top of page

78

23 juillet 2019

Il était une fois... en calorie !

Le thermomètre s’affole…

​

Le sous-bois est calme. Le soleil baisse sur l’horizon. La lumière oblique jette du jaune sur tout le paysage. Sur un fil qui longe la petite route, un Chardonneret élégant chante à tue-tête. Une Sittelle torchepot annone ses cris humides. Une ou deux Grandes Sauterelles vertes stridulent du haut d’un chêne. Pour le reste, la forêt garde le silence. Veille à l’économie de gestes, d’énergie. Fait le dos rond en attendant que la torpeur s’estompe.

 

Il est 19h30 et il fait encore 38°c à l’ombre.

 

Le chemin sableux glisse sous le couvert végétal. Plafond de feuille qui nous protège de Râ et de ses rayons. Le petit ru qui coule au creux du vallon sature l’air d’humidité. Ambiance tropicale ce soir avec l’espoir que le début de nuit apporte un peu de fraîcheur.

 

Plus de chant d’oiseaux. Ceux-ci restent discrets en juillet. Qu’ils aient encore des jeunes à nourrir ou qu’ils soient en train de muer – beaucoup d’oiseaux renouvellent leur plumage à cette époque de l’année –, la gente ailée reste à couvert. Quelques mouvements dans les branches. Un cri ici, un cri là tombant dans nos oreilles. Un Grosbec casse-noyaux dans la cime. Un Pinson des arbres à mi-hauteur. Un Rougegorge familier sur une branche basse. A chacun son étage. Des volutes de papillons tournent autour de la bruyère en fleur. Des Amaryllis, espèce abondante en été et qu’on croise partout depuis deux ou trois semaines. Très belles observations de ce petit papillon mêlé de brun et d’orange posé sur le fuchsia des fleurs. Photos dans la boite.

 

Ce coin de forêt, sableux et chaud, est couvert de Pins sylvestres. Ecorce grisâtre au pied, orangée dans la moitié supérieure de l’arbre. Avec le soir qui tombe, les odeurs montent lentement. Une simple évocation pour l’heure. Puis le chemin s’élargit. Sable profond qui rend parfois la marche pénible. La voûte de la forêt s’ouvre, le ciel bleu reparaît, la lumière se répand entre la végétation, inonde à nouveau le sol.  Au-dessus du chemin, une libellule de belle taille patrouille. Volant d’abord vers nous, puis opérant un demi-tour six à sept mètres avant de parvenir à notre niveau. Une aeschne. Reste à déterminer l’espèce. Grande mais pas immense. La probabilité de l’Aeschne bleue diminue au profit de l’Aeschne mixte, plus petite et très commune à partir de la fin juillet.

 

L’aeschne se la joue rebelle. Demeurant à distance, compliquant la quête d’indices, la recherche de critères moins subjectifs qu’un vague sentiment. Arrive vers nous. Demi-tour. Repart au loin. Nouveau demi-tour et revient. On aimerait parfois avoir une télécommande. Mettre la scène sur pause. Ou programmer un ralenti. Pour mieux voir. Mieux se rendre compte. Peaufiner un truc important. Qui nous tient à cœur. Voire carrément repasser la bande.

 

« Mais arrête-toi deux secondes ! » a-t-on envie de lui crier. « Stop ! »

 

L’insecte reste sourd à nos souhaits. Et poursuit son manège comme s’il ne devait jamais finir. La nature aurait-elle en fin de compte inventé le mouvement perpétuel ? Reprenant notre progression, nous pénétrons sur le territoire de l’aeschne. L’insecte s’approche davantage. Pour finir par passer devant nous à moins de deux mètres du sol. Sur le fond vert de la végétation, ses couleurs sont parfaitement visibles. Il ne s’agit effectivement pas d’une Aeschne bleue. Mais pas davantage d’une Aeschne mixte. Les yeux parfaitement bleus de la libellule sont diagnostiques d’une Aeschne affine. Moins commune que les deux autres.

 

Dans les arbres alentour, une Mésange huppée sort de sa réserve et pousse ses trilles rapides. Un Grimpereau des jardins au petit cri flûté parcourt le tronc d’un chêne à la recherche d’un plat de résistance – une fourmi, un petit coléoptère, une araignée. Alors que le soleil continue sa route en direction de l’horizon, le sous-bois s’illumine. Dans le contre-jour, le vert des feuilles devient lumineux. Les graminées se parent d’or et les troncs, par contraste, noircissent.

 

Le soir magnifie la forêt.

 

Peu après 20h, un bruit de pas dans la forêt attire notre attention. Nous stoppons net. Cessons toute discussion. Et écoutons. Attentifs au moindre mouvement. Un animal marche dans la végétation basse proche de nous, sur notre droite. Bruyant. Un sanglier. Que nous ne parvenons pas à voir avant que l’animal ne nous repère et s’éloigne. Un loupé !

 

Plus loin, nouveau bruit. Un bruit curieux qui n’évoque pas les pas d’un animal. La forêt est si sèche que le moindre mouvement fait crisser les feuilles sur le sol. Trahit toute présence animée de vie. Notre propres pas sur le sol caillouteux résonnent comme si nous foulions des bris de verre au milieu d’une pièce au plafond bas. Avec mille précautions nous avançons. Une jambe après l’autre. En veillant autant que possible à poser le pied sur le sable. Nous fouillons le sous-bois du regard. Puis aux jumelles. Sans rien découvrir. Avant de remarquer à une dizaine de mètres devant nous une branche prise d’une curieuse oscillation. Une très légère brise souffle du sud-est mais n’agite que les cimes et ne suffit pas à expliquer cette danse rythmique au niveau du sol. Autour, pas une feuille ne bouge. Nous progressons toujours. Très lentement. Nous avons l’impression que nos pas s’entendent à cent mètres de là. Un animal se tient au fond de la petite dépression qui borde le chemin. Une espèce de trou où repose une mare en eau boueuse. 

 

La végétation s’écarte et un gros sanglier apparaît. Il est très occupé à se gratter contre la fameuse branche dont le singulier mouvement se trouve expliqué. Le vent de côté ne lui a pas apporté nos effluves. Ses bruits ont masqué les nôtres. L’animal n’a pas encore perçu notre présence. Le temps d’ajuster son image dans le viseur de l’appareil, de tenter une mise au point à travers les herbes et de déclencher deux ou trois fois et l’animal s’éloigne de quelques mètres en direction de l’eau pour aller boire. Les pieds dans la boue, le sanglier s’abreuve quelques minutes sous nos yeux. Nous ne sommes qu’à dix ou douze mètres et l’observation est magnifique dans la lumière du soir.

 

Bruit d’eau lapée. Sanglier nous tournant le dos.

 

Il relève la tête, la tourne à droite, la tourne à gauche et nous aperçoit enfin. Poussée d’adrénaline. Sanglier tourne les talons et s’enfuit aussi vite que possible rejoindre le taillis le plus proche. Un dernier fracas et le sous-bois retrouve son silence. Tout juste un Pouillot siffleur qui émet une plainte aiguë toutes les dix secondes environ. De l’émerveillement dans les yeux, nous reprenons notre marche. Silencieuse. A scruter de tout côté. Débouchant avec mille précautions à chaque carrefour. Contrôlant chaque layon, chaque ouverture, chaque ombre.

 

Où il est question d’un marchand de sable et de farfadets

 

A 21h15, au pied de la croix Pater, une belle croix de pierre trônant au centre d’un vaste carrefour forestier, le pique-nique s’organise. Le soleil n’est pas encore couché mais descendu derrière les frondaisons. Lieux baignés dans une douce lumière de fin de soirée. La chaleur commence à décroître bien que se maintenant au-dessus de la barre des 30°c. Une Aeschne bleue passe au vol. Semble s’intéresser une seconde à notre repas et poursuit sa route. Plus aucun bruit ne parvient à nos oreilles. Une paix infinie s’installe pour la nuit. Le marchand de sable se prépare et le monde de la lumière s’efface peu à peu. Quant au royaume de la nuit, il reste encore en coulisse. Dans le miroir de sa loge, il vérifie les costumes. Un dernier coup de crayon ici, un ajustement là. Il attend presque fébrilement que le brigadier frappe ses trois coups et que le rideau se lève.

 

Entre chien et loup.

 

La petite route que nous suivons maintenant s’enfonce dans une nuit claire. L’astre du jour est parti réchauffer l’Amérique et nous accorde un répit. La pénombre s’étend. Sort du couvert forestier et gagne les chemins, les clairières. Se fait plus profonde.

 

Note sourde, assez aiguë sur notre droite. Puis une deuxième. Et une troisième. Un Alyte accoucheur chante discrètement. Il s’agit d’un petit crapaud de cinq centimètres. Le mâle a la particularité de porter durant plusieurs semaines les œufs pondus par la femelle avant de les déposer dans l’eau peu de temps avant leur éclosion. Des têtards plus vigoureux sortent de l’œuf avec un taux de survie bien meilleur.

 

Les 22h00 sont maintenant passées. La forêt environnante est peuplée de pins épars et de bruyère. Un véritable paradis pour l’Engoulevent d’Europe, un oiseau nocturne extraordinaire. Nous patientons un bon quart d’heure dans ce secteur favorable sans rien entendre. La surprise – l’incompréhension initiale – laisse place ensuite au raisonnement logique. Les oiseaux occupés à nourrir leurs jeunes consacrent moins de temps aux vocalises. Les pins plus gros, plus hauts, ont peu à peu fermé le milieu qui se trouve ainsi moins attractif pour l’espèce. La chaleur, encore très forte, anesthésie peut-être aussi les velléités de solistes qu’éprouvent habituellement les oiseaux à cette heure-là. Une succession d’hypothèses qui évite soigneusement la plus inquiétante : les engoulevents ne dérogent pas à la tendance actuelle et voient leurs populations diminuer de façon inexorable…

 

Nous allions repartir lorsqu’un cri nous parvient. Un « couic » que l’engoulevent émet généralement au vol. Il est 22h25 et la canicule retarde simplement l’activité des oiseaux qui attendent davantage de fraîcheur. Mais plus aucune activité dans les dix minutes suivantes. Cela élimine toutefois certaines hypothèses : au moins un oiseau – et donc probablement au moins un couple – est bien présent. Reprise de la balade sous un ciel encore clair mais qui se peuple progressivement d’étoiles. Au zénith, le triangle des belles d’été luit : Véga (Lyre), Deneb (Cygne) et Altaïr (Aigle) sont pour le moment les seules visibles dans ce coin de ciel. A l’ouest, la Grande Ourse apparaît lentement ainsi qu’Arcturus (Bouvier).

 

La nuit s’épaissit lentement. Une étoile en plus dans la Grande Ourse. L’étoile polaire qui apparaît à son tour. Une trouée vers le nord laisse bientôt apparaître – très ténu encore – le « W » de Cassiopée.  Mais c’est au sud et au sud-est que brillent les stars du moment. Jupiter d’abord, déjà haut au-dessus de l’horizon. Aux jumelles, on distingue le disque de sa surface et son éclat fixe d’astre qui n’émet pas de lumière mais reflète seulement celle du soleil. Saturne ensuite. Les jumelles atteignent leur limite. Un grossissement de huit est très insuffisant pour jouir pleinement du spectacle. Saturne n’est toutefois pas un objet céleste comme les autres. Même dans ces conditions, nous prenons conscience de sa singularité. Eclat fixe – il s’agit d’une planète – de forme vaguement ovoïde, comme « écrasée » dans sa partie supérieure. Comme un minuscule croissant de lune pointant vers le haut ses « cornes » tronquées. Ou comme un demi-camembert incliné à gauche. C’est l’effet que donne l’anneau.

 

A partir de 23h00, des flashs de lumière illuminent brièvement le ciel. Comme des éclairs mais en l’absence de nuage. Sans un souffle d’air pour annoncer l’imminence d’un orage. La chaude et paisible soirée se poursuit sans indice d’un changement quelconque. Par temps clair la nuit, il est possible de distinguer la lueur d’un éclair à plus de cent kilomètres. Y a-t-il ce soir une activité orageuse en Normandie, sur le Perche ou dans l’ouest de la Picardie ? A moins qu’une bande facétieuse de farfadets se croyant seuls s’amusent à tirer un feu d’artifice silencieux pour l’anniversaire de l’un d’eux…

 

A 23h30, nous bouclons la boucle et sommes de retour aux véhicules. Deux Chouettes hulottes s’activent alors. Le mâle hulule et la femelle lui répond de ses cris stridents. Le tintamarre dure près d’une minute avant que la nuit ne recouvre son silence. Mais la soirée si belle et la température enfin supportable incitent à profiter encore un peu du plaisir d’être en forêt. Un autre sentier s’éloigne. A l’opposé de la sortie de ce soir. Sous les arbres, le noir est presque total maintenant. A peine distingue-t-on une vague ligne pâle en lieu et place du chemin qui s’éloigne du hameau où nous sommes garés. Après la fournaise de l’après-midi et du début de soirée, la douceur relative de l’instant est goûtée à sa pleine mesure.

 

Un nouveau bruit sur notre gauche.

 

Bruit râpeux. D’un corps frottant largement la végétation – beaucoup de bruyères dans ce secteur. Un animal court sur pattes. Probablement un sanglier. Le bruit s’approche lentement. Mais nous n’avons que le son. Pas l’image, tant l’obscurité est importante. Le vent est de nouveau pour nous. Pour tenter de percer le mystère, nous tentons le tout pour le tout et perçons les ténèbres : le faisceau de la lampe ouvre brutalement la nuit et bute sur un haut grillage. L’animal est au-delà dans la végétation. La clé de l’énigme va s’enfuir maintenant que nous avons révélé notre présence…

 

Pourtant les frottements se poursuivent. Sans crainte pour cette lumière braquée avec insistance sur le bord du chemin. Encore quelques secondes d’incertitude et un gros sanglier sort du fourré, passe sous le grillage et traverse tranquillement le sentier devant nous. Placide. Nous l’éclairons du faisceau de notre lampe jusqu’à ce qu’il disparaisse dans le sous-bois de l’autre côté. Encore une belle observation d’un animal qui, cette fois, n’a éprouvé aucune peur de croiser notre route.

 

La nuit s’avance. L’horloge tourne. Quand la petite aiguille e la grande se retrouvent toutes deux aussi près du « 12 », c’est que demain va très vite devenir aujourd’hui. Et que par voie de conséquence, aujourd’hui sera bientôt hier. Le temps de regagner les voitures et le douzième coup de minuit a sonné. Le thermomètre affiche encore 29°c et nous éprouvons une réelle réticence à nous arracher de ces lieux.

 

De cette paix si envoûtante…

 

Liste des espèces

​

Oiseaux :

Pigeon ramier, Chouette hulotte, Engoulevent d'Europe, Pic vert, Pic épeiche, Pic mar, Hirondelle rustique, Loriot d'Europe, Corneille noire, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange huppée, Mésange nonnette, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Grive musicienne, Fauvette à tête noire, Pouillot véloce, Pouillot siffleur, Grosbec casse-noyaux, Chardonneret élégant, Pinson des arbres

 

Mammifères :

Sanglier

 

Libellules :

Aeschne affine, Aeschne bleue

 

Papillons de jour :

Piéride de la rave, Amaryllis, Myrtil

 

Amphibiens :

Alyte accoucheur, Crapaud commun ou épineux, Grenouille verte

P1320063.JPG
P1400256.JPG
P1400254.JPG
GP1400247.JPG
P1400255.JPG
P1400252.JPG
GP1400270.JPG
P1400260.JPG
P1400289.JPG
FP1400300.JPG
bottom of page