintes. Certaines déjà anciennes – passablement érodées par les dernières pluies –, d’autres plus fraîches. Des sangliers identifiables aux deux ergots qui marquent le sol en arrière du sabot. Et des cervidés : biches et cerfs. Le secteur est fréquenté. A 19h10, un cerf ouvre le bal : brame sur notre gauche. Une belle voix. Rauque. Un cerf adulte à quelques centaines de mètres de nous. Nous l’entendons d’abord faiblement puis très distinctement. L’animal s’est sans doute tourné pour bramer dans notre direction. Pour certains d’entre nous, cette sérénade est une grande première.

 

Sous le charme, nous poursuivons notre périple et parvenons bientôt en lisière d’une clairière. Des châtaigniers et des chênes chargés de fruits surplombent le parterre de graminées. Un véritable garde-manger particulièrement fourni qui nourrit les animaux de ce petit coin de forêt. Aucun cervidé n’est pour le moment à découvert. La clairière – vide – se prépare pour la nuit. La lumière baisse rapidement et nous espérons que le maître des lieux se montrera avant que l’obscurité ne se referme sur les lieux.

 

L’attente commence…

 

Nous profitons du creux pour pique-niquer. Sandwiches et salades divers sortent des sacs et le groupe s’installe à couvert pour rester aussi discret que possible. Mais nous veillons, gardant toujours un œil sur la clairière.

 

A 19h30, une alerte silencieuse est lancée : un animal est à découvert. Le cerf dominant dîne sur sa place de brame. Six andouillers sur le bois gauche, cinq sur celui de droite : le onze qui occupe la clairière depuis le début du mois de septembre est toujours en place. Il arbore le calme et l’assurance du seigneur de la place. De celui a n’a plus rien à prouver et dont on ne conteste plus la légitimité. La tête baissée, monsieur grignote tranquillement les herbes séchées par la torpeur de l’été. Les appareils photos cliquent à chaque fois qu’il se redresse pour jeter un œil blasé sur son domaine.

 

A 19h45, cette paix angélique vole en éclat.

 

Une voix très grave, pleine, profonde retentit à quelques dizaines de mètres derrière « Onze ». Ce dernier perd d’un coup son assurance. Cessant de manger, il relève la tête, se retourne et fouille les ténèbres du sous-bois, cherchant celui qui ose pénétrer sur son territoire. La réponse ne se fait pas attendre. Un cerf d’une puissance inouïe sort sur sa droite. Un corps très massif, musculeux. Le cou recouvert d’une véritable crinière de lion, le garrot proéminent. Et des bois épais, immenses, aussi fournis que la charpente d’une cathédrale gothique. Difficile de compter le nombre d’andouillers : seize, peut-être dix-huit. Voire vingt. Nous sommes aussi éberlués que Onze. Bien qu’en passant trois ou quatre soirées hebdomadaires sur cette clairière, le guide – moi – ne connait pas cet animal majestueux. Un nouveau venu sorti dont ne sait où s’invite à la fête.

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Onze n’est pas encore remis de sa surprise. Toujours immobile, il contemple le roi – incrédule. Si un cerf de moindre corpulence avait pénétré sur sa place de brame, il lui aurait foncé dessus pour le chasser. Mais la puissance de l’intrus le cloue sur place.

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Quand tout s’accélère…

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C’est alors que de forts craquements trouent le silence. Deux animaux arrivent au grand galop, dévalant la pente sur notre gauche. Une biche passe en courant à vingt mètres de nous. Sur ses talons, un petit cerf satellite – les bois encombrés de fougères qui sont restées accrochées là quand il a bataillé avec la végétation sous l’emprise de l’excitation. Ce minot de moindre force profite de la confusion qui règne au milieu de la clairière pour tenter sa chance. Madame ne partage pas l’empressement du freluquet, lui échappe en traversant l’espace découvert et se réfugie derrière les deux cerfs adultes. Le gamin jette l’éponge et s’éclipse rapidement en sous-bois. Courageux, mais pas téméraire. Ce ne sera pas pour cette année.

 

Onze a recouvré ses esprits. Il est chez lui après tout. La harde est sienne et il ne peut tolérer une telle irruption. Il doit combattre. Les deux belligérants se jaugent en une marche parallèle. Ne se quittant pas des yeux. Quand tout à coups, les deux cerfs font volte-face et baissant la tête se rencontrent dans un fracas qui résonne au milieu du silence du crépuscule. Près du sol, les combattants fourragent et tentent de prendre l’ascendant sur l’adversaire. Mais le combat est par trop inégal. Le roi pèse au moins cinquante kilogrammes de plus que Onze. Ce dernier se relève au bout de quelques secondes et recule.

 

Il est vaincu !

 

Pour lui, le brame est terminé. Le champion relève alors la tête et pousse un long coup de gueule. Un brame qui roule sur la forêt comme le tonnerre. Onze ne pouvait gagner. Il n’avait aucune chance mais ne pouvait se résigner à se retirer sans un baroude pour l’honneur. Le roi regagne le sous-bois, rejoindre la harde de biches qui est maintenant sienne. Au printemps prochain, les faons n’auront pas tous le même père. Ces rivalités engendrent une diversité génétique salutaire.

 

Cette scène qui noircit déjà tant de lignes s’est déroulée en cinq minutes à peine. Tout est allé très vite. Les événements s’enchainant à toute allure. Si les heurts de voisinages sont réguliers, il est rare d’assister à une telle passe d’arme. D’être là, juste au bon endroit au bon moment. Que la scène se déroule à découvert. Et avant que la nuit ne se referme. Cette sortie est placée sous une bonne étoile.

 

Et puisqu’il s’agit d’étoiles, le ciel s’est découvert et se pique de petits points lumineux. La nuit tombe. La voûte céleste s’assombrit. Nous reprenons notre marche, le roi ayant choisi de rester dans l’intimité de la forêt à faire connaissance avec son nouveau harem – on ne peut le lui reprocher. Au sommet de la pente dévalée plus tôt par le freluquet amoureux, nous nous arrêtons de nouveau pour écouter. Trois cerfs brament dans la parcelle forestière devant nous. Trois voix bien différentes qu’il n’est pas difficile de distinguer. Une voix profonde et très grave sur notre gauche. Une voix plus rauque et moins pleine devant nous, au centre. Et une petite voix plus aigüe sur notre droite. A tour de rôle, les animaux crient leur émulation fébrile. Exhortent les deux autres à rester à distance. Et essaient de charmer ces dames.

 

Mais le cerf de gauche et celui du centre se rapprochent davantage l’un de l’autre à chaque nouveau brame. Ce qui devait arriver arrive alors : bruit de bois qui s’entrechoquent. Les deux cerfs marquent la frontière de leur territoire respectif. Ce n’est pas un combat de conquérant comme le premier, mais de simples chamailleries de riverains qui s’invectivent par-dessus la haie de thuya taillée au cordeau. Tu retournes chez toi assène le premier. Et toi, tu diras à cette demoiselle de cesser de me faire de l’œil. Et avant de tourner les talons, d’ajouter un juron que je me refuse à reproduire ici.

 

Aux environs de 21h00, la lune – pleine – s’extirpe des derniers lambeaux de nuages et se hisse au-dessus des arbres. Sa lumière blanche inonde alors la forêt. Des ombres s’étirent comme en plein jour. Une Chouette hulotte se réveille et pousse un hululement, contribuant à la magie de l’instant. Les cerfs poursuivent leurs vocalises, mais peu avant 22h00, le calme retombe sur les environs. Plus un bruit ne parvient à nos oreilles. Nous entamons notre retour sous un ciel où peu d’étoiles rivalisent avec la clarté de notre satellite. L’étoile polaire au nord, dans le prolongement du bord externe de la Grande Ourse. Le triangle des belles d’été plus tout à fait au zénith. Arcturus – la orange – sur l’horizon occidental. Au sud, Jupiter brille de mille feux. Ses quatre satellites galiléens sont bien visibles aux jumelles. Sur sa gauche, Saturne est un peu plus pâle. Au nord-est, Mars vient de se lever.

 

Vers 22h45, nous rejoignons nos véhicules, achevant de boucler la boucle. Un cerf brame encore au loin. Un coup de chance invraisemblable sur lequel nous n’aurions jamais parié ce matin encore lorsque la forêt était traversée par des pluies battantes. Une soirée qui restera dans nos esprits. Merci à tous d’être venus.

 

Liste des espèces observées :

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Oiseaux :

Canard colvert, Buse variable, Pigeon ramier, Chouette hulotte, Pic épeiche, Corneille noire, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange noire, Mésange huppée, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Pouillot véloce, Pinson des arbres

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Mammifères :

Cerf élaphe, Lièvre d’Europe

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