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03 septembre 2020

Première soirée de brame...

La soirée tarde un peu à se mettre en place…

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Le soleil est encore haut dans le ciel même si la lumière de l’après-midi s’adoucit. Se fait moins crue. Les rayons obliques jaunissent peu à peu. Transpercent les feuilles des arbres de part en part, les dessinent, les magnifient. Quelques nuages de beau temps dans un ciel azuré. Et une chaleur lourde, vestige de l’été qui décline mais qui ne s’est pas retiré encore.

 

Il est 18h45 et des oiseaux retrouvent de la voix. Après la torpeur de juillet et d’août, la gente ailée se montre plus volubile. Des « uit » de Pouillots véloces. Des « uit » de Sittelles torchepots. Toujours des « uit » mais de Pinsons des arbres cette fois. Onomatopées qui ne se distinguent guère des autres sur le papier mais qui sont bien identifiables au milieu de la forêt.

 

Les Callunes communes – l’une des deux espèces de bruyères de la forêt – sont en pleine floraison. Des branches noueuses constellées d’une myriade de fleurs minuscules de couleur parme. Formant des buissons bas délicatement éclairés par la lumière du soir. Les contre-jours sont fabuleux. Les appareils photo sortent des sacs et immortalisent l’instant.

 

Le chemin forestier s’enfonce en forêt. Les nuages se muent progressivement en voile plus épais à chaque minute. La lumière baisse avec l’heure qui avance. A un carrefour, un lièvre décampe dans le sous-bois. Mais sans panique. Quelques bonds mollement exécutés laissant à la tortue toutes ses chances de gagner la course.

 

En lisière, un petit étang est le théâtre d’un grand rassemblement d’oies. Des Bernaches du Canada pour l’essentiel. Plus de 80 déambulent maladroitement sur les berges ou nagent gracieusement sur l’eau troublée d’aucune ride. Des Poules-d’eau picorent ici et là dans l’herbe rase. Des Ragondins – parfois énormes – sillonnent eux aussi l’onde ou grignotent quelques végétaux sur le bord. Au moins trois libellules de belle taille nous tournent autour. Elles chassent. Avec ardeur. Multipliant les allers-retours, les changements de direction au frein à main et les accélérations fulgurantes. Difficile de les trouver dans l’oculaire de nos jumelles. Et encore plus ardu de les cadrer dans le viseur de l’appareil photo. Les Aeschnes bleues comptent parmi les plus grandes espèces de France avec une envergure de dix à onze centimètres.

 

Alors que nous nous enfonçons à nouveau en forêt, nous scrutons le sol qui défile sous nos pas. Peu de traces sur le chemin sableux. Le plateau que nous traversons ne semble pas encore très fréquenté par les cerfs qui ne sont qu’au début de leur période de rut. Tous ne sont pas encore arrivés sur scène. Les coulisses bruissent encore de quelques nouveaux arrivants qui vont tenter de se faire une place parmi les cadors. Et de cadors bien décidés à en découdre pour reprendre leur place au centre de l’arène.

 

A 20h25, premier coup de gueule. Un cerf au loin vient de trouer le silence du crépuscule. Nous espérons qu’il lance les hostilités. Qu’il titille ses concurrents. Qu’il les pousse à entrer dans ce jeu de séduction qu’est le brame. Nous patientons une minute. Deux. Trois. Cinq… Rien. Le soufflé est retombé. Il est encore tôt : nous poursuivons notre marche.

 

Devant la clairière au bord de laquelle nous souhaitons pique-niquer, un couple avec deux enfants sont déjà à l’affût. Leur voiture garée à quelques mètres histoire de limiter la marche au maximum. Et de gagner du temps. Le brame est pour ces consommateurs un spectacle grandeur nature avec la zappette à la main pour changer de programme en quelques minutes si la patience s’émousse. Et elle s’émousse rapidement. On remballe les enfants, on claque les portes, on relance le moteur et on quitte les lieux dans les vapeurs de diesel.

 

Notre groupe oscille entre soulagement de nous retrouver seul et incompréhension face à de tels comportements. Malheureusement, le silence est de nouveau rompu quelques minutes plus tard. Une quinzaine de cavaliers perchés sur leurs montures ferrées de fers cliquetants s’invitent et viennent occuper en ligne les gradins de devant. Un peu en mode « pousse toi que je m’y mette ». Nous changeons de crèmerie et décidons de dîner un peu plus loin. Plus au calme. Mais alors que la nuit tombe, des phares trouent l’obscurité et une voiture s’avance sur le chemin forestier inégal. Des citadins qui tentent d’écouter la brame toutes fenêtres baissées et sans quitter l’habitacle. Non, ils n’ont rien entendu et espéraient notre concours pour les guider au plus près des cerfs. Passage aller et passage retour sur le chemin des cavaliers pour continuer et la forêt recouvre un peu de sa quiétude.

 

Mais tout vient à qui sait attendre…

 

L’apothéose arrive sous la forme d’un feu d’artifice. Des pétards tirés au loin claquent dans l’air chaud. Car l’extraordinaire fréquentation de la forêt en cette soirée de semaine n’est pas notre seul problème. Le ciel couvert garde la chaleur solidement ancrée au sol. Il fait chaud, lourd. L’atmosphère moite n’est pas faite pour exciter les cerfs qui préfèrent la fraîcheur d’une soirée d’automne.

 

Mais nous ne nous avouons pas vaincus.

 

La nuit – contre toute attente – ne s’obscurcit pas avec les heures qui défilent. Il est 22h00 et la lune se lève. Passe au-dessus des arbres et se fraie un chemin entre les nuages qui choisissent ce moment pour se disloquer. Avec stupéfaction, car nous n’y croyions plus, la couche nébuleuse s’évacue on ne sait trop comment et laisse place à un ciel clair dans lequel la lune pleine à 97% brille sans partage. La température s’infléchit enfin.

 

Et les cerfs se réveillent !

 

Au centre de la clairière au bord de la laquelle nous sommes de nouveau postés, une ombre surgit. Pas une forme. Ni même une silhouette. Une ombre avec un petit rien de fantomatique. De surnaturel. Au XVIIIème siècle, nous nous serions signés espérant repousser le malin tant la nuit et ses ténèbres étaient associées au mal, à l’enfer. Aujourd’hui, nous avons brandi nos jumelles. Tenté de percer l’obscurité, profitant des rayons de lune. Mouvement vers la gauche. La forme se déplace lentement. Glisse le long de la légère pente qui coule de la forêt. Le cerf s’avance, se positionne au centre de scène. Et se met à bramer. Il n’est pas à cent mètres. Son cri rauque, puissant nous arrive clair, envoutant. Impressionnant.

 

Nous demeurons là à écouter le ténor. Pendant ce temps, quelques étoiles s’allument sur la voûte céleste. Seules les plus brillantes osent défier la lune et sa clarté blafarde. Vers 22h30, nous tournons les talons et repartons en direction des véhicules. Mais quelque-chose se passe. Une voix perce sur notre gauche. Une seconde sur notre droite, deux autres devant nous. Jusqu’à cinq ou six cerfs entament une polyphonie que nous n’espérions plus.

 

Nous avançons lentement. Stoppant fréquemment pour écouter les cerfs qui jalonnent notre chemin. Au moins huit différents. A la fin de notre périple, notre dernier soliste s’approche davantage que les autres. Pourtant nos pas résonnent sur le chemin caillouteux. Pourtant nos silhouettes doivent être visibles au clair de lune. Pourtant le vent ne nous est pas favorable et emporte nos odeurs dans la direction de l’animal qui ne peut ignorer notre présence à ses côtés. Le cerf n’en a cure. Il brame. A une distance difficile à estimer dans le noir. Probablement pas plus de cinquante mètres. Sans doute moins car nous entendons sa masse se déplacer dans le sous-bois. Ses pattes fouler le bois mort et les feuilles sèches au sol. Son corps frotter les buissons. Sa ramure choquer les branches basses.

 

Ce cri – ce chant – d’un cerf distant de quelques dizaines de mètres dans la nuit (il est plus de 23h30) a tout de féerique. Il prend aux tripes. Fait vibrer chaque partie de nos corps qu’il traverse pour aller se perdre dans la profondeur de la forêt derrière nous. La Chouette hulotte mêle son chant à celui du mammifère. Des « ouh » qui achèvent de créer la magie d’un moment qui se prolonge quelques minutes avant que nous nous éloignons. Car l’heure tourne et que nous risquons de déranger le cerf en prolongeant la rencontre plus que de raison.

 

Nous nous séparons alors que Cendrillon dévale affolée le grand escalier, perdant derrière elle sa pantoufle de vair. La soirée – mal partie – a changée du tout au tout lorsque la forêt a trouvé sa quiétude et que la lune est sortie de ses limbes. Nous ne sommes qu’au début du brame et il n’est pas rare de devoir être patient pour attendre le milieu de la nuit tant que le rut n’est pas tout fait installé. Une belle soirée – donc – qui lance la saison 2020.

 

Liste des espèces

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Oiseaux :

Oie cendrée, Bernache du Canada, Canard colvert, Gallinule poule-d'eau, Pigeon ramier, Chouette hulotte, Pic épeiche, Corneille noire, Mésange bleue, Mésange charbonnière, Mésange huppée, Sittelle torchepot, Troglodyte mignon, Grimpereau des jardins, Pinson des arbres, Rougegorge familier, Pouillot véloce

 

Mammifères :

Cerf élaphe, Lièvre européen, Ragondin

 

Libellules :

Aeschne bleue

 

Orthoptères :

Grande Sauterelle verte, Grillon des bois

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