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21 juillet 2019

Un arbre, ça se remarque !

Mettre un pied devant l’autre et recommencer…

De bon matin, une petite brise des plus agréables souffle sur ce petit coin de la planète. Le ciel est bleu et le mercure n’a pas encore franchi la barre des 20°c. Nous dominons Montfort-l’Amaury. Les deux tours vestiges du château d’Anne de Bretagne se dressent au-dessus de la végétation et veillent encore sur le village comme si nous étions encore à la Renaissance.

 

La Tourterelle des bois chante. Une voix discrète qui porte pourtant au loin. L’oiseau niche probablement dans les haies entrecoupées de grands arbres et préservées dans cette belle campagne en lisière nord du massif forestier de Rambouillet. Une espèce devenue rare et dont les populations continuent de dégringoler à une vitesse alarmante. Les Pinsons des arbres, Rougegorges familiers et Troglodytes mignons sortent de leur silence estival pour se dégourdir les cordes vocales. En été, les oiseaux se montrent en effet discrets. Chaleur, oisillons à nourrir et mue – bon nombre d’oiseaux renouvellent leurs plumes à cette époque de l’année – les invitent au silence. Un Bruant zizi au sommet d’un petit bouleau justifie son nom : « zi-zi-zi-zi-zi… » L’onomatopée prend toute sa signification lorsqu’on écoute ce très bel oiseau à la tête jaune et verte fortement marquée de noir.

 

Le chemin est sec malgré les averses de la veille au soir. Allée bordée d’arbres centenaires reliant le village à la forêt. Douceur de l’ombre. Le mot « fraîcheur » est prononcé. Alisiers tominaux, Chênes pédonculés, Frênes, Trembles, Charmes, Platanes. Les espèces se mêlent en un cordon harmonieux. De chaque côté, des parcelles cultivées. Du colza bien mûr sur le point d’être récolté à droite. Du blé en partie moissonné à gauche. Un rassemblement de corvidés s’organise dans le chaume ras. Des Corneilles noires et des Corbeaux freux en réunion mixte et pacifique qui permet au groupe d’apprécier les différences subtiles qui distinguent les deux espèces. A une vingtaine de mètres du sol, une Alouette des champs s’époumone au-dessus de chez elle, prévenant à la ronde que toute intrusion dans son territoire serait considérée comme un acte répréhensible et exposerait l’envahisseur à des poursuites – au sens littéral du terme.

 

Puis nous entrons en sous-bois. A droite, une parcelle dense de chênes très jeunes. A gauche, une grande futaie d’arbres âgés toisant une strate herbacée faite de ronces et de graminées. Juxtaposition des deux extrêmes. La forêt de Rambouillet – qui est la quatrième plus grande forêt domaniale de métropole – a une vocation de production de bois et n’est plus une forêt naturelle depuis des lustres. Elle est aujourd’hui un patchwork de parcelles à des stades sylvicoles différents, de la trouée forestière peuplée d’espèces pionnières jusqu’au stade de maturité dans lequel sont apparues des essences de grande longévité et à bois dur. Avec tous les intermédiaires qui succèdent dans l’espace et au fil des décennies.

 

Faune et flore sont bien évidemment sensibles à ces différentes phases et s’adaptent à l’une ou l’autre en fonction de leurs exigences. Dans le taillis de gauche, nous entendons la Fauvette à tête noire et le Bouvreuil pivoine, espèces aimant les milieux arbustifs denses. Dans la grande futaie, le Pic vert émet son rire tonitruant. Les Grimpereaux des jardins inspectent les grosses branches des chênes à la recherche d’insectes ou de petites araignées dont ils se nourrissent. Un Loriot d’Europe siffle son magnifique chant mélodieux si caractéristique.

 

Sur le chemin herbu bordé de fleurs, des dizaines de papillons virevoltent au soleil. Beaucoup se posent sur la végétation, ouvrent largement leurs ailes et font le plein de chaleur. L’Amaryllis domine largement : petit papillon d’été aux ailes mêlées de brun et d’orange qui abonde dès la mi-juillet. Des Tristans de couleur chocolat croisent leurs copains orangés. Une symphonie de couleur zébrant la végétation.

 

Photos.

 

Le premier arbre classé se mérite. Au milieu d’une parcelle, il nécessite une attention particulière à cette époque de l’année pour être découvert. Dissimulé derrière l’écran de verdure de ses congénères beaucoup plus jeunes, le chêne Géneau se dresse – massif et majestueux – au-dessus des autres. Le bon grand-père jetant un œil bienveillant sur les jeunes générations. Etendant ses branches épaisses par-dessus les têtes des gringalets. Le patriarche siégeant au centre des siens. Ne manque que la barbe blanche.

 

On se sent tout petits – beaucoup des gringalets en question étant bien plus vieux que nous… Nous sommes dans la peau d’une classe de maternelle en visite à pas feutrés dans la cour de l’école des grands. Impressionnant.

 

Cette partie de la forêt compte un grand nombre d’arbres âgés. Les arbres classés que nous sommes venus admirer ne sont pas les seuls à être remarquables. Beaucoup d’autres plus modestes attirent également l’admiration. Diamètre de plus d’un mètre. Lacis de branches plus épaisses que les arbres alentour. Parfois couvertes de mousse. Port altier. Cathédrales vivantes… Toute la beauté de la forêt défile devant nos yeux.

 

Si les houppiers tanguent doucement sous le vent léger, au sol l’air demeure immobile. Atmosphère moite et chaleur qui monte davantage à chaque instant. Atmosphère lourde. Moite. Propice aux moustiques qui se montrent empressés autour de nous. Heureux de nous voir. Un ravissement qu’on mentirait à prétendre réciproque. Les bras débutent un ballet circulaire, chassant les importuns. Des claques sèchent retentissent à intervalles réguliers. Nous gardons néanmoins à l’esprit que ces insectes constituent la base de la chaîne alimentaire que l’homme malmène à l’excès et au sommet de laquelle il trône pourtant.

 

En train de scier la branche sur laquelle l’humanité est assise.

 

Le Pic mar crie tout à coup derrière nous. Des trilles très sonores et plus « humides » que ceux du Pic épeiche qui lui ressemble tant. Un splendide Petit Sylvain – grand papillon aux ailes noires et blanches – apparaît tout à coup dans notre champ de vision. Amples battements d’ailes rayant le vert de la végétation. Se pose sur des fleurs de ronce. Butine.

 

Nouvelles photos.

 

Chaleur de l’après-midi…

 

Peu avant la pause déjeuner, notre groupe parvient au pied d’un géant. Sans doute pas l’arbre le plus vieux de la forêt. Ni celui ayant le plus fort diamètre. Mais probablement le plus extraordinaire. Colossal. Un tronc de 5,45 mètres de circonférence et presque aussi large à sa base qu’à sept mètres du sol. Sans une branche le long du fût pour exploser en une débauche de ramifications partant toutes de la gorge de l’arbre et dans toutes les directions. Nous sommes bien insignifiants à contempler l’Arbre-Monde. Yggdrasil soutient les neufs royaumes et lie entre eux la terre et le ciel. De la mousse couvre partiellement ses branches les plus horizontales. Des pics ont y creusé leurs loges. D’autres espèces y bâtissent également leurs nids, y cherchent leur nourriture dans l’univers de sa coiffe.

 

Un écosystème à lui seul.

 

Pas facile de nous arracher à un tel spectacle. Nos âmes rassérénées, nous poursuivons notre quête. Marchant vers d’autres arbres. Vers d’autres monuments patiemment façonnés par Dame Nature.

 

L’étape suivante est toutefois plus prosaïque. Manger. Et boire, car la température monte progressivement. Au bord d’un bel étang forestier, nous dégotons une table de bois agrémentée de bancs. Non loin de l’eau, elle permet de garder un œil sur le miroir qu’aucun souffle ne vient troubler. Les victuailles sortent des sacs. Agapes joyeuses et diverses pour le contentement des corps cette fois. Le dessert, un très savoureux gâteau au chocolat, est particulièrement apprécié.

 

Activité intense chez les libellules. La température  – 28°c – et l’ardeur du soleil les chauffent et dopent leur métabolisme. Volent à vive allure, sans restriction de vitesse dans ce monde-ci. Accélérations étourdissantes. Virages à angle improbable. Montées en chandelle. Difficile de cadrer une libellule dans les oculaires des jumelles. Patiemment, nous y parvenons quelques-fois. Les photographes s’émerveillent de celles qui posent. Suivent des yeux avec envie celles qui patrouillent inlassablement au milieu de la pièce d’eau. Anax empereurs, Libellules fauves, Orthétrums réticulés. Et même une rare Chlorocordulie métallique aux reflets vert émeraude. Dans le ciel d’azur, une Bondrée apivore cercle. Un beau rapace de la taille d’une buse, à la silhouette plus élancée, plus élégante. Un beau rapace au régime alimentaire particulier et qui lui a valu son nom. La bête se nourrit principalement d’hyménoptères, savourant les guêpes, dégustant les frelons. Déterrant les nids enfouis dans le sol. Consommant les larves ainsi mises au jour.

 

L’après-midi est silencieuse. Plus aucun oiseau ne se manifeste. Plus un chant. Ni même un cri. L’heure de la sieste durant les heures chaudes. Les naturalistes randonneurs, eux, vont de l’avant. Grimpent une pente de bruyères en fleur. Traversent une parcelle de jeunes bouleaux. Observent une magnifique Aeschne mixte pendue à une branche – une chance car l’espèce ne pose pas fréquemment. Parvenus à un carrefour écrasé de soleil, nous posons les sacs à l’ombre. Et commençons à répertorier les insectes qui butinent les nombreuses fleurs des lieux. Frénésie de couleurs et de mouvements. Citrons jaunes sur scabieuses fuchsias. Paons du jour aux ailes lie de vin. Tabac d’Espagne aux écailles orange tachées de noir. Piérides du chou presque aussi blanches que la neige. Et des Amaryllis partout. En nombre à peine croyable. Le ciel est quadrillé par de grosses libellules – 8 à 11 cm d’envergure. Au moins quatre Aeschnes mixtes. Et deux Aeschnes bleues. De véritables requins en chasse. Allant et venant dans l’espace ouvert du carrefour. A droite, à gauche. Puis à nouveau à droite. Attrapant tous les petits insectes s’aventurant dans les parages.

 

L’humidité de l’air accentue la chaleur et nous retrouvons le sous-bois avec soulagement. Les fougères bordent le sentier devenu un simple sillon de terre sèche serpentant entre deux murs de végétaux. Deux mètres de haut. Parfois davantage. En rang serré. Impénétrable.

 

Alors que toutes les horloges de France viennent de sonner trois coups, notre groupe atteint un nouveau carrefour. Vaste. Avec une table de pierre en son centre. La table du Roi occupe les lieux depuis 1788. Avant que le peuple ne s’agace du train de vie de la monarchie, Louis XVI venait chasser ici. S’y asseyait pour troquer mocassins contre bottes. Montait à l’occasion dessus pour suivre la progression des chiens de long des huit routes qui s’en échappent. Y casser la croûte à la fin de la chasse. Ou – débonnaire – s’y détendait un moment avant de regagner son petit chez soi retrouver sa reine qui l’attendait occupée à un ouvrage au point de croix… « Salut Louis. Tu as passé une bonne journée ? »

 

Mais aujourd’hui le soleil cogne et la table cuit sous le feu du ciel. Le groupe ne s’attarde pas et poursuit sous les frondaisons des grands chênes et des hêtres plus grands encore. Un Petit Mars changeant croise bientôt notre route. Vol nerveux, rapide d’un insecte gorgé de calories. « Changeant » car ses ailes varient de l’ocre au violet selon l’incidence de la lumière. Au vol, le papillon semble clignoter. Orange-violet. Violet-orange. Malgré nos vœux pas toujours muets, le Petit Mars ne pose pas. Ne se laisse pas longuement admirer ni photographier comme nous l’aurions souhaité.

 

Dommage !

 

Le dernier arbre classé est aussi le doyen du massif forestier. Son âge a été estimé en 1990 à cinq siècles. Ce qui nous le met âgé d’une vingtaine d’années lorsque François installe Léonard au Clos Lucé, déjà centenaire quand Margot et Henry dégustent une poule au pot et à la moitié de sa vie actuelle lorsque Montesquieu expire son dernier souffle.

 

Oui, ça colle le vertige !

 

Un rapide calcul et une légère conjecture de notre part quant à sa croissance durant les trois dernières décennies – que je multiplie par Pi – font de cet arbre le plus gros de la forêt de Rambouillet avec une circonférence estimée à 7,20 mètres.

 

La fin de la balade se déroule sous un ciel voilé. La fatigue commence à se faire sentir. Une dernière descente suivie d’une dernière côte. Un étang aux nénuphars rouges entre les deux. Puis un nouvel étang en lisière avant de regagner les abords de Montfort. Il est 18h20 et la sortie s’achève dans la meilleure humeur. La forêt est magnifique et recèle bien des trésors. Arbres, fleurs, papillons, libellules, oiseaux… Du plat, de la pente, de la bruyère, de la fougère, des parcelles âgées, des parcelles jeunes. Cours d’eau et petits étangs forestiers. Une grande diversité le long d’un sentier de 16 km que nous avons parcouru à notre rythme en prenant le temps d’observer la nature. Merci d’être venus. Merci de votre curiosité. Et de votre enthousiasme.

 

Liste des espèces

Oiseaux :

Canard mandarin, Bondrée apivore, Buse variable, Pigeon ramier, Tourterelle des bois, Tourterelle turque, Martinet noir, Pic vert, Pic épeiche, Pic mar, Pic épeichette, Alouette des champs, Hirondelle rustique, Loriot d'Europe, Corneille noire, Corbeau freux, Pie bavarde, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange huppée, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Rougequeue noir, Fauvette à tête noire, Pouillot véloce, Grosbec casse-noyaux, Bouvreuil pivoine, Pinson des arbres, Bruant zizi

 

Libellules :

Caloptéryx vierge, Leste vert, Pennipatte bleuâtre, Aeschne bleue, Aeschne mixte, Anax empereur, Anax napolitain, Chlorocordulie métallique, Libellule fauve, Orthétrum réticulé, Sympétrum sanguin

 

Papillons de jour :

Hespérie de la houque, Sylvaine, Machaon, Piéride de la moutarde, Piéride de la rave, Piéride du navet, Piéride du chou, Citron, Thècle de l'yeuse, Tircis, Amaryllis, Tristan, Myrtil, Tabac d'Espagne, Petit Mars changeant, Petit Sylvain, Paon du jour, Vulcain, Mélitée des mélampyres

 

Papillons de nuit :

Moro-sphinx

 

Amphibiens :

Crapaud commun, Grenouille agile

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