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17 septembre 2020
Au cœur du brame...
Un début en fanfare...
L’après-midi tire à sa fin. Et en cette mi-septembre, la soirée débute déjà : les jours ont beaucoup diminué depuis le solstice d’été. La végétation – très sèche – se pare déjà d’automne. Des feuilles racornies, brunies s’accrochent encore aux branches alors que d’autres – mortes – jonchent le sol depuis les chaleurs du mois de juillet. Des arbres virent déjà au jaune, au brun.
La chaleur de la journée – près de 30°c – perdure encore et laisse supposer une douce soirée d’arrière-saison. Le ciel est clair, sans nuage ni voile. Le vent souffle du nord-ouest et agite les houppiers. Le bruit des feuilles malmenées étouffe un peu les sons de la forêt. Les oiseaux sont peu audibles : un Pinson des arbres ici. Un Grimpereau des jardins là.
Nous ne sommes en marche que depuis quelques minutes que le brame débute. Un long raire est poussé sur notre droite. Il est 19h00 : le bal est lancé ! Comme par magie, la forêt s’anime. La brise faiblit, les branches s’immobilisent et les sons prennent de l’ampleur, enflent pour s’approprier l’espace. Un second cerf répond rapidement au premier. Joute orale pour se défier, occuper sa place de brame, garder sa harde de femelles et – pourquoi pas – en ravir une ou deux à son concurrent. Deux autres se précipitent sur la scène pour faire valoir leurs droits. Et parce que l’excitation est communicative, ce sont rapidement cinq ou six cerfs qui brament de concert.
Le groupe tente d’écouter aussi un peu les oiseaux qui volettent de branche en branche. Mais les mammifères en ont décidés autrement ce soir. Les voix fortes se répandent partout, roulent au loin et couvrent tout le sous-bois. Impossible pour un Pouillot véloce à la voix fluette de se faire entendre dans ce vacarme.
Car on parle de vacarme ce soir !
Tout au long de notre sortie et jusqu’à ce que le groupe se sépare peu après 23h00, les cerfs ne laisseront aucun répit à la forêt. Aucun temps mort, aucun creux dans un brame exceptionnel de beauté et d’intensité. Les cerfs hurlant à la nuit à tour de rôle ou tous ensemble mêlant leur voix en une clameur extraordinaire. Pas un instant de silence en quatre heures d’écoute.
Le Pic vert et son rire très sonore surpasse l’espace d’une seconde la frénésie qui se joue. Deux ou trois Corneilles noires traversent au vol l’espace découvert au-dessus du chemin sableux que nous suivons. Un Pigeon ramier vient lui aussi à notre rencontre pour s’évanouir l’instant suivant, happé par la forêt. Pour le reste, il nous est presque impossible de nous concentrer sur autre chose que le brame. Le guide – moi – a même souvent du mal à en placer une, un cerf venant immanquablement me voler la vedette lorsque je tente une explication sur un thème ou un autre.
Alors que certains soirs, nous battons en vain la forêt des heures durant…
C’est ce qui fait le sel des sorties en pleine nature. La forêt n’est pas un jardin zoologique où les animaux s’observent sans peine. En forêt il y a les jours avec et les jours sans. Nous devons l’accepter. Ce soir est une sortie « AVEC ». Et les majuscules sont intentionnelles.
Il nous faut une heure pour parvenir à la lisière d’une belle clairière. A 20h00, nous jetons un coup de jumelles sur les graminées jaunies par l’été. Rien. Les lieux sont désert. Pas de biche. Le maître des lieux n’est pas encore là. Il brame un peu plus haut, à quelques centaines de mètres de nous. Nous allons devoir patienter…
Le pique-nique s’organise donc. Sandwiches et salades sortent des sacs alors que la pénombre descend lentement sur nous. Une pause culinaire dans l’émerveillement qui nous a tenu en haleine jusqu’ici. Mais Dame Nature se montre décidément généreuse ce soir. Les victuailles sont à peine entamées qu’une biche et son faon sortent de la forêt et s’avancent au centre de la clairière. Rapidement, une seconde biche est repérée. Puis une troisième. Le soleil est couché depuis quelques minutes mais la luminosité est encore suffisante pour nous permettre de belles observations.
Le roi de la forêt…
Lorsqu’une voiture arrive sur le chemin tous phares allumés. S’arrête au bord de la clôture (la clairière est privée) : le propriétaire rentre chez lui. Descente de voiture, claquement de portière, ouverture du portail, redémarrage… La voiture longe la clairière et s’éloigne en forêt en direction d’une maison invisible depuis le chemin. Notre groupe – inquiet de ce grain de sable – n’a pas quitté les biches des yeux. Les animaux – attentifs – n’ont pas bougé d’un mètre. Les adultes en alerte fixaient la voiture mais le faon a continué de brouter l’herbe comme si la tranquillité des lieux n’avait pas été troublée. Pas de raison de paniquer alors que sa mère n’a pas manifesté de peur alarmante. L’épisode relativise l’impact humain sur les animaux. Ceux-ci sont habitués à voir le propriétaire rentrer chez lui. Habitués à l’entendre claquer sa portière. Habitués à être éblouis un instant pas les phares de son véhicule. Mais ces péripéties n’ont jamais été associées à un danger : jamais suivie d’un coup de feu ou de la moindre poursuite, traque et risque de mort violente. Peu à peu, les animaux ont donc intégré ces perturbations dans leur quotidien, réclamant vigilance mais ne nécessitant pas de réaction immédiate comme la fuite.
Le véhicule parti, les biches reprennent leur repas. Lorsque qu’un second événement intervient. Cette fois, les biches se mettent en mouvement. S’éloignent en tous sens au petit trot. Nous ont-elles aperçus ? Oui, bien sûr : elles nous ont vu dès le moment où elles sont sorties du bois. Et ont gardé un œil sur nous depuis lors. Nous ne sommes pas l’élément perturbateur.
Alors ?
La réponse ne tarde pas. Un grand cerf trône au milieu de la clairière. C’est lui qui a provoqué la réaction des biches. Un animal majestueux au grands bois magnifiques. Un port altier, superbe. Le roi de la clairière vient d’entrer en scène. Propriétaire des lieux et des biches présentes sur son territoire. Sûr de lui et bien décidé à profiter de son statut de mâle dominant, il sème rapidement la zizanie dans la harde. Poursuit une femelle qui lui échappe, reporte ses désirs sur une seconde qui prend le large à son tour. Monsieur, au comble de l’excitation, fourrage vigoureusement les herbes de ses grands bois. Quand il relève la tête, des touffes sont encore accrochées à ses andouillers.
Tout à coup, l’animal relève la tête et brame longuement. Un chant jeté dans la nuit. Envoûtant. Et si proche (le cerf est à cent mètres devant nous). Puis, reprise de la course poursuite. Les biches sont harcelées. Les animaux – une dizaine – bougent sans cesse. Autour de nous, quatre ou cinq autres ténors brament tout ce qu’ils peuvent. L’ambiance est magique dans ce début de nuit qui s’épaissit maintenant assez vite. Nous sommes à la nouvelle lune et les seules lueurs sont celles – au nord-ouest – du soleil qui s’enfonce de plus en plus loin sous l’horizon et – au nord-est – de Paris et la Petite Couronne qui viennent d’allumer leurs éclairages urbains.
Bientôt, l’obscurité se fait trop grande pour les observations. Le cerf n’est plus qu’une vague masse sombre. A peine une silhouette qui se découpe encore timidement sur les herbes plus claires. Une Chouette hulotte hulule mais son chant couvre à peine le tapage. On doute presque de l’avoir entendu.
Nous reprenons notre marche. De nuit. Quelques lampes de poche ont fait leur apparition. Braquées sur le chemin, elles nous permettent d’éviter les embûches et de palier à l’absence de la lune.
Nous bouclons notre périple peu après 23h00. Une Chouette hulotte toute proche chante et parvient cette fois à se faire entendre. Oiseaux de nuit et mammifères vont sans doute poursuivre le spectacle jusqu’au matin sauf si un entracte coupe la nuit en deux. Merci à tous d’être venus vivre et partager cette si belle soirée. En espérant qu’il y en ait d’autres comme celle-ci au cours de nos sorties à venir.
Liste des espèces observées :
Oiseaux :
Buse variable, Pigeon ramier, Chouette hulotte, Pic vert, Pic épeiche, Corneille noire, Geai des chênes, Grimpereau des jardins, Rougegorge familier, Roitelet huppé
Mammifères :
Cerf élaphe