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09 juillet 2019
Fields of Gold !
Une ruée vers l’or…
Une campagne ouverte s’étend sous nos yeux. Des parcelles agricoles à taille humaine – plus dans l’esprit « La Terre » de Zola que dans celui du remembrement ou des openfields du Midwest américain. Dans la première, des ballots de pailles rectangulaires sont alignés avec soin attendant là qu’une équipe armée de fourches viennent les charger sur une remorque. Dans la seconde, un tracteur herse le chaume dans un nuage de poussière ocre qu’un vent modéré du nord-est rabat sur le sentier. Plus loin encore, les blés mûrs aux épis chargés de grains crissent sous la brise.
La température est douce. Le ciel uniformément bleu. Le soleil encore haut sur l’horizon jette une lumière dorée sur les environs. Couleurs saturées. Début d’une belle balade dans un cadre magnifique.
Le long du ru qui coule en contre-bas du chemin, des libellules profitent de la chaleur persistante pour voler quelques minutes encore. Caloptéryx éclatants, Caloptéryx vierges, Ischnures élégantes : plusieurs espèces sont rapidement repérées. Une autre demoiselle apparaît alors. D’abord identifiée comme une Portecoupe holarctique, elle se révèle sur photos, une fois affichée en plein écran sur l’ordinateur, être un Agrion de Mercure – vue qui baisse ces temps-ci. L’Agrion de Mercure est une espèce peu commune dont la découverte nous renseigne sur la santé du biotope. Il est en effet sensible aux pollutions chimiques et organiques. Ainsi qu’à l’artificialisation du milieu. Sa présence est un indice de bonne qualité du cours d’eau. Un mâle d’Orthétrum brun (de couleur bleu-ciel – et ce n’est pas une boutade) passe au vol devant nous et pose un instant sur une motte de terre. Deux Paons du jour, des papillons aux ailes lie-de-vin, nous suivent durant les cinq-cents premiers mètres de notre périple.
L’Alouette des champs survole son domaine et chante ses strophes interminables, indifférente à notre présence. Une quinzaine de Martinets noirs – à ne pas confondre avec des hirondelles – nous offrent un ballet aérien à faire pâlir la patrouille de France de jalousie.
Dans un épais bosquet d’aubépines, de prunelliers, de ronces, de frênes, des oiseaux arbustifs ont élu domicile. Des Pouillots véloces empilent leurs écus. Des Fauvettes à tête noire ont le bon goût de chanter à côté de Rougegorges familiers, nous permettant de jouer au jeu des sept différences. Rythme lent pour le rougegorge, plus élevé pour la fauvette. Gai, enjoué pour la fauvette, empreint de mélancolie pour le rougegorge. Doux pour le rougegorge, modulé et riche en variations pour la fauvette… Un Rossignol philomèle se contente d’un grognement nasillard. Sa nidification est presque finie – il n’a plus de raisons de nous offrir un récital dont il a le secret.
Marchant maintenant en direction de l’ouest, le paysage devient un jeu d’ombres et de lumières miroitantes. Le contre-jour dessine chaque feuille, chaque graminée. Les tiges d’avoine qui bordent le sentier sont autant de guirlandes scintillantes, éclairées par le disque solaire nous faisant face.
Vers 20h30, la pause pique-nique s’organise. Au milieu du chemin herbeux. Sur la crête, entre deux mondes. Les bois de Thoiry au nord, le village de Garancières au sud dont on aperçoit le clocher se hissant au-dessus de la végétation. Notre imagination nous emporte loin, sur l’isthme de Panama, l’Océan Atlantique à l’est, le Pacifique à l’ouest. Pour un peu, nous verrions des perroquets multicolores survoler la forêt tropicale ou un jaguar se faufiler dans la végétation luxuriante. A la place, c’est un couple de Tourterelles des bois qui s’approche, nous dépasse et pose dans le houppier d’un grand chêne. Une espèce dont la chute des effectifs est très préoccupante (baisse de 44% en France au cours des dix dernières années selon le site Vigie Nature du Muséum National d’Histoire Naturelle). Un chevreuil sort le long d’un petit bois. Met une minute avant de prendre conscience de notre présence. Se laisse observer pour bientôt rentrer à couvert.
L’heure avance vite. Plus vite que nous. Notre balade vire au contemplatif béat tant le soleil couchant magnifie la campagne qui nous entoure. Le blé – et l’orge dont il reste quelques parcelles non moissonnées – sont habillés d’or. Tout autour de nous, le blond, l’ocre, le jaune paille rayonnent, rutilent, flamboient, luisent… Fort Knox à ciel ouvert.
You'll remember me when the west wind moves upon the fields of barley
You'll forget the sun in his jealous sky as we walk in fields of gold
So she took her love for to gaze awhile upon the fields of barley
In his arms she fell as her hair came down among the fields of gold
La partie de campagne que nous traversons alors est piquée de petits bois tout en longueur. Chaque fois que nous parvenons à l’un des coins de ces rectangles étroits, nous ralentissons le pas et observons discrètement la pièce cachée un instant plus tôt. Une chevrette – femelle du chevreuil – se tient dans le champ. Elle nous tourne le dos mais chacun attend de la voir détaler sous peu. Les appareils photos crépitent tant que le sujet reste dans le viseur. C’est une question de secondes. Pourtant l’animal reste là. Confiance dangereusement accordée ? Surdité tout aussi létale ? La chevrette n’est pas sous notre vent. Elle ne nous a pas sentis. Pas encore. Lorsqu’elle tourne la tête, nous scrute… et fait quelques pas dans notre direction. Le petit cervidé s’approche, marquant des pauses régulières, les yeux fixés sur nous. Elle nous a vus mais sans doute pas identifiés clairement. Sans la ressource des odeurs, peut-être gênée par le soleil rasant, elle avance encore un peu. Avant de sauter à couvert d’un bond ou deux… dans le doute.
Quand on s’approche doucement de demain…
C’est à ce moment qu’une Caille des blés entre en scène. Avec, très près de l’horizon maintenant, la boule rougie du couchant en guise de projecteur. Après l’Harpagon comptant ses pièces au début de la sortie, voici l’usurier qui vous toise de toute la hauteur de l’administration fiscale. Le chant de cette perdrix miniature a en effet la consonance de l’injonction « Paie tes dettes ! »
L’oiseau est si près, que nous entendons également sa courte introduction grinçante – en général peu audible. Nous localisons l’oiseau. Dans un carré d’anthémis – petites composées blanches proches de la camomille. La caille n’est qu’à dix ou douze mètres. Et chante à intervalles réguliers, entrecoupés de pauses de quelques secondes. Nous tentons de la voir. Approchant aussi silencieusement que possible. L’oiseau nous laisse faire et poursuit ses vocalises. Mais notre patience n’est pas récompensée. La caille demeure invisible.
Nous poursuivons notre chemin et accélérons le pas afin de photographier la plongée du soleil sous l’horizon sans fausse note dans le paysage – une petite ligne téléphonique risque de gâcher le moment ultime si nous n’y prenons pas garde.
La température baisse maintenant de concert avec la lumière. La brise fraîchit. Le ciel se couvre de rouge, d’orange et de parme à l’ouest. De l’autre côté, le bleu vire lentement à l’indigo. Des lumières s’allument et ponctue la campagne assombrie. Le village de Neauphle-le-château sur sa butte. Villiers-Saint-Frédérique dans la pente en-dessous. Boissy-sans-Avoir devant nous. Garancières est masqué dans un creux du terrain. La lune arbore son premier quart. Dans une semaine jour pour jour elle sera pleine et passera pour partie dans le cône d’ombre de la Terre. Une éclipse très attendue.
Une profonde sérénité enveloppe les lieux. Le monde diurne glisse doucement dans le sommeil. Le marchand de sable vient de passer, a jeté quelques pelletées ici et là – non, non, tu n’en as pas dans les cheveux ! Les dernières photos immortalisent ces instants entre chiens et loups, l’éveil de la nuit qui s’apprête à prendre le relais.
Tout à coup un cri bref retentit dans le groupe. Murmuré mais suffisamment net pour attirer l’attention de tous. Un bras tendu indique où doit se porter le regard. Sur un layon séparant un champ de blé mûr et un autre de maïs, un gros sanglier nous observe. Lui aussi est en alerte. Il a eu vent de notre arrivée. Cette fois Eole nous est défavorable. L’animal tourne les talons et s’éloigne en trottinant sur le sentier. Aussitôt suivi par trois autres bêtes plus petites qui entrent dans le maïs à la suite du premier. Mais la messe n’est pas encre dite. Les épis de blé bruissent. D’autres sangliers s’y trouvent encore et vont franchir l’espace libre à la suite des autres. Appareils photo braqués entre les deux cultures. Prêts à déclencher. L’attente n’est pas longue. Les animaux sortent en nombre. Deux, trois, cinq, dix, quinze…Le layon est bientôt envahi d’une troupe gesticulante. L’arrière garde n’a peut-être pas compris l’agitation des animaux de tête. Ils semblent hésiter puis s’éloignent en toute hâte dans la même direction. Des jeunes. Sans expérience. Qui cherche dans l’affolement à rejoindre la protection des adultes. L’interlude a duré une à deux minutes. Une vingtaine d’animaux en tout. Et qui allongent notre liste « mammifères » après les trois chevreuils et les lièvres observés plus tôt.
La sortie s’achève sur une belle observation. Il nous reste environ deux kilomètres à parcourir avant de regagner les véhicules. Nous espérons bien sûr observer un rapace nocturne. Une Chouette hulotte ou plus probablement un Hibou moyen-duc qui fréquente ces plaines et lisières. Mais la nuit s’épaissit et joue contre nous. Notre vigilance s’amenuisait lorsqu’une silhouette, perchée sur un poteau électrique se laisse tomber à terre ailes ouvertes. Difficile de juger la taille ou la forme générale de l’oiseau. Et l’obscurité lui a permis de filer. Nous trouvons le secteur vide lorsque nous y arrivons. Coup de jumelles sur les poteaux suivants : rien. Sur les meules de foin qui traînent dans le champ ? Rien non plus. La lumière est faible et les jumelles approchent de leur limite quand un petit rapace arrive au vol dans notre dos, nous double à quelques mètres et dans un silence absolu. Pour disparaître aussitôt dans la nuit. L’observation n’a duré que deux à trois secondes. Silhouette robuste. Envergure de moitié par rapport à celle d’un Hibou moyen-duc. Le groupe vient d’observer une Chevêche d’Athéna. Un oiseau qui a connu un fort déclin durant la seconde moitié du XXe siècle du fait du remembrement et de la disparition de son habitat. Il ne reste aujourd’hui que peu de couples… cantonnés pour la plupart dans ces campagnes ouvertes et encore préservées, saupoudrées de petits bois et de lisières.
Rencontre du troisième type
La fin de la balade est sans autre émotion. Si ce n’est Jupiter qui brille de mille feux dans un ciel s’allumant peu à peu d’étoiles. La boucle est bouclée peu après 23h30 et neuf kilomètres de marche. De magnifiques images dans la tête. De belles photos – espérons-le – dans la boite à image. Une campagne vallonnée, pleine de charme. Et des rencontres inespérées.
Liste des espèces
Oiseaux :
Héron cendré, Buse variable, Faucon crécerelle, Caille des blés, Mouette rieuse, Pigeon ramier, Tourterelle des bois, Chevêche d'Athéna, Martinet noir, Pic vert, Alouette des champs, Hirondelle rustique, Corneille noire, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Rossignol philomèle, Tarier pâtre, Merle noir, Grive musicienne, Hypolaïs polyglotte, Fauvette à tête noire, Pouillot véloce, Chardonneret élégant, Pinson des arbres, Bruant jaune, Bruant zizi
Mammifères :
Chevreuil européen, Sanglier, Lièvre d'Europe
Amphibiens :
Grenouille verte, Grenouille agile
Papillons de jour :
Piéride de la rave, Myrtil, Paon du jour
Libellules :
Caloptéryx éclatant, Caloptéryx vierge, Agrion de Mercure, Ischnure élégante, Orthétrum brun