Début de soirée...

 

Le ciel est bleu, pas l'ombre d'un nuage de Brest à Strasbourg. Les pointes des arbres sont vaguement agitées par un vent tout aussi vague. Lumière oblique diffusée par un soleil qui s'approche lentement de l'horizon. Températures douces pour achever de planter le décor : voici ce qu'on appelle une très agréable soirée printanière.

 

Notre groupe s'engage sur un chemin empierré, direction sud-ouest. Face au couchant, dans un très beau contre-jour qui dessine chaque feuille, les transpercent et les rend transparentes. Chaque tronc est enveloppé d'une auréole presque divine. Les ombres côtoient les zones vivement éclairées. C'est le paradis des contrastes et le cauchemar du photographe qui ne sait comment régler son appareil.

 

Beaucoup d'oiseaux chantent encore à cette heure-ci. Le Pouillot siffleur et ses trilles fébriles. Le Rougegorge familier et sa mélopée nostalgique. Le Merle noir et sa mélodie harmonieuse faite de notes graves, traînantes et sonores. Le Pouillot véloce et ses écus qu'il empile patiemment avec la régularité d'un métronome. Peu à peu les oiseaux vont se taire et le monde diurne va progressivement s'endormir pour laisser la scène au peuple de la nuit. Une relève que nous sommes venus observer.

 

Pour le moment le soleil est encore haut et les jeunes Pics épeiches hurlent leur faim depuis le nid familial : un trou d'environ quatre à cinq centimètres de diamètre creusé dans le tronc d'un chêne. Les oisillons déjà plumés n'ont rien de discrets et attirent l'attention des naturalistes comme des prédateurs – qui ont eux aussi des bambins à nourrir. Nous nous éloignons afin de permettre aux parents qui nous observent probablement de venir ravitailler leur marmaille bavarde.

 

Un peu plus loin, dans les hautes branches d'un autre chêne, du rififi chez deux oiseaux qui n'ont pas l'air copains. Poursuites et vociférations pour ces Gobemouches gris. Sans doute un conflit de territoire. Un voisin casse-pied ou peu respectueux des limites. Car si les pics ont déjà des jeunes à nourrir, d'autres espèces plus frileuses sont rentrées depuis peu d'Afrique où elles ont passé la mauvaise saison. Les Gobemouches gris sont parmi les plus tardifs à revenir en forêt de Rambouillet : généralement au cours de la première quinzaine de mai. Parfois un peu plus tard encore. Les deux belligérants débutent donc leur nidification : borner les propriétés, rencontrer une dame, la séduire... Le reste suit dans le courant de juin.

 

Notre repas à nous se déroule au sommet d'une grande pente sableuse : un large chemin encadré de forêts de Pins sylvestres. Des Pinsons des arbres vadrouillent au-dessus de nos têtes, eux aussi en quête avide de nourriture pour une progéniture insatiable. La Grive musicienne chante. Un des plus beaux répertoires en France – mélodie riche en variations.

 

Dans une belle clairière à végétation basse, plusieurs Pouillots fitis chantent à la cantonade. Chez eux, plus de dispute. Ils sont là depuis la fin du mois de mars et les voisins vivent maintenant dans le respect de l'autre. Depuis un haut pin demeuré seul au centre de la parcelle, un Pipit des arbres nous émerveille. Il s'élance de la plus haute branche, grimpe en chandelle en émettant un chant montant en fréquence avant de se laisser tomber en parachute pour revenir à son point de départ. Monsieur surveille son fief et fait savoir à la ronde que ce petit bout de forêt est à lui. Ce n'est évidemment pas un besoin de posséder comme celui qui anime l'être humain mais une nécessité bien plus pragmatique : celle de se nourrir et de nourrir ses jeunes – « son » territoire étant la surface nécessaire et suffisante à la survie de la famille.

 

La nuit tombe...

 

Même si le soleil n'est pas encore officiellement couché, l'ombre progresse déjà. L'astre descend derrière les plus hauts arbres, happé par la forêt. Les Pouillots se sont tus. Les fauvettes aussi. Le Coucou et le Rougegorge familier vont chanter jusqu'à la nuit. A 21h00, un Engoulevent d'Europe chante brièvement, jetant quelques notes à l'attention des promeneurs venus l'observer : il est là, rassurons-nous !

 

Parvenus au centre de la parcelle sur laquelle un engoulevent à l'habitude de chanter, nous débutons une attente dont nous ne pouvons prévoir la durée. Il est 21h35. Peu probable que le mâle entre en lisse avant 21h50. Voire 22h00. Ce qui nous laisse au bas mot un quart d'heure à lutter contre les moustiques qui viennent de nous repérer. Fort heureusement, le vent léger du début de soirée souffle toujours et limite beaucoup ces nuisances. Au final, nous ne souffrons pas trop. Vers 22h10, un engoulevent débute son chant. Mais il est loin. Plusieurs centaines de mètres. Le « notre » ne daigne pas montrer le bout de son bec pour le moment. Mais il doit s'y trouver puisqu'il a été entendu au même endroit douze jours plus tôt, à la fin du confinement. Seulement, l'interdiction de se déplacer sur plus de cent kilomètres a déversé en forêt un flot extraordinaire de citadins en mal de verdure. Une fréquentation tout à fait inédite de promeneurs se rendant habituellement en d'autres régions (la côte, notamment). Les sous-bois, après un calme tout aussi inédit, viennent de connaître un dérangement sans précédent. Cela a sans doute bouleversé la faune. Et notamment les engoulevents qui nichent au sol. Les chiens non tenus en laisse qui divaguent dans les parcelles sont responsables d'un mal aussi réel qu'involontaire. « Notre »engoulevent est-il toujours là ?

 

L'oiseau éloigné de nous poursuit son chant. Nous décidons de nous déplacer et de nous en approcher. Quelques minutes plus tard, nous ne sommes plus qu'à une cinquantaine de mètres, presque sous l'arbre où repose l'oiseau qui nous inonde des ses notes ininterrompues. Nous n'approchons pas davantage afin de ne pas le stresser inutilement. Le chant ressemble à un long bourdonnement, grave et très sonore qui porte loin. Un son extravagant qui – à la nuit tombée – confère à la forêt baignée d'un beau clair de lune une atmosphère empreinte de magie et de surnaturel. Pas si étonnant que tant de légendes et croyances fantastiques soient nées en de tels instants.

 

Au-dessus du chemin, dans une longue trouée, un ballet de chauve-souris débute. Les mammifères ailés multiplient les allers-retours, se gavant des insectes nocturnes qui volent dans la lumière argentée. Au moins six ou sept tournent inlassablement. Très forte taille avec une grosse tête et de grandes oreilles bien visibles. L'engoulevent s'envole à ce moment en poussant un « couac » typique et claque ses ailes l'une contre l'autre. Les petites taches blanches au bout de ses doigts sont bien visibles. C'est sa parade. Madame doit le regarder et monsieur ne peut s'empêcher d'en ajouter un peu. Un truc vieux comme le monde qui affecte une bonne partie du règne animal.

 

Sur le chemin du retour, nous retrouvons le couple d'engoulevents que nous guettions. Il est donc bien là mais s'est déplacé de trois-cents bons mètres. Le dérangement a donc bien eu un impact sur lui et la place de chant initialement occupée a sans doute été abandonnée. Point à vérifier lors de soirées futures.

 

A notre retour aux véhicules, des Grenouilles vertes chantent dans une mare privée au milieu d'un jardin invisible du parking. Une clameur s'élève dans la nuit. Au zénith, la Grande Ourse brille et la constellation du Lion, au sud, accueille le premier quartier de lune. La quiétude revient peu à peu. Encore un dernier week-end tumultueux et les restrictions géographiques seront levées permettant à tous de reprendre la route de son havre de paix personnel. Les forêts d'Ile-de-France pourront alors souffler à nouveau et se contenter de ses habitués.

 

Liste des espèces

 

Oiseaux :

Faucon crécerelle, Pigeon ramier, Coucou gris, Engoulevent d'Europe, Pic épeiche, Pic mar, Hirondelle rustique, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange huppée, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Grive musicienne, Grive draine, Fauvette à tête noire, Fauvette des jardins, Pouillot fitis, Pouillot véloce, Pouillot siffleur, Gobemouche gris, Accenteur mouchet, Pipit des arbres, Moineau domestique, Pinson des arbres

 

Amphibiens :

Grenouille verte