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14 juillet 2019
Du bleu, du blanc et du rouge…
Un début tout en douceur…
Maincourt-sur-Yvette. Ses petites maisons de charmes. Ses propriétés moins petites mais tout aussi sympathiques. Sa rivière (l’Yvette, pour ceux qui seraient déjà perdus). Sa forêt. Son marais. Et son sentier de découverte… La liste n’est probablement pas exhaustive !
Autour du parking, de grands chênes poussent. Végétation luxuriante. Frondaisons denses, touffues des arbres de fond de vallée ayant de l’eau à profusion. Un Gobemouche gris chante. Cris aigus, stridents. D’un oiseau qui reste invisible. Probablement au sommet d’un arbre ou dans un houppier à guetter depuis une branche un insecte à se coller sous la dent (ce n’est évidemment qu’une expression, les oiseaux n’ont pas de dent).
Une famille de Rougegorges familiers occupe, elle, les branches basses des noisetiers environnants. Les parents arborent leur célèbre plastron orangé. Les jeunes se contentent d’un plumage brun écaillé. Autres cris aigus, stridents. Les minots râlent un peu – l’impatience des plus jeunes – avec l’espoir que papa et maman rapportent rapidement un truc à grignoter. Car dans la famille, on ne se contente pas des trois repas quotidiens. On becte toute la journée. On engloutit voracement tout ce que les parents nous déposent dans le bec. On se gave et on réclame sans répit. Maman et papa sont sur les dents – oui, je sais.
Le ciel reste couvert depuis la nuit dernière. Un vent frais souffle du nord-ouest. A peine 21 ou 22°c au thermomètre. Insuffisant pour la plupart des papillons et libellules. Les insectes ont le sang froid, ne régulent pas leur température corporelle et ont besoin de la chaleur du soleil pour se réchauffer et voler. En ce début d’après-midi, seuls les moins frileux sont de sortie. Piérides de la rave, Piéride du navet – des papillons blancs. Un Petit Sylvain apparaît à son tour. Papillon noir maculé de blanc typique du sous-bois – la racine latine « sylva » signifie forêt, bois et se retrouve dans les termes sylvestre, sylvicole, ripisylve, ainsi que dans les prénoms Sylvie et Sylvain.
Le groupe évolue en plein cœur du marais sur une magnifique passerelle de bois. Le roseau qui couvre l’essentiel de l’espace plie et ne rompt pas sous la brise du jour. Des quantités de liserons y accrochent leurs tiges et grimpent vers la lumière. Entre la végétation, une toile d’araignée. Et sur la toile… une araignée. De belle taille. Et avec un abdomen volumineux, jaune rayé de noir. L’animal – qui n’est pas un insecte car nanti de huit pattes –, immobile, patiente la tête en bas. Qu’une vibration parcoure son piège collant et elle se précipite sur sa proie. Une Argiope.
Un papillon apparaît. Taille relativement petite. Noir taché de blanc et d’orangé. Le dessous de l’aile flanqué de formes géométriques colorées qui ont inspiré les découvreurs et lui ont valu son nom : une Carte géographique. L’insecte est complaisant. Occupé à butiner une fleur de chardon, il reste de longues minutes, immobile. Nous l’observons à loisir. Nous entraînant à pointer sur lui nos jumelles, à le cadrer dans les oculaires, à régler la mise au point. Tout ceci n’a rien d’évident lorsqu’on manque de pratique. Les photographes cadrent, déclenchent. Et déclenchent encore sous un angle différent. Avec un temps de pause au-dessus, en-dessous. Derrière nous, une mare riche en végétation aquatique. Roseaux, bien sûr. Mais aussi carex, lentilles d’eau, potamots. Iris dont les fleurs fanées depuis des semaines ont donné naissance à des fruits ovoïdes épais. Un Héron cendré pêche. Technique « musée Grévin ». Bec au-dessus de l’eau. Œil rivé sur la surface. Pas un cil ne bouge. L’oiseau se fond dans le paysage avec ses couleurs grisâtres. Il aura son poisson. Ou sa grenouille. Ce n’est qu’une question de temps et notre héron n’est pas pressé.
Nous approchons d’un petit pont de bois qui traverse la rivière. Celui d’Yves ne tenait plus guère que par un grand mystère et deux piquets tout droits. Celui-ci, plus solide, nous permet une escale en son milieu. Un bon mètre et demi au-dessus de l’eau. Un mur de ronce d’un côté, de phragmites de l’autre. Nous cherchons une hypothétique libellule. Mais la fraîcheur ne les incite pas à voler. Au bout de deux ou trois minutes, l’une d’elle est tout de même repérée. Un très beau mâle de Caloptéryx vierge. De couleur bleu-nuit. Avec des reflets métalliques pourpres et verts. Les ailes indigo fortement nervurées et jointes le long de son abdomen : la libellule est posée en hauteur sur une feuille de roseau. Pas un mouvement. Puis un insecte de belle taille au vol papillonnant passe sous nos yeux. Un éclair bleuté traverse notre champ de vision. Un second caloptéryx. Suffisamment vaillant pour se déplacer sur quelques mètres. Notre après-midi « libellules » n’est sans doute pas compromis. D’ailleurs le plafond commence à se lever. Les nuages verrouillent encore la voûte mais la lumière croît.
Et on y croit également !
Lorsque le soleil perce enfin…
Au centre d’une seconde mare – plus grande que la précédente – est aménagée une plateforme en bois. Avec des bancs pour profiter de la sérénité du lieu. Prendre le temps d’observer la faune et la flore de ce monde réduit. Une famille de Gallinules poule-d’eau casse la croûte. Les deux adultes identifiables à leur bec rouge à pointe jaune. Et les jeunes au plumage brunâtre. Fratrie de cinq ou six. De nombreuses Grenouilles vertes se baignent avec leur maillot coloré. Bigarré. Du vert, du brun, du noir. En taches, en stries. Vert ponctué de noir. Noir rayé de vert. Des maquillages extrêmement diversifiés. Immobiles sur la végétation flottante, elles attendent que leur repas s’approche de lui-même. Un peu comme les humains au restaurant. Ou plus récemment sur le parking d’un drive.
Et la lumière fut !
Les nuages se désagrègent. Laissent apparaître de larges pans de ciel bleu. Trouée qui coïncide tout à coup avec la position du soleil. Flots de lumière au sol. Les rayons chauds de juillet inondent le marais. Température en hausse de quatre ou cinq degrés en quelques instants. Ce qu’attendaient les insectes. Après deux ou trois minutes pour emmagasiner quelques calories et les libellules apparaissent comme par magie. Deux grosses libellules déprimées d’abord. Non pas qu’elles carburent au prozac, leur nom leur vient de leur abdomen aplati – déprimé. Volent à des vitesses fulgurantes. Virages sur l’aile. Et posent sur les feuilles en hauteur pour surveiller leur territoire. Une femelle d’Anax empereur – une des plus grandes libellules d’Europe – vient pondre dans la mare sous nos yeux. Elle se pose sur une branche flottante, sur une plante émergée et trempe le bout de son abdomen dans l’eau pour y déposer ses œufs. Mais la future mère n’est pas tranquille. Les grenouilles l’ont vue. Et malgré la grande taille de la libellule, elles s’approchent lentement vers elle. La femelle s’envole. Se pose à nouveau pour quelques secondes. S’envole encore… les amphibiens ne lui laissent aucun répit.
Des demoiselles – libellules de petites tailles – sortent à leur tour. Des Agrions jouvencelles. D’autres Caloptéryx vierges. Un Caloptéryx éclatant. Et quelques Ischnures élégantes. Des insectes de cinq à sept centimètres de diamètre. Toutes de couleur bleue. Bleu indigo ou bleu ciel selon l’espèce. Un mâle d’Orthétrum brun entre également en scène. Thorax et abdomen d’un magnifique gris bleuté – la femelle est brune. Sept espèces en quelques minutes révélant la grande richesse du site.
Au-dessus de nous, volant haut et se détachant sur le blanc d’un nuage, une Bondrée apivore cercle. Il s’agit d’un rapace de la taille d’une Buse variable et se nourrissant principalement d’hyménoptères – abeilles, guêpes, frelons… Mais déjà la trouée se referme. Le soleil s’éloigne, reprend ses rayons bienfaiteurs. La température diminue et les libellules regagnent la sécurité du couvert végétal. Nous reprenons notre balade.
Le soleil joue à cache-cache le reste de l’après-midi. Venant et s’en allant au gré des déchirures dans la couche de crasse. Les chèvrefeuilles fleurissent sur notre parcours. Chênes, Châtaigner, Charmes, Noisetiers, Ormes, Bouleaux, Aulnes, Trembles… Arbres sains, vigoureux, malades, sénescents, morts. Des gringalets côtoient des ancêtres. Marais, forêt, lisières, jardins, mares, cours d’eau. La diversité de la faune est issue de la diversité de la végétation, de la diversité des paysages. Rien n’est donc plus grave que la banalisation des milieux. Que cette homogénéité artificielle qui grignote la nature du nord au sud et d’est en ouest.
Notre balade s’achève après une nouvelle visite à la grande mare. A notre départ, au moment d’une énième fermeture du ciel, un Vulcain est venu voleter à nos pieds. Posée un instant, cette apparition barrée de rouge est venue compléter le bleu des libellules et le blanc des piérides. Pour marquer ce 14 juillet et les drapeaux tricolores qui ont fleuri ici et là tout au long de la journée. Nous quittons heureux de ce petit coin de paradis en nous promettant d’y revenir pour une nouvelle sortie. Merci à toutes et à tous.
Liste des espèces
Oiseaux :
Héron cendré, Bondrée apivore, Gallinule poule-d'eau, Mouette rieuse, Pigeon ramier, Martin-pêcheur d'Europe, Pic vert, Pic mar, Hirondelle de fenêtre, Corneille noire, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange nonnette, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Fauvette à tête noire, Pouillot véloce, Gobemouche gris, Pinson des arbres
Libellules :
Caloptéryx éclatant, Caloptéryx vierge, Agrion jouvencelle, Ischnure élégante, Anax empereur, Libellule déprimée, Orthétrum brun
Papillons de jour :
Piéride de la rave, Piéride du navet, Piéride du chou, Tircis, Tristan, Myrtil, Petit Sylvain, Vulcain, Carte géographique
Papillons de nuit :
Ecaille fermière
Orthoptères :
Grande Sauterelle verte
Amphibiens :
Grenouille verte