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16 juillet 2019

Histoire d'une éclipse

en rase campagne…

L’appétit vient en marchant…

Le Bois-Dieu : un lieu au nom idéal lorsqu’on vient observer le ciel. Un hameau en forme de croix avec des maisons bâties le long de deux routes perpendiculaires. Le groupe s’éloigne. Gagne la rase campagne. Au milieu des blés, s’engage sur un chemin vaguement empierré. L’Alouette des champs, accrochée à une vingtaine de mètres du sol, chante en vol. Torrent de notes ne devant jamais tarir. La voix, l’âme des espaces agricoles.

 

Certaines parcelles sont déjà moissonnées. D’autres attendent encore leur tour, achevant de mûrir. Le blé – qu’il soit barbu ou non – teinte le paysage en or. Un Bruant jaune posé au sommet d’un buisson se découpe sur les chaumes et pousse lui aussi la sérénade. Ton sur ton.

 

Il est encore tôt, mais dans un ciel sans nuage le soleil a largement entamé sa descente vers l’horizon. La lumière rasante sature les couleurs de la nature. A contre-jour, les ombres s’allongent un peu plus à chaque instant. Les rayons traversent et allument les grappes d’avoine qui poussent au hasard le long de certaines pièces. Avec les premières de l’aube, ces heures vespérales sont les plus photogéniques de la journée.

 

Alors que la minute est à la contemplation – à la communion tant les lieux invitent à la paix – une belette profite de notre relâchement pour franchir aussi vite que ses courtes pattes le lui permettent l’espace découvert du chemin. Le temps de recouvrer nos sens, de tendre le bras et d’attirer l’attention de tous… L’animal arrive déjà à destination et trouve refuge dans les hautes herbes. Une seconde. Une seconde et demie. Pour voir ce petit animal au corps allongé, nanti d’une longue queue et d’une petite tête ronde. Fugace. Une Aeschne bleue nous survole, passe au milieu du groupe et s’éloigne à tire d’aile au-dessus des céréales. Fugace encore.

 

Le chemin entre bientôt en forêt. Ecorne plutôt un bois sans s’éloigner de la lisière de plus de quelques dizaines de mètres. Chênes pédonculés – reconnaissables à leurs feuilles sessiles –, Châtaigner, Alisiers torminal, Charmes, Noisetiers, Pins sylvestres… Et même un petit Hêtre ou deux. Au sol, des touffes de bruyère. Les deux espèces franciliennes se côtoient : Bruyère cendrée et Callune commune que nous comparons. Un cri sifflé tombe tout à coup des frondaisons touffues : un Grosbec casse-noyaux passe au vol.

 

A l’heure où toutes les horloges françaises sonnent vingt coups, les ventres commencent à se plaindre que la pause pique-nique tarde à venir. Certain(e)(s) plonge(nt) depuis un moment déjà la main dans leur sac à la recherche de quelques nourritures. D’autres s’enquièrent du dîner à chaque nouvel hectomètre franchi.

 

« Dis Grand Schtroumpf, c’est encore loin ? »

 

Non, plus très loin. « Tu vois le coin du bois là-bas ? L’horizon sud-est y est dégagé. On y mangera ». Cent nouveaux mètres de gagnés. Mais au coin en question, les moustiques se ruent sur nous comme si nul autre être vivant n’était passé par-là depuis des lustres. Impossible de s’y installer sans risquer d’y perdre un litre de sang chacun. Le chemin un peu plus loin semblait une alternative de choix. Mais personne n’est venu le faucher de la saison. Difficile de s’installer au milieu de ce qui ressemble à une prairie couverte de graminées d’un mètre de haut. En attendant, les enfants scrutent le sol à la recherche de plumes. Juillet est sans doute le meilleur mois de l’année pour se constituer une belle collection : la mue des oiseaux – qui renouvellent leur plumage chaque année – bat son plein : plumes de Pigeon ramier, Geai des chênes, Corneille noire, Faisan de Colchide, Chouette hulotte. Les trouvailles s’accumulent et distraient pour un temps les estomacs. Un chevreuil tout à coup surgit d’une jachère. Proche du chemin, dans la lumière du soir. Une femelle qui après deux bonds s’immobilise et nous regarde. Pas de vent pour lui apporter nos effluves. Pas de vent pour nous trahir. Dans le contre-jour, la chevrette a sans doute du mal à clairement identifier le danger. Elle hésite. Tergiverse. Patiente six ou sept secondes supplémentaires. S’éloigne à nouveau d’une dizaine de mètres pour stopper une dernière fois en limite de parcelle. Un pas de plus et elle se trouvera à découvert dans un chaume ras, hors de sa cachette de graminées. Quelle décision prendre ? Se coucher dans les hautes herbes et attendre que nous passions notre chemin ? Détaler à la vue de tous ? Une seconde encore et l’animal opte pour la seconde solution. D’un bond elle s’élance, saute et zigzague afin de rendre difficile une éventuelle poursuite ou l’ajustement d’un tir et entre en sous-bois – saine et sauve. Une magnifique observation.   

 

La lune se lève…

 

« Dis Grand Schtroumpf, c’est encore loin ? »

 

Une rengaine…

 

Peu après 21h00, la pause est décidée. Soulagement des affamés. Les provisions sortent des sacs à une vitesse ahurissante. Certains devaient jeûner depuis deux jours au moins. Il est vrai que les balades en plein air creusent les ventres – libèrent des préoccupations, apaisent l’esprit. Chacun mort à belles dents : sandwiches de pain croustillant, salades, légumes, fruits. L’avidité est à la hauteur de l’attente. Le Pic épeiche nous informe de sa présence. Le Pic vert rigole. Les Geais piaillent à qui mieux mieux. Comme à son habitude, l’espèce est bruyante. 

 

A 21h35, la marche reprend. Instants où la nature bascule. A l’ouest, le soleil vient lécher les grands chênes de la forêt, est peu à peu grignoté par un horizon gourmand. A l’est, la lune accoure de toute la vitesse de la rotation terrestre. Mais reste invisible pour quelques minutes encore. Le premier semble fuir devant la seconde. Aujourd’hui, la lune n’a pas rendez-vous avec le soleil mais avec nous. Car nous sommes là pour elle !

 

Le ciel se colore de rouge, d’orangé, de parme. Les arbres dans le contre-jour ne sont plus que des silhouettes sombres sans détail. Le chemin que nous suivons longe des parcelles moissonnées, d’autres dans l’attente de la moissonneuse. Un petit bois large de quelques mètres ici. Un boqueteau plus important là. Au loin, une ferme s’endort dans le crépuscule. Un chien aboie contre on ne sait qui, contre on ne sait quoi – la peur atavique du loup ? Les enfants poursuivent leur récolte. Ils ont maintenant de quoi tisser des coiffes de grands chefs sioux.

 

Mélopée nostalgique du Rougegorge familier. Plaintes aiguës. Sifflements un peu tristes. Ambiance recueillie. Le monde semble attendre avec nous le lever de la reine de la nuit. A 22h00, toujours rien. La lune est officiellement levée depuis quatorze minutes – ce sont les éphémérides qui l’affirment. Mais la forêt la retient encore. On scrute. Elle est là, juste derrière les arbres. Se laissant encore désirer. Chauffant la salle jusqu’à la limite de l’incident.

 

« Là ! »

 

Il est 22h10 lorsque le cri tant attendu retentit enfin. Il provient de la tête du groupe. En avance de quarante ou cinquante mètres sur le peloton. Les poursuivants allongent le pas. Accélèrent de façon notable. Ecarquillent les yeux. Et aperçoivent bientôt une coloration rougeâtre entre les arbres. La lune se hisse enfin au-dessus des houppiers. Orangée, lumineuse. Enorme. Et comme croquée par un ogre insatiable. La partie gauche du disque manque en effet. L’éclipse a débuté il y a plus d’une heure. Notre satellite est entièrement dans le cône de pénombre. Et vient même d’entrer dans le cône d’ombre. La partie orangée correspond à la surface faiblement éclairé par quelques rayons du soleil couchant qui n’ont pas été interceptés par la Terre et qui pour beaucoup traversé de part en part notre atmosphère. La partie noire – mangée – est la portion que le soleil n’éclaire plus.

 

Le spectacle – magique – accapare tout le groupe. A peine si on remarque les trois Perdrix grises qui s’éloignent en protestant de notre stationnement prolongé si près de leur territoire. L’ombre progresse. Et pivote légèrement. L’éclipse n’est que partielle : la lune passe en-dessous du cône d’ombre et au maximum, n’y entre que pour moitié. Alors que nous prenons des photos, des tablettes de chocolat apparaissent. Du noir à l’orange. Du noir aux framboises et aux graines de sésame. De noir tout seul. Mille mercis pour cette succulente surprise qui ravit nos papilles. A 23h30, au moment du maximum, un croissant de forme curieuse est comme suspendu à un fil – cornes en haut.

 

Dans la lunette d’observation, Jupiter et ses quatre lunes galiléennes trônent dans un ciel qui peine à s’obscurcir. Les quatre satellites sont du même côté, alignés au sud-ouest de la planète géante. Le disque de Jupiter est bien visible. Avec un grossissement de soixante fois, on devine même deux bandes plus sombres sur la surface : les nuages qui tempêtent dans son atmosphère houleuse.

 

Entre Jupiter et la lune éclipsée, un autre astre brille. Plus tenu. Plus lointain. Un éclat fixe sans scintillement. Un astre qui se contente de réfléchir une lumière qu’il n’émet pas lui-même : une autre planète. A un bon paquet de kilomètres. La lunette rend son verdict : Saturne ! Une boule de gaz ceinturée d’un anneau épais et bien visible depuis notre campagne yvelinoise.

 

Il est temps de lever le camp et de regagner nos véhicules. Il est minuit. Le soleil va encore descendre sous l’horizon durant deux heures, puis remonter nous éclairer une nouvelle journée. La lune va sortir du cône d’ombre dans une heure. Pour achever son éclipse à 02h18. A ce moment-là, nous serons certainement blottis dans les bras de Morphée, rêvant à cette douce soirée d’été sous le ciel étoilé…

 

Liste des espèces

Oiseaux :

Buse variable, Perdrix grise, Pigeon ramier, Tourterelle turque, Pic vert, Pic épeiche, Alouette des champs, Hirondelle rustique, Corneille noire, Geai des chênes, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Rossignol philomèle, Grive musicienne, Fauvette à tête noire, Fauvette grisette, Moineau domestique, Grosbec casse-noyaux, Verdier d'Europe, Chardonneret élégant, Pinson des arbres, Bruant jaune

 

Mammifères :

Chevreuil européen, Belette d'Europe

 

Libellules :

Aeschne bleue

 

Papillons de jour :

Piéride de la rave, Demi-deuil, Belle Dame

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