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Septembre 2019

La sierra du Méjean

Vendredi 13...

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La Lozère. En bas dans la vallée, là où l’altitude ne tempère pas les ardeurs du soleil. L’été joue les prolongations : 35°c au thermomètre. Les oiseaux restent à l’abri à l’ombre attendant que la fournaise se retire à la faveur du soir. Pour l’heure, seules les hirondelles sillonnent l’air brûlant à la recherche des insectes qu’elles gobent au vol. Des Hirondelles de fenêtre, mais aussi des Hirondelles de rochers… Les premières identifiables à leur ventre blanc. Les secondes à leur ventre sombre. Le Yin et le Yang tournoient au-dessus de nos têtes.

 

Le groupe se forme et notre première tâche est d’inventorier nos réserves d’eau. Nos gourdes ne suffiront pas à nous hydrater une journée durant sous ce soleil de plomb. Avant de rejoindre les hauts plateaux, des bouteilles sont achetées en complément. De manière à garnir les sacs à dos d’au moins deux litres par personne.

 

La route en lacets grimpe dans un paysage grandiose. Forêt de feuillus aux myriades de verts accrochée aux flancs des ravins. Falaises de calcaire allant du gris à l’ocre. Et ce ciel bleu qui laisse Râ nous bombarder d’UV.

 

Transpiration…

 

Parvenus sur le rebord du monde, l’abîme des gorges du Tarn ouvert à nos pieds, nous passons les premières minutes à contempler les splendeurs de la nature. Impressionnés. Emus. L’instant a quelque-chose de solennel.

 

Une Silène – un grand papillon noir et blanc – virevolte un mètre au-dessus du sol et plonge dans le canyon. Des Vautours fauves arpentent le ciel. Cherchent des courants thermiques pas difficiles à trouver afin de gagner de l’altitude sans effort. Des oiseaux montent le long des gorges, croisent une seconde à notre niveau, nous dépassent pour grimper très haut et s’en vont au loin, glissant comme sur une tyrolienne. Avec leur 2.80m d’envergure, les Vautours fauves sont de puissants voiliers aux côtés desquels Buses variables et Grands Corbeaux semblent des oiseaux bien petits.

 

Huit ou dix degrés de moins que dans la vallée. Perchés à plus de huit-cents mètres d’altitude, nous respirons davantage. Un foehn venu du sud s’engouffre dans la faille béante, progresse rapidement vers le nord, percute la falaise au sommet de laquelle nous sommes et s’élève rapidement le long des parois emportant les rapaces avec lui. Le souffle chaud décoiffe. Brumes de chaleur.

 

Les appareils photos sortent des sacs. A l’instar des jumelles. Précédés de leurs cris métalliques, des Craves à bec rouge jouent dans les courants d’air. Une bande de Guêpiers d’Europe migre au-dessus de nos têtes – leurs voix roulées tombent du ciel mais malgré nos efforts nous ne parvenons pas à les apercevoir. Un Milan royal et un Faucon pèlerin complètent une liste d’oiseaux que nous comptons enrichir tout au long de notre séjour.

 

Descente au fond de la gorge, franchissement du Tarn et remontée sur le flanc opposé pour atteindre – tout en haut – le causse Méjean, lieu de toutes nos convoitises.  Nous découvrons un relief doux où alternent les buttes et les dolines. Une partie boisée de Pins noirs et une nue sans un arbre. Du calcaire, des pierres sèches et une végétation assoiffée.

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Bien arrivés. Stop.

A cette saison le soir tombe vite. Stop.

Et le crépuscule ne s’éternise pas. Stop.

Excellent dîner. Stop.

Balade digestive sous la surveillance de la pleine lune. Stop.

Calme absolu. Tout va pour le mieux. Stop.

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Samedi 14...

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Avant le lever du jour, notre groupe est déjà à pied d’œuvre. Jumelles autour du cou, solidement chaussés, une grosse laine sur le dos pour affronter la fraîcheur matinale, nous partons pour une tournée d’inspection autour de notre camp de base. Les passereaux s’éveillent avec la nature. Leur activité croît avec la lumière. Pinsons des arbres, Fauvettes à tête noire, Pouillots véloces, Linottes mélodieuses pour les plus nombreux. Nous trouvons également quelques Rossignols philomèles, une Fauvette passerinette et une Pie-grièche méridionale qui constituent des mets de choix à l’aube de cette journée.

 

La journée est consacrée à la prospection de la partie orientale du causse. La plus élevée – culminant à 1247m au sommet du mont Gargo. Nous cherchons le Pluvier guignard – une espèce de petit limicole nichant en Scandinavie, migrant à travers notre pays pour gagner les plateaux du Maghreb et y passer l’hiver. Une espèce jadis abondante et devenue fort rare. Les sommets de Lozère sont des sites de haltes connus où des oiseaux s’arrêtent et se regroupent avant de poursuivre leur route.

 

Titiller notre bonne étoile…

 

La marche débute. La pente augmente vite. Les lumières sont magnifiques. Les verts contrastent avec les jaunes des herbes grillées. Du roux automnal s’invite déjà ici et là. De l’orange habille les buis. Le sommet nous toise. Semble ne pas croire en notre ascension. Comme si nous ne devions pas atteindre la cime. Sur les pentes rocailleuses, Alouettes des champs, Traquets motteux et Pipits rousselines s’envolent au gré de notre progression. Des Agrestes – de grands papillons – zigzaguent et posent sur les pierres. L’effort donne chaud. Mais une fois en haut, les manches se révèlent utiles contre la fraîcheur du vent qui souffle doucement.

 

A l’aide de nos jumelles, nous fouillons les lieux. Sol caillouteux. Graminées sèches. Légères dépressions. Replats. Pentes. Quand un mouvement est soudain détecté. Un oiseau d’une vingtaine de centimètres de haut déambule, perché sur ses longues pattes jaunâtres. Puis un second à quelques mètres du premier. Un troisième. Un quatrième. Nous venons de tomber au beau milieu d’un groupe de Pluviers guignards. Vaquant à leurs occupations – se nourrir et reprendre des forces – les oiseaux nous ont repéré et s’éloignent lentement. Sans peur. L’espèce est connue pour être peu farouche. Confiante. Sans les déranger et en veillant à prendre notre temps pour être acceptés par les migrateurs, nous avançons pas à pas. Prenant de nombreuses photos. Tous les oiseaux sont des jeunes nés au printemps. Aucun adulte ne leur montre la route. L’instinct seul guide leurs déplacements, leur montre les lieux propices aux haltes. Dix-huit oiseaux au total. Qui repartiront à la tombée de la nuit à moins qu’ils ne choisissent d’attendre d’être rejoints par d’autres pluviers en route eux aussi vers les quartiers d’hiver. Avec l’espoir de trouver parmi eux un adulte expérimenté. Mais les adultes migrent en moyenne deux à trois semaines plus tôt que les jeunes… A la mi-septembre, bon nombre d’entre eux sont déjà loin.

 

Une volée de Vautours fauves décrit de larges cercles. Recherche d’ascendances tout en scrutant le sol à la recherche d’une carcasse à dépecer. Le vent de sud les pousse vers les gorges du Tarn. Leurs silhouettes s’amenuisent et disparaissent. Des nuages sombres barrent l’horizon sud. Lâchent quelques gouttes éparses sur nos têtes ahuries. De la pluie aujourd’hui ? Nous ne sommes pas certains qu’il ait plu. Le sol garde sa grande sécheresse. Les nuages demeurent accrochés à l’Aveyon et au Gard. La Lozère – au sec – jouit quant à elle des paysages et des lumières soulignés de ces nébulosités teintant l’horizon de gris, d’anthracite et de bleu nuit.

 

Photos !

 

Après le pique-nique, le groupe reste immobile. A surveiller les environs depuis notre nid d’aigle. Ou plongé dans une sieste réparatrice. Nous sommes tentés de nous éloigner des dormeurs. Qui, vus du ciel, ressemblent tant à des agapes de choix pour nécrophages convaincus. Appâts à vautours que nous aimerions voir de près. Des prédateurs opportunistes pourraient également se montrer intéressés. Le Requin du causse est évoqué… Une espèce aujourd’hui très rare mais qui pourrait bénéficier du changement climatique et de la hausse des océans.

 

Puis vient le drame !

 

Un drame XXL. De ceux qui marque les esprits pour longtemps. Une perte ! La perte d’un téléphone portable. Quelque-part au milieu de nulle part. Ou ailleurs. Sans doute pas loin, mais où ? Début d’un ratissage presque méthodique basé sur des souvenirs imprécis. « A peu près par là… » Le réflexe naturel étant d’appeler ledit portable et de le faire sonner. Mais quand il est en mode vibreur… Tant pis ! On tente de prendre du recul. Et de chercher une consolation où l’on peut. Mais tout de même. Au-delà de la perte – toujours regrettable – il y a l’abandon d’un objet high-tech dans un environnement naturel. On pense alors aux déchets qui souille notre planète. A la pollution… Une battue est alors décidée. Pour de vrai. Le groupe en ligne et avançant de concert. Du systématique. Du sérieux. Ne manque que les gilets orange fluo et les flingues et on pourrait nous prendre pour les premiers écologistes de France. On regarde à gauche (bouée rouge). On surveille à droite (boue verte).

 

« Là ! »

 

Opération de dépollution achevée. L’efficacité a payé une fois de plus. L’engin technologique est rangé au fond d’un sac. Soulagement !

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Balade et premier apéro de la soirée à Florac. Stop.

Jolie ville avec cours d’eau et vieilles pierres. Stop.

La crasse se disperse et le ciel bleu reparaît. Stop.

Puis second apéro à l’auberge avant un excellent dîner. Stop.

Suivi d’une indispensable balade digestive à la nuit tombée. Stop.

Et au lit ! Stop.

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Dimanche 15...

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Comme la veille, la journée débute par une balade à l’aube. Le soleil est encore sous l’horizon. La constellation d’Orion brille au sud. La nuit résiste et le froid est vif. Pas un son ne parvient à nos oreilles. Pas une voiture. Pas un avion. Aucune rumeur d’une route éloignée. Pas encore d’oiseau. Le calme absolu. Une paix devenue rare dans notre monde en effervescence.

 

Le chemin caillouteux s’éloigne du hameau. Immersion sur le causse. Dans les bosquets de genévriers, d’amélanchiers, d’aubépines, de buis. Quelques frênes piquent le paysage. Au loin, les montagnes teintées de bleu s’éclairent peu à peu. Le ciel devient rose et les oiseaux quitte leurs repères pour s’élancer à l’assaut du petit déjeuner : Pinsons des arbres, Bruants zizis, Alouettes lulus, Alouettes des champs, Linottes mélodieuses, Rougequeues noirs, Perdrix rouges, Verdiers d’Europe, Rougequeues à front blanc, Rougequeue noirs, Grives musiciennes…

 

Après notre propre petit déjeuner, nous partons pour le causse occidental et les corniches de la Jonte et du Tarn. Nous consacrons cette troisième journée à une magnifique balade au bord du gouffre à traverser des paysages grandioses. En chemin, nous rencontrons les chevaux de Przewalski. Chevaux sauvages sauvés de l’extinction et élevés en semi-liberté en Lozère par l’association Takh. Les premières réintroductions dans la steppe mongole ont eu lieu en 2004 et 2005. Avec succès. Leur robe chamois paraît orangée dans la lumière du matin. Dans les rochers non loin, des faucons jouent dans le vent. Virevoltent sur l’aile. Piquent vers le sol. Remontent en chandelle. Un petit groupe de Faucons crécerellettes. Une espèce nichant en Espagne et qui remonte vers le nord à la fin de la saison de nidification pour fuir la sécheresse ibérique. Les oiseaux stationnent alors quelques jours ou quelques semaines en quelques points du pourtour méditerranéen avant de prendre la route pour l’Afrique sub-saharienne où ils passent l’hiver. Une très belle observation !

 

Les gorges de la Jonte s’ouvrent enfin devant nous. Des gorges béantes. Larges de près de mille mètres et profondes de cinq-cents. Le chemin serpente sur l’arrête, surplombe l’abîme. Un Vautour moine adulte est bientôt observé, posé sur une cheminée rocheuse non loin de notre sentier. Plumage très sombre, presque noir dans la lumière crue de cette chaude matinée. Bien différent du Vautour fauve et bien plus rare… Des Vautours fauves justement décollent à cet instant. Les ascendants thermiques deviennent suffisants pour les emporter dans le l’azur. Dix, vingt, trente, soixante rapaces se regroupent alors et tournoient le long des falaises, là où les courants sont les plus forts.  Ballets empreints de magie. 

 

Autour des graminées jaunies et des touffes de lavande bordant le chemin, des cohortes de papillons volettent. Danse multicolore et tressautante dont la chorégraphie mêle Petits Nacrés, Fluorés, Soucis, Mégères, Agrestes, Machaon, Némusiens, Tircis, Zygènes de la petite coronille…  Sur la pente au soleil, un gros Lézard vert se chauffe.

 

Plus loin, après une descente dans une crevasse, nous débouchons autours des deux vases : celui de Chine et celui de Serres. Paysage époustouflant au bord du précipice. Une géologie extravagante justifiant à elle seul la balade. La température, forte, invite les randonneurs à faire des pauses régulières. Le soleil règne sans partage dans un ciel uniformément bleu. Les bouteilles d’eau supplémentaires achetées à notre arrivée ne sont pas de trop. Les vautours passent fréquemment à quelques mètres de nous. A notre hauteur, ou légèrement plus haut. Parfois même en contre-bas. Au passage de l’un d’eux, le bruit de l’air malmené par ses immenses ailes souffle à nos oreilles.

 

La buvette au sommet de la dernière pente est prise d’assaut. Une belle bâtisse en pierres de causse pourvue de volets rouges. Pas de siège préalable. Nous avons d’emblée investi la petite cour ombragée, occupé une grande table en bois et commander de quoi réhydrater copieusement nos organismes vidés de leur eau. Et félicitons notre Mistrigri-Chamois d’avoir vaillamment franchi toutes les étapes. « Tchin ! »

 

De retour sur le causse, le groupe s’arrête pour visiter un arbre. Tout au long de l’année, nous avons ainsi rendu visite à plusieurs arbres remarquables et classés au niveau départemental voire régional. Celui-ci est tout autre. De par sa taille, son âge… et surtout son espèce. Près de trente mètres de haut et six de circonférence. Et ayant grandi alors que le bon roi Henri IV se léchait les doigts après avoir dégusté une poule au pot. Un ancêtre dans son cinquième siècle d’existence…

 

Soit !

 

Il n’est pas le seul arbre à approcher le demi-millénaire. Mais en nous approchant, nous découvrons les feuilles si caractéristiques de l’espèce : dissymétriques à leur base. Le vénérable est en effet un Orme champêtre. Depuis les années 1920, les ormes sont décimés par la graphiose : un champignon propagé par un coléoptère et bouchant les vaisseaux conducteurs de sève. L’arbre dépérit alors et meure après une agonie de plusieurs années. Aujourd’hui, les ormes ne vieillissent plus. On ne les observe souvent plus qu’à l’état d’arbrisseaux en lisière ou dans une haie. Celui-ci résiste, sauvé on ne sait comment. Il est aujourd’hui répertorié comme le plus grand spécimen français. Parmi les plus gros de la planète.

 

Cette merveilleuse journée mérite un pot en terrasse – ou plutôt un deuxième. L’équipe descend en ville et déambule dans les petites rues de Meyrueis au bord de la Jonte. Là, une famille de Cincle plongeur chasse les larves d’insectes, mollusques, têtards en plongeant dans l’eau glacée du petit torrent. Un adulte nourrit encore au moins deux jeunes peu farouches. Très belles images.

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Balade extraordinaire. Stop.

Célébrée par un troisième apéro précédant un excellent dîner. Stop.

Et une balade digestive sous l’œil attentif de la pleine lune. Stop.

Oedicnème criard, Chouette chevêche et Engoulevent d’Europe. Stop.

Viennent achever une journée riche en émotions. Stop.

Au lit ! Stop.

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Lundi 16...

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Lorsque nous sortons – difficilement – du lit en ce quatrième jour (déjà !), nous ne savons pas encore que nous allons vivre une journée dantesque. De celles dont on se souvient longtemps. Paupières un peu lourdes. Jambes encore engourdies de sommeil. Cheveux en pagaille et trace de l’oreiller sur la tempe. Les randonneurs ont fière allure. Mais la passion pour les grands espaces et la nature a vite fait de gommer ces symptômes d’une nuit trop courte.

 

Sur le causse, des pie-grièches alarment. Le groupe interrompt sa progression et, jumelles en mains, cherche les oiseaux. Au moins cinq sont rapidement découverts. Trois jeunes Pie-grièches écorcheurs dont nous n’apercevons pas les parents. Et deux Pie-grièches méridionales adultes. Les premières aux tons brun-roux. Les secondes aux nuances de gris rehaussées de blanc et de noir.

 

En route au cœur du causse nu, un élégant rapace croise notre chemin. Un busard. Silhouette svelte, ailes longues et relativement étroites. Et surtout, un plumage paraissant blanc dans la lumière du matin. Un mâle au plumage gris pâle. Notre rythme cardiaque s’accélère aussitôt. La finesse de l’oiseau élimine d’emblée le Busard Saint-Martin. La pâleur de l’oiseau, l’absence de barres noires sous et sur l’aile élimine le Busard cendré. Et ce noir au bout des ailes : limité à quelques rémiges seulement. Nous avons sous les yeux le plus rares des quatre espèces busards européens : un magnifique Busard pâle. Une rareté migrant chaque année en petit nombre à travers notre pays. L’oiseau disparaît malheureusement trop vite derrière un relief. Et ne reparaît plus.

 

Un peu sonnés par une telle observation !

 

Parvenus à limite orientale du Méjean, notre périple longe le bord de la falaise surplombant la Jonte dévalant le pied du massif de l’Aigoual. Dans le contrejour, la lumière colore le paysage d’une couche de féerie. Sature les couleurs. Dessine chaque ombre. Oppose la couleur au noir. Fait miroiter les blancs. A nos pieds, une pelouse sèche est traversée par une voie d’eau, une source. Le vert tendre et humide tranche avec la végétation grillée de couleur paille. Une route serpente tout en bas. Difficile de nous arracher à cette fascination.

 

Plus loin, au cœur du chaos de Nîmes-le-Vieux, la chaleur monte d’un cran. Le soleil cogne de toute sa hauteur de fin d’été. Le mercure grimpe en flèche, dépasse allègrement la barre des 30°c. L’ombre est ici une notion très relative. Le causse nu n’offre que très peu arbres et seuls les plus grands rochers constituent une barrière efficace contre les rayons ardant de la boule de feu accrochée au plafond. L’érosion différentielle a sculpté un paysage particulièrement étrange – ruiniforme. Un enchevêtrement de blocs dolomitiques de formes et de tailles variées. Espacés ou agglomérés dans un foisonnement anarchique.

 

Des Ephippigères des vignes – d’énormes sauterelles de forme curieuse – se déplacent dans l’herbe rase. Des proies aisées pour les Faucons crécerelles qui survolent le site à la recherche de protéines. Un groupe de corvidés – particulièrement bruyants – jouent au-dessus d’un petit mont tout proche. Beaucoup de Craves à bec rouge auxquels se mêlent quelques Choucas des tours. Les papillons, actifs par cette chaleur, tournoient d’une fleur à l’autre. Quelques Moirés automnaux, des Agrestes, des Mégères, une Silène…

 

Quand un immense rapace apparaît soudain au-dessus de ce paysage minéral. « Vautour » est le nom qui fuse aussitôt, habitués que nous sommes à l’omniprésence dans cette région du Vautour fauve. Sauf que la silhouette est plus élancée. Les ailes encore plus longues. La queue nettement plus longue et cunéiforme. La teinte uniformément sombre. Un jeune Gypaète barbu nous fait l’honneur d’une visite. L’un des rapaces les plus rares d’Europe, réintroduit dans les gorges de la Jonte depuis quelques années. L’oiseau cercle de façon nonchalante. Sa tête, très mobile, scrute les environs à la recherche d’un os. Car le gypaète est un vautour particulier qui ne participe pas au dépeçage des carcasses. Il passe après la curée. Lorsque tout le monde s’est servi, s’est repu de viande faisandée. Lui ne mange que les os dépouillés de chair. Lorsqu’il en trouve, il les emporte dans ses serres, monte haut dans le ciel et les lâche sur les rochers où ils se brisent et s’ouvrent. Le gypaète avale les morceaux qu’il gobe tout rond et les digère à l’aide de sucs particulièrement corrosifs.

 

Un grand moment d’ornithologie !

 

Peu avant la pause déjeuner, deux Monticoles de roches s’envolent à notre passage. Des oiseaux de la taille d’un merle pourvus de rectrices rouges orangées. Une espèce spécialiste des chaos rocheux qui a trouvé ici son paradis terrestre.

 

Après quelques minutes de recherche, nous trouvons un coin suffisamment ombragé pour envisager notre pause déjeuner. Un grand bloc rocheux haut et large de plusieurs mètres nous offre une pelouse confortable pour une petite heure de repos. Les victuailles sortent des sacs. Après un inventaire rapide, il est évident que nous ne repartirons pas la faim au ventre. Jumelles et appareils photos sont temporairement laissés de côté. En les gardant toutefois prêts à l’emploi en cas d’urgence. Et l’urgence ne tarde pas à survenir par le sud-est. Un autre grand rapace est bientôt pointé du doigt : « Et ça, c’est quoi ? »

 

L’oiseau est très bas au-dessus des blocs rocheux. Ailes immenses évoquant une fois encore un Vautour fauve. Mais comme plus tôt en matinée, la silhouette de colle pas. Et une nouvelle fois, un Gypaète barbu entre en scène. Mais pas le jeune oiseau du matin. Un adulte cette fois. Ailes noires tranchant avec le ventre et la gorge orangés. Une grosse tête de la même couleur pourvue d’une barbichette noire qui a donné son nom à l’oiseau. Durant plusieurs minutes l’oiseau nous surplombe, regrettant sans doute notre allure trop vivante. Les appareils photos crépitent. La guest star fait sensation !

 

Profitant de la chaleur très forte de l’après-midi, il est décidé de partir à la recherche de libellules – les grandes absentes de ce séjour – et de visiter une lavogne, point d’eau artificiel creusé et imperméabilisé par l’homme afin de pallier l’absence de mare et de cours d’eau sur ce causse calcaire et poreux. La lavogne est en voie d’assèchement. Le manque de pluies – seules sources d’alimentation de ces réservoirs – se fait cruellement sentir. Mais de l’eau subsiste tout de même en suffisance pour fixer en ses bords un grand nombre de libellules. Au moins quatre Aeschnes bleues chassent inlassablement au-dessus de l’eau. Il s’agit d’une des plus grandes libellules de France. Des Sympétrums – des libellules rouges – hantent également les lieux. Au moins trois espèces sont rapidement repérées : Sympétrum sanguin, Sympétrum strié et Sympétrum à nervures rouges. Parmi les petites libellules – les zygoptères – nous notons trois espèces de lestes : Leste vert, Leste verdoyant et Leste fiancé. Chez les papillons, quelques Faunes butinent les fleurs d’un Buddleia. Très rares en Lozère dans un passé récent, les observations de ce papillon augmentent chaque année dans le département.

 

En soirée, à la suite d’un repas gastronomique particulièrement copieux à la table de notre auberge, une sortie nocturne est votée à la quasi-unanimité. A pieds, nous nous éloignons lentement, nous tenant la panse à deux mains et revivant le dîner pantagruélique dans nos conversations. Mais tout à coup, les bavardages cessent. Un bruit dans la nuit. Méritant d’être réentendu distinctement et vérifié. Plus rien durant quelques minutes. Puis à nouveau, plus fort : un cerf brame au loin.

 

Inattendu !

 

Quoique… C’est oublier un peu vite qu’à l’Antiquité – certes cela ne date pas d’hier – le cerf vivait en milieu ouvert. Le développement des activités humaines l’a peu à peu contraint à entrer en forêt à laquelle ses grands bois, encombrants, ne le destinaient guère. Du brame donc ! Oubliant nos estomacs distendus, le groupe allonge le pas. Un autre cerf plus près de nous répond au premier. Puis un troisième sur la grande pente en bordure de bois. Et un quatrième plus au nord complète les artistes de la soirée. Pourtant, un autre chanteur nous surprend à son tour : un Oedicnème criard pousse une clameur aiguë dans la nuit et s’invite au beau milieu du concert. Un quintette original composé de quatre mammifères aux mœurs essentiellement forestières et d’un oiseau aux préférences steppiques.

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Sur le chemin du retour. Stop.

Les douze coups de minuit ne sont plus très loin. Stop.

Ciel pâli par la lune au lever zébré de quelques étoiles filantes. Stop.

Soirée magnifique et douce. Stop.

La marche a été salutaire. Stop.

Pascale : c’est toi qui a la clé de la chambre ? Stop.

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Mardi 17...

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​Pour la dernière fois du séjour, les plus matinaux partent explorer les environs en attendant l’heure du petit-déjeuner. La nature est encore endormie. Encore en paix. La nuit se retire lentement et la lueur du jour blanchit déjà l’horizon oriental. A l’ouest, la lune s’approche dangereusement du sol. Son disque percute bientôt le faîte de la colline. Grignoté irrémédiablement, il disparaît pour de bon alors que la voûte céleste se pare de rose.

 

Nous marchons sur le causse. En hors-piste, ayant jugé le risque d’avalanche négligeable. De nombreuses carlines poussent à même le sol. Carlines à feuilles d’acanthe et Carlines communes toutes deux hérissées d’épines tenant à distance les bouches herbivores. Avant que le soleil ne sorte de derrière la colline, un berger pénètre avec ses bêtes sur un pré fauché. Deux chiens très actifs serrent ses dernières de près. Un beau troupeau. Au moins deux-cents bêtes selon les organisateurs. A peine cent-cinquante selon la police.

 

Le petit déjeuner approchant, et ce compte-rendu devenant fort long – combien de lecteurs sont encore avec nous sur le causse ? – notre groupe oblique vers le nord et reprend le chemin du café brûlant, des viennoiseries et des petits pains beurrés agrémentés de confitures maison. Il n’y a pas de mal à nous faire du bien !

 

Avant de regagner nos pénates respectifs, une ultime balade sur le causse s’organise. Un peu de tourisme avec la visite de la ferme caussenarde de Hyelzas. Malheureusement fermée à l’heure de notre arrivée, nous découvrons néanmoins un splendide bâtiment dans lequel vivaient hommes et animaux domestiques. Les gorges de la Jonte – à une volée de pierre – s’étirent en contre-bas du village. Trois derniers rapaces viennent in extremis enrichir notre liste d’oiseaux : un Busard Saint-Martin et deux Busards cendrés, dont un rare individu mélanique. Nous aurons donc observé durant notre séjour lozérien les quatre espèces de busard que compte l’Europe. Sans être une performance inédite, l’événement n’est pas du domaine courant. Oui, c’est un euphémisme !

 

Fin du séjour dans les ruelles étroites de Sainte-Enimie. Stop.

Un village qui mérite son classement parmi les plus beaux de France. Stop.

Le Tarn qui coule à son pied n’est plus le fier torrent qu’il était au mois de mai. Stop.

Les pluies d’automne sont attendues avec impatience. Stop.

Demain une période de diète débutera. Stop.

Afin de rattraper les excès de ce séjour extraordinaire… Stop.

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​Et pour ceux que la Lozère intéresse, voici le lien vers le site de la très dynamique Association Lozérienne pour l'Etude et la Protection de l'Environnement (ALEPE). Y adhérer ne serait pas la plus mauvaise des idées...

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https://www.alepe48.fr

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Liste des espèces observées

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Oiseaux :

Héron cendré, Milan royal, Épervier d'Europe, Buse variable, Vautour moine, Vautour fauve, Gypaète barbu, Busard Saint-Martin, Busard pâle, Busard cendré, Busard des roseaux, Circaète Jean-le-Blanc, Faucon pèlerin, Faucon crécerellette, Faucon crécerelle, Perdrix rouge, Pluvier guignard, Oedicnème criard, Pigeon colombin, Pigeon ramier, Tourterelle turque, Chevêche d'Athéna, Engoulevent d'Europe, Guêpier d'Europe, Pic vert, Pic épeiche, Alouette lulu, Alouette des champs, Hirondelle rustique, Hirondelle de rochers, Hirondelle de fenêtre, Grand Corbeau, Corneille noire, Choucas des tours, Pie bavarde, Geai des chênes, Crave à bec rouge, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange noire, Mésange huppée, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Grimpereau des jardins, Cincle plongeur, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Rossignol philomèle, Rougequeue noir, Rougequeue à front blanc, Tarier des prés, Tarier pâtre, Traquet motteux, Monticole de roche, Merle noir, Grive musicienne, Grive draine, Fauvette à tête noire, Fauvette passerinette, Pouillot fitis, Pouillot véloce, Roitelet huppé, Gobemouche gris, Gobemouche noir, Pipit rousseline, Pipit des arbres, Bergeronnette grise, Bergeronnette des ruisseaux, Bergeronnette printanière, Pie-grièche méridionale, Pie-grièche écorcheur, Étourneau sansonnet, Moineau domestique, Moineau soulcie, Verdier d'Europe, Chardonneret élégant, Tarin des aulnes, Linotte mélodieuse, Serin cini, Bouvreuil pivoine, Bec-croisé des sapins, Pinson des arbres, Bruant zizi, Bruant ortolan

 

Mammifères :

Cerf élaphe, Lièvre d'Europe

 

Reptiles :

Lézard vert occidental, Lézard des murailles, Couleuvre à collier

 

Papillons de jour :

Hespérie des potentilles, Machaon, Piéride de la rave, Fluoré, Souci, Citron, Thècle (Thécla) du bouleau, Cuivré commun, Azuré commun, Tircis, Mégère (Satyre), Némusien (Ariane), Procris (Fadet commun), Myrtil, Moiré automnal, Mercure, Faune, Agreste, Silène, Sylvandre indéterminé, Tabac d'Espagne, Petit Nacré, Petite Violette, Vulcain, Mélitée orangée

 

Papillon de nuit :

Bombyx de la Ronce, Moro-sphinx, Zygène de la petite coronille

 

Libellules :

Leste vert, Leste verdoyant, Leste fiancé, Ischnure élégante, Aeschne bleue, Aeschne mixte, Anax napolitain, Spectre paisible, Sympétrum jaune, Sympétrum sanguin, Sympétrum strié

 

Orthoptères :

Grande Sauterelle verte, Dectique des brandes, Ephippigère des vignes, Grillon d'Italie, Caloptène italien, Oedipode turquoise, Oedipode rouge

 

Mantes :

Mante religieuse

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