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24 septembre 2019

Et le cerf brame ! 

Pluie du soir…

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Ciel très chargé de pluie. Les horizons ouest et sud sont barrés par un bloc massif d’anthracite. Opaque. Ne laissant aucun espoir de soirée sans pluie. Le rouleau compresseur avance vers le nord-est. Implacable. La nature assoiffée attend la bouche béante le liquide salvateur. Au sein de notre groupe l’attente est moins fébrile. L’enthousiasme plus mesuré. Mais il suffit de regarder autour de nous pour nous convaincre que la forêt a le plus grand besoin de cette eau qui menace de nous tremper l’échine.

 

Mais nous sommes là. Résignés à l’averse. Et acceptant l’échec si le brame doit pâtir de la météo. Nous venons goûter à la nature. Nous y ressourcer. Savourer sa magie. Titiller son imprévisibilité. Conscients que nous ne visitons pas un parc zoologique et que rien n’est jamais acquis d’avance. Mais jamais tout à fait perdu non plus.

 

La marche débute sur cette note de philosophie. Prêts à prendre tout ce que la nature nous donnera ce soir. Si peu que ce soit. Il n’est toutefois pas encore 19h00 lorsque le brame débute. Un long raire au loin. Grave, puissant. Il fait encore grand jour et ce premier cerf vient nous rappeler que même si le temps est à la pluie, le brame bat son plein et que les faons ne sont pas livrés chaque printemps par des cigognes.

 

Vague de confiance traversant le groupe.

 

Les oiseaux se montrent discrets en ce début de soirée. Le vent s’est levé avec l’arrivée de la pluie. Fine mais régulière, l’ondée ne nous gêne pas le moins du monde. Le gris, omniprésent, enveloppe la forêt, absorbe les couleurs. Le roux et le jaune s’invitent déjà en forêt. L’automne est là. Depuis hier sur le calendrier. Les fougères roussissent. Se tassent sur elles-mêmes. Et ce soir, sont couvertes d’un duvet d’humidité. Ruissellent. Un Pouillot véloce chasse les maigres insectes dans les herbes hautes. Un Pinson des arbres crie de loin en loin dans un grand chêne (sessile). Des Mésanges à longue queue volettent d’un houppier à un autre, traînant à leur suite une longue série de trilles caractéristiques de cette espèce.

 

Et pendant ce temps, le brame se poursuit. Le cerf sur notre droite se montre très actif. Beuglant tout ce qu’il peut dans l’espoir d’attirer l’attention des dames. Un concurrent l’a rejoint sur scène. Un autre grand cerf lui répond sur notre gauche. Au milieu, sur notre chemin de sable, nous apprécions la stéréo. La soirée débute en fanfare.

 

Le vent qui agite la cime des arbres perturbe notre audition. Siffle à nos oreilles. Disperse les sons. Emporte nos odeurs loin en forêt. Les deux barytons sont toutefois très près. Leurs voix nous parviennent, fortes, tonitruantes. Graves. Parfaitement adultes. Cent à deux-cents mètres tout au plus. A l’abri du couvert végétal.

 

Le plafond continue de fuir mais le vent faiblit doucement. Les sons circulent mieux. Les deux cerfs nous encadrent toujours. Nous serrent de près – sans jeu de mot. Lorsque nous parvenons en vue d’une clairière de graminées. Un bois clair nous en sépare et nous permet de voir en restant dans l’ombre. Des animaux broutent tranquillement l’herbe sèche. Une biche adulte et son faon né au printemps. Ainsi qu’un cerf. L’animal garde la tête baissée. Difficile de le juger mais sa corpulence nous semble très relative. Lorsqu’il se redresse, ses bois confirment notre impression : un jeune cerf. Un freluquet à peine entré dans l’âge adulte. Il s’agit probablement d’une troisième tête – un animal dans le courant de sa quatrième année. Mature sexuellement mais avec peu d’espoir de se reproduire cette saison.

 

Les trois cervidés nous ont senti. La tête droite, les narines dilatées, ils sont en alerte et finissent par s’éloigner sans précipitation en direction de la lisière. Et entrent en sous-bois après un dernier regard par-dessus leurs épaules. Un danger a été détecté mais de façon imprécise.

 

Sortira, sortira pas ?

 

Nos deux grands cerfs brament toujours le long du chemin que nous avons suivi. Rejoints par deux autres, ce sont maintenant quatre voix qui s’élèvent derrière nous. L’une d’elle est proche. De plus en plus à chaque minute. Nous espérons le voir approcher puis sortir à découvert. Nous scrutons le sous-bois avec nos jumelles. La lumière encore bonne nous le permet. Tout à coup un bruit. Des pas. D’un animal plutôt lourd. Et se déplaçant sur la trajectoire supposée du cerf. Pourtant les bruits qui se poursuivent nous indiquent un animal robuste mais court sur pattes et raclant la végétation basse.

 

Un sanglier.

 

Les trois cervidés, tranquillisés, ressortent à découvert dix minutes plus tard. Le mâle de troisième tête, la biche et le faon – le tiercé dans cet ordre. Poursuite du repas dans la paix de la forêt au crépuscule. Quiétude de courte durée car à 20h05, un long brame retentit en forêt de l’autre côté de la prairie. Une voix très différente des quatre autres déjà sous les feux de la rampe. Moins grave. Plus rauque. Voici venu le moment que nous attendions : l’arrivée du dominant, suzerain de notre freluquet. Quand le roi paraît, les vassaux s’inclinent. Le jeune cerf s’esquive en hâte. Rase les murs pour se rapprocher des arbres.

 

Dans une lumière grisâtre de fin de jour, les jumelles rivées à nos yeux, nous fouillons la lisière en face de nous. Rien pour le moment. Un brame encore, puis un autre. Et à 20h10, un « Là ! » est prononcé à voix basse mais distinctement. Un grand mâle trône au milieu de la clairière sans que nous l’ayant vu approcher. Un animal majestueux. Un cou épais couvert de longs poils très sombres. Un corps massifs, musculeux au pelage plus clair.

 

Et une tête…

 

De grands bois sombres. Larges. Puissants. Tous deux terminés par une magnifique empaumure : au moins quatre pointes claires d’un côté, trois de l’autre. De grands andouillers de massacre. Quatorze ou quinze cors au moins. Un animal parfaitement adulte. Au sommet de sa force pouvant peser 180 ou 200kg.

 

Relevant la tête à environ trente degrés au-dessus de l’horizontale, il pousse un long chant rauque. Les bois rejetés au-dessus du dos, le cerf brame une longue note, sûr de la suprématie. Car il n’est pas venu pour défier ses concurrents : il n’en a plus. Les jeunes se sont écartés à son arrivée. Les autres dominants restent sagement à distance, préférant ne pas déclencher un combat à l’issue incertaine.

 

Son coup de gueule poussé, notre grand cerf s’approche de la biche. Le faon un peu à l’écart, regarde ailleurs, ne se mêle pas des affaires des grands. Sa mère a un nouvel amant. Parvenu à moins d’un mètre de la croupe féminine, monsieur renifle les effluves enchantés. Mais madame n’entend pas céder si facilement. Elle s’éloigne au petit trot d’une dizaines d’enjambées. En vieux briscard, le cerf ne s’en formalise pas. Il baisse la tête pour manger un brin. Mâche et vide proprement sa bouche avant de bramer de nouveau. Le même cérémonial se répète encore. Le cerf s’approche une seconde fois, hume sa dulcinée qui prend à nouveau la mouche. A la quatrième tentative, le cerf demeure sur sa faim. La nuit se referme pudiquement nous masquant la suite des événements… Si toutefois suite il y a. Car la biche n’est réceptive qu’une seule journée au cours de l’année.

 

Les cerfs continuent de hurler dans la nuit. Deux au nord – un proche, un plus loin. Un à l’est – notre dominant. Et un autre au sud-ouest. Le cinquième s’est tu ou s’est éloigné. Une Chouette hulotte perce la nuit. Un hululement qui sonne clair dans l’obscurité. Les nuages se sont déchirés et laissent apparaître de grands pans de ciel étoilé. Véga, l’étoile principale de la Lyre au zénith. Le « W » de Cassiopée au nord. La Grande-Ourse reste dans la crasse quelques minutes encore avant d’apparaître à son tour.

 

Plus un souffle d’air.

 

Lorsque nous regagnons les véhicules, la voie lactée s’étire sur la voûte céleste. Une myriade d’étoiles brillent sans un ciel d’encre. A loin, un cerf continue de bramer. Une autre Chouette hulotte salue notre départ. Nous retenons la leçon de cette très belle soirée et sommes heureux d’avoir maintenu la sortie sans accorder trop d’importance à une météo pessimiste.

 

Liste des espèces

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Oiseaux :

Chouette hulotte, Pic vert, Corneille noire, Geai des chênes, Mésange bleue, Mésange huppée, Mésange à longue queue, Grimpereau des jardins, Rougegorge familier, Merle noir, Pouillot véloce, Pinson des arbres

 

Mammifères :

Cerf élaphe, Sanglier

 

Amphibiens :

Grenouille verte

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