top of page

78

10 novembre 2019

De la grisaille

dans la couleur... 

Avez-vous des chaussures imperméables ?

​

« Pourquoi cette question ? Pour tout vous dire, je ne sais pas ». 

 

La sortie du jour apportera certainement une réponse à cette question primordiale. Dès le départ, les chemins gorgés d’eau obligent le groupe à avancer précautionneusement. A zigzaguer. La terre lourde retient l’eau en surface. Eau qui s’accumule sous forme de flaques, de mares, remplit les ornières, détrempe la végétation, transforme le chemin en bourbier. Godillots et bas de pantalon souffrent. Les premières chaussures accusent déjà le coup – montrent des signes de faiblesses. Humidité certaine à gauche. Voie d’eau à droite. Pour les autres, le suspens nous tient encore en haleine.

 

Dans la plaine menant au sous-bois, des Pipits farlouses glanent leur nourriture au sol. Discrets, ils ne révèlent leur présence que par leurs petits cris aigus poussés à l’occasion d’un envol. Au-dessus, un Faucon crécerelle veille. Un œil sur le vieux chaume bruni. Les ailes battant d’un mouvement rapide pour maintenir l’oiseau en vol stationnaire. Chasse de haut vol. Quête du petit déjeuner.

 

La lisière atteinte, notre groupe pénètre en sous-bois. L’automne jaunit les grands chênes. Pare d’or les charmes aux feuilles finement dentelées. Les Alisiers torminaux se teintent eux de rouge, d’orange tandis que les hêtres – les plus beaux d’entre tous – s’illuminent au milieu de la grisaille ambiante.

 

Car la météo n’a pas souhaité nous jeter du soleil. Préférant le crachin breton, la bruine normande, la grisaille du septentrion. Novembre glisse dans l’hiver, abreuve la nature assoiffée par un été torride, remplit les nappes phréatiques en prévision des sécheresses de l’an prochain. Les pieds dans la bouillasse, les vêtements humides et les lunettes de vue maculées de fines gouttelettes, nous avançons dans une aube interminable qui menace de se fondre en un crépuscule précoce. Le groupe n’emplit pas moins ses poumons de l’air de la forêt, se repaît de l’énergie des arbres, laisse ses soucis domestiques à la lisière pour profiter pleinement d’une journée immergé en pleine nature.

 

Non, le mot « immergé » n’est pas écrit au hasard.

 

Des bandes de Grives mauvis « psittent » dans les houppiers. Petit turdidé nichant en Scandinavie et en Russie, descendu dans nos contrées méridionales pour y passer l’hiver. Ou simplement en transit vers des contrées encore plus au sud. Une dizaine d’oiseaux décollent, nous survolent et s’éloignent au-dessus des arbres. Nous en rencontrerons tout au long de cette journée forestière, leurs cris nous tombant dans le creux de l’oreille à chaque nouveau kilomètre. Les « tics » secs et métalliques du Rougegorge familier retentissent dans les bouquets arbustifs denses. A plusieurs reprises nous observons un oiseau perché sur une branche basse nous interpellant alors que nous approchons de son pré carré automnal. Les Sittelles torchepots ne font pas autant de manières. Dans la ramure des grands arbres, elles crapahutent le long des grosses branches – marchant parfois la tête en bas – à la recherche d’un insecte engourdi par le froid, d’une araignée, d’un gland à décortiquer.

 

Alors que nous nous approchons du premier arbre remarquable de notre périple, un chevreuil saute le chemin pour disparaître dans le couvert végétal de la parcelle d’en face. L’apparition est aussitôt happée par la forêt. Ce n’est qu’une fois l’animal disparu que nous réagissons – tendons le doigt en direction du sentier vide. Si nous venons de rêver, l’hallucination est collective car tous avons vu cette flèche traverser notre champ de vision l’espace d’un instant.

 

Les arbres remarquables…

 

Le chêne Géneau – tous les grands arbres classés de la forêt sont nommés – est un vénérable de 5.40 mètres de circonférence. Divisez par Pi, et vous vous trouvez devant un tronc 1.7 mètres de diamètre. Un tronc à l’écorce profondément veinée. D’une robustesse à toute épreuve. Sur pied depuis des siècles et déjà dans la force de l’âge lorsque le roi Louis XVI – laissant sa reine à ses réceptions Tupperware – venait chasser en forêt de Rambouillet. Un arbre aux branches épaisses, plus grosses que beaucoup des arbres poussant non loin de là.

 

Plus loin, au cœur d’une hêtraie, le vert devient rare. Les teintes virent au roux, à l’orangé. Une forêt presque irréelle, digne d’un conte de fées dans laquelle les coloristes auraient pêché par excès. C’est là que le troisième chêne s’élève. Massif. A l’écorce noire. Tranchant avec son environnement haut en couleur. Malgré le ciel bas, les feuillages des hêtres illuminent la parcelle. Leur aspect vernissé – renforcé par la bruine – donne au lieu une lumière rougeâtre. Les arbres semblent scintiller dans la grisaille.

 

Le chêne de l’Ascension – à mi-pente d’un vallon creusé par un petit ru – en impose par son volume. Un fut droit comme un « i », d’une épaisseur régulière sur toute sa hauteur. Puis une foison invraisemblable de branches. Une véritable cathédrale – un monde à part entière. Autour, les premiers arbres se tiennent à distance. Pas un végétal de haute tige à moins de vingt mètres. Parterre de courtisans vivant à la cour du roi.

 

Au fond du vallon, la température chute de plusieurs degrés. Nos souffles produisent des volutes de buée. Nos doigts s’engourdissent. Nos joues rosissent. La sensation de froid s’accentue nettement. Un ru cacochyme serpente. Les pluies de l’hiver grossiront son flot pour le moment moribond. Un Pic mar hausse la voix dans un houppier. Une volée de Tarins des aulnes s’éloigne en rangs groupés. Des Roitelets huppés piaillent dans les touffes du versant nord. Le sentier longe la saignée du ruisseau. Saules, bouleaux et aulnes témoignent de l’humidité de l’endroit. Un hêtre à trois troncs, colossal, affiche ses couleurs éclatantes. Une tonnelle poil de carotte surplombe notre chemin au charme fou.

 

L’automne flamboie où que porte le regard.

 

Mais si l’automne nourrit l’âme, il ne rassasie pas les corps. Les estomacs se creusent et il est temps de revenir à des considérations toutes primitives. Une table de pique-nique sise au bord d’un étang est prise d’assaut. En un instant des victuailles appétissantes sortent des sacs. Sandwiches, salades, quiches… Suivis d’agapes sucrées, de chocolats. L’amour de la nature s’accompagne fréquemment d’un amour de la vie et de ses plaisirs. La table est l’un d’eux.

 

Mais l’arrêt ne peut se prolonger. Le froid nous broie les chairs maintenant que nous restons immobiles et nous devons repartir bientôt pour nous réchauffer. Les pieds humides en début de sortie sont maintenant mouillés. D’autres restés secs plus longtemps se rafraîchissent. Certains résistent encore à la boue détrempée, aux herbes gorgées de pluies. Les oiseaux gardent le silence en ce début d’après-midi. Quelques trilles puissants du Troglodyte mignon. Des vocalises grinçantes, râpeuses du Geai des chênes. La voix traînante de la Mésange nonnette.

 

L’après-midi, dénuée de précipitations, est une lente agonie de la lumière. Les gris s’obscurcissent au fil des heures. Les couleurs d’automne pourtant chatoyantes s’assombrissent. Nos appareils photo montent en ISO. Le risque de bruit numérique augmente. Que nous aurions aimé un rayon de lumière pour magnifier la forêt !

 

Après une visite au plus vieil arbre de la forêt – un peu plus de cinq siècles – et une dernière pente qui n’est pas sans rappeler celle grimpant à l’Alpes d’Huez, le groupe laisse derrière lui la dernière difficulté d’une journée totalisant dix-sept kilomètres de marche. Le jour n’est plus que l’ombre de lui-même lorsque nous atteignons les véhicules. Tout le paysage s’enfonce dans la nuit naissante. Les arbres deviennent silhouettes. Les oiseaux cherchent un perchoir pour dormir. Les nocturnes ne vont plus tarder. Presque aucune chaussure n’a résisté. Les plus sérieuses n’ont pu garder les pieds tout à fait au sec. Les chaussettes sont humides. Les prochaines sorties mériteront les bottes en caoutchouc. Une belle balade dans un cadre féerique et extrêmement coloré. 

 

L’automne est une bien belle saison.

 

Liste des espèces

​

Oiseaux :

Faucon crécerelle, Pigeon ramier, Pic vert, Pic épeiche, Pic mar, Corneille noire, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Grive mauvis, Grive musicienne, Roitelet huppé, Pipit farlouse, Étourneau sansonnet, Tarin des aulnes, Pinson des arbres

 

Mammifères :

Chevreuil européen

G20191110-Parcelle 03-02 (6).JPG
20191110-Parcelle 05-03.JPG
20191110-Parcelle 03-02 (7).JPG
G20191110-Parcelle 04-10 (11).JPG
20191110-Parcelle 03-27 (16).JPG
20191110-Parcelle 03-27 (18).JPG
20191110-Parcelle 03-27 (20).JPG
20191110-Parcelle 04-10 (19).JPG
G20191110-Parcelle 04-10 (29).JPG
20191110-Parcelle 04-12 (12).JPG
20191110-Parcelle 05-20 (6).JPG
F20191110-Parcelle 04-05 (7).JPG
G20191110-Parcelle 04-05 (11).JPG
20191110-Parcelle 04-10 (32).JPG
20191110-Parcelle 04-10 (23).JPG
G20191109-Table du roi (3).JPG
20191110-Etang de la Porte Baudet (3).JP
20191110-Parcelle 04-10 (22).JPG
bottom of page