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2 juillet 2019
A table !
Le soleil descend lentement…
Un vent modéré souffle du nord-est. Il a chassé les quelques rares nuages qui ont osé moutonner durant l’après-midi. Ciel bleu. Et une température idéale… Ni trop chaude ni trop fraîche : autour de 26°c, ce qui à 19h30 est tout à fait honnête en ce début de période estivale.
Le groupe entame la balade encadré de deux hautes haies d’aubépines. Lisière conduisant à la futaie. Prémisses d’une balade en sous-bois. Une volée de Moineaux domestiques se chamaille. Le Serin cini jette ses babillages au vent. Les hirondelles chassent les insectes à une dizaine de mètres au-dessus du sol.
La soirée promet d’être fort belle.
La lumière du soir, même si le soleil est encore haut, illumine le sous-bois. Dessine chaque feuille en contre-jour. Crée des jeux d’ombres et de lumières qui dansent au sol sous l’effet du vent agitant les houppiers. Sur le plancher des vaches, l’air demeure immobile. Le nordé se brise sur les premiers arbres, sur les épaisses frondaisons de l’orée du bois. Ne pénètre pas dans le monde secret et un peu magique de la Forêt.
On s’attend presque à rencontrer des êtres fantastiques, échappés de quelques mythes ou légendes. Un farfadet, un elfe, un druide armé de serpe d’or. Nous qui cherchions il y a quelques mois les traces d’une licorne parmi celles des chevaux…
Mais nous trouvons d’autres créatures. Plus nombreuses. Plus petites. Plus concrètes. Les moustiques viennent nous saluer avec effusion. Se réjouir de l’aubaine et nous complimenter pour nos bras nus ou nos shorts. Le groupe se divise alors en deux. S’opposent ceux qui font grise mine, se sachant sensibles aux bestioles et ceux qui pérorent et se disent coriaces. De la fébrilité d’un côté. Davantage d’assurance voire une certaine commisération de l’autre.
Le sous-bois est calme. Rougegorges familiers et Pinsons des arbres chantonnent discrètement. Un Troglodyte mignon ici. Un Grimpereau des jardins là. Une Corneille noire – à ne pas confondre avec le Corbeau freux – passe au vol.
La surprise vient du sol. Une myriade de tout petits batraciens marchent sur le chemin que nous suivons. Probablement plusieurs dizaines. Un centimètre à peine. Des jeunes Crapauds communs nés au printemps et venant de sortir de l’eau, rompant avec la vie aquatique du têtard. Il nous faut nous montrer vigilants pour ne pas risquer d’en écraser. Leur nombre augmente encore au fur et à mesure que nous approchons des étangs.
Juste avant de déboucher au bord de l’eau, une grande libellule croise notre chemin. Chassant dans l’espace libre du sentier, l’Aeschne bleue – une des plus grandes espèces d’Europe – multiplie les allers et retours d’un vol tantôt linéaire, tantôt acrobatique accompagné d’accélérations foudroyantes et de changements de direction à l’équerre.
Le sous-bois se fait tout à coup moins dense. La lumière augmente. Le soleil jette de plus en plus de rayons dorés qui s’infiltrent entre les arbres épars. Nous débouchons sur une digue de pierre. Un étang à gauche, un étang à droite. Une Mouette rieuse nous survole avec des battements d’ailes nonchalants. Quelques libellules encore activent pondent dans l’eau ou se disputent les territoires. Quand un truc dans l’eau est repéré par les enfants. Nageant avec aisance. Petite tête dépassant de l’onde ridée par Eole.
Un serpent !
Long de 60 cm environ, une magnifique Couleuvre à collier s’approche de nous. Elle espère monter sur la digue ou longer celle-ci à la recherche d’un encas. Mais nous apercevant, elle rebrousse chemin et s’éloigne vers la berge arborée ou elle finit par disparaître. La Couleuvre à collier est une espèce inoffensive dont les crochets venimeux sont situés au fond de la gorge. Belle observation d’une espèce assez commune mais toujours discrète, dont les rencontres sont la plupart du temps fugaces.
La nuit s’épaissit…
Après cet intermède lacustre, notre groupe réintègre le couvert du sous-bois. Même si le soleil n’est pas encore descendu sous l’horizon, il a été happé par la forêt depuis quelques minutes. La luminosité a nettement baissé. Les taches de lumière ont disparues. Les couleurs s’estompent déjà au profit d’un gris délavé qui progresse à chaque instant.
La table du roi est atteinte et le groupe s’apprête à dîner. Bâtie en 1788 par les petites mains du souverain, la table actuelle est la troisième construction après avoir été deux fois détruites et deux fois restaurée. Après que Marie-Antoinette l’ait accompagné sur le perron de leur modeste demeure d’un « Va, mon ami », Louis seizième du nom déboulait tout heureux en forêt de Rambouillet pour s’arrêter au même endroit que notre groupe. Deux siècles et quelques plus tôt, Sa Majesté retirait ses mocassins, chaussait ses bottes et suivait la chasse. A cheval derrière les chiens de meutes ou debout sur la table, guettant le passage des animaux traversant l’une des huit routes en étoiles autour de lui.
Comme à l’époque, les victuailles sortent des sacs. Agapes sans doute bien plus modestes que celles offertes au monarque. Mais plus légères également. Repas dans la bonne humeur avec quelques minutes de répit avant que les moustiques ne prennent conscience de leur propre festin. Maintenant que nous ne marchons plus, ces dames – seules les femelles piquent – nous tombent dessus à bras raccourcis. La fébrilité du premier groupe monte d’un cran. L’assurance du second se fait plus nuancée.
Le secret avec les moustiques est de les ignorer. Détachement que tout le monde n’atteint pas. Pas tous aussi rapidement. La sérénité revient pourtant. Soit que cette sagesse nous a pénétrés finalement. Soit que les bestioles se dispersent une fois rassasiées. De nouveau en marche, les assauts cessent.
Dans cette partie de la forêt de Rambouillet, de grands arbres tiennent debout depuis plusieurs centaines d’années. Chênes et hêtres en tête des vénérables. Plusieurs arbres dépassent le mètre de diamètre. Un tronc épais, droit, élevant un écheveau de branches loin au-dessus de nos têtes. Des arbres qui se transforment peu à peu en silhouettes. Ambiance fantomatique qui nous replonge dans le folklore mystique du début de la sortie. Des Ents bienveillants qui nous regardent passer sans se révéler à nous.
Aux environs de 23h la nuit reste molle. Grisâtre. Peinant à s’installer pour de bon. Mais la nature s’obscurcit pourtant. Des points lumineux s’allument progressivement. Dans le ciel d’abord. Là où on les attend à cette heure tardive. Mais au sol également. Ce qui semble plus incongru. Il ne faut pas oublier toutefois que l’été est l’époque des vers luisants – appelé Lampyres.
Le lampyre n’est pas un ver comme son nom semble l’indiquer, mais un coléoptère. La femelle – qui n’a pas d’aile – possède la particularité d’allumer l’extrémité de son abdomen qui luit alors d’une lumière verdâtre. Le mâle – qui lui vole très bien – repère madame en suivant la loupiote. Trois messieurs empressés se trouvent d’ailleurs sur la femelle que nous observons en détail. Un succès tel qu’en main madame disparaît presque sous ses prétendants qui la masquent à nos regards.
Revenus en lisière, sans plafond végétal au-dessus de nous, les étoiles scintillent enfin. La Grande-Ourse vers l’ouest. L’Etoile polaire au nord comme il se doit. Jupiter brille de mille feux et Saturne vient de se lever, à quelques degrés de l’horizon. Le chèvrefeuille en fleur que nous avons longé quatre heures plus tôt sans le voir, embaume maintenant l’air d’un parfum délicieux et entêtant.
Les véhicules sont enfin rejoints. Une balade d’environ sept kilomètres entre forêt, lisières et étangs. Avec un groupe très sympa ayant apporté à la sortie une bonne dose de bonne humeur. Merci à tous.
Liste des espèces
Oiseaux :
Cygne tuberculé, Canard mandarin, Mouette rieuse, Pigeon ramier, Pic épeiche, Hirondelle rustique, Hirondelle de fenêtre, Corneille noire, Mésange charbonnière, Mésange nonnette, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Grive musicienne, Grive draine, Pouillot véloce, Moineau domestique, Verdier d'Europe, Linotte mélodieuse, Serin cini, Pinson des arbres
Libellules :
Ischnure élégante, Aeschne bleue, Orthétrum réticulé
Amphibiens et reptiles :
Couleuvre à collier, Crapaud commun, Grenouille verte