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48

Mai 2019

Lozère :

Entre Ecosse et Canada...

Vendredi 24...

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En naturalistes prévoyants, nous avons veillé à placer dans nos bagages des vêtements chauds. Car même si le mois de mai tire à sa fin et que la météo devrait être clémente, la montagne peut nous jouer un tour et demeure imprévisible. Au moment de boucler nos valises, les bonnets et les gants sont venus rejoindre les t-shirts et les shorts… Ne serait-ce que pour conjurer le mauvais sort.

 

A notre arrivée en Lozère, la température chute à 14°c au fond de la vallée. Le tonnerre gronde. Les sommets sont auréolés de nuées anthracites. Les premières gouttes s’arrachent au plafond et viennent s’écraser au sol.

 

Puis nous grimpons sur le causse. Routes en lacets, parois rocheuses d’un côté, précipice de l’autre. Sur le plateau à 1000 m d’altitude, la végétation sort à peine des bourgeons. Beaucoup d’arbres encore nus nous rappellent que l’hiver est plus long ici qu’ailleurs. Et que les shorts resteront probablement bien au chaud dans nos valises. Sur le bord de la route, des plaques de neige résiduelles n’ont pas encore tout à fait fondu.

 

Au point sublime, les gorges du Tarn s’ouvrent béantes à nos pieds. Des pans de brumes montent de la vallée le long des flancs calcaires. Luminosité très faible. Averses détrempant son prochain. Ambiance de novembre…

 

Où est mon bonnet ?

 

Des Craves à bec rouge piaillent. Ces petits corbeaux à la silhouette élancée jouent le long des parois dans lesquelles ils nichent. Pas de vautours dans le ciel. L’absence de courants thermiques ascendants les incite à rester tranquillement posés à attendre que les éléments s’apaisent. Trois d’entre eux sont d’ailleurs découvert sur une corniche. Deux adultes et un jeune de l’année – plumé mais encore incapable de voler. Le dos rond, les oiseaux jettent un regard circulaire avec le flegme et l’indolence propres aux êtres résignés.

 

Puisque le ciel reste vide, nous baissons les yeux au sol. Des orchidées fleurissent partout. Des Orchis singes – inflorescence courte, labelle allongé et très contrasté de blanc et de rose violacé. Des Orchis mâles – inflorescence allongée et étroite, fleurs de couleur fuchsia et feuilles tachetées de sombre.

 

A l’auberge, une douce chaleur nous accueille dans la pièce principale. Murs et plafonds voûtés en pierres de causse. Près d’un mètre cinquante d’épaisseur. Des ouvertures réduites. Et au fond, une grande cheminée ouverte dans laquelle crépite un bon feu de bois. Une douche chaude et un excellent dîner achèvent de nous requinquer tout à fait. A tel point qu’une balade digestive est votée et que le groupe se retrouve dehors sous un léger crachin breton – ou normand. Le Petit-duc égraine sa note flûtée tandis que des Œdicnèmes nous offrent un concert de cris stridents.

 

Pas une lumière ne troue le noir de la nuit. Stop.

Pas un village, pas un hameau, pas même une bergerie isolée. Stop.

Pas un lampadaire. Stop.

Aucune lueur d’aucune ville, pas une voiture sur la route. Stop.

Et pas un son d’origine humaine. Stop.

Le dépaysement est aussi complet que le silence. Stop.

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Samedi 25...

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Alors que l’horloge sonne sept coups, un petit groupe de courageux est à pied d’œuvre devant l’auberge et s’apprête à faire une première balade en attendant l’heure du petit déjeuner. Les corps se souviennent encore de la chaleur de la couette. Des traces d’oreiller marquent une joue ici. Des cheveux en bataille là. Le réveil se fait de façon progressive… Et très lentement pour certains.

 

La Huppe fasciée chante au loin. Oup-Oup-Oup trisyllabique – si caractéristique. Trilles non moins caractéristiques du Bruant proyer, commun autour du hameau. Et les vocalises époustouflantes de quatre ou cinq Rossignols philomèles rivalisant de virtuosité. L’Alouette lulu chante au vol. Un vol stationnaire, une bonne quinzaine de mètres au-dessus du sol. Mélodie de charme bien différente de la cascade de notes poussée par l’Alouette des champs, active elle aussi.

 

Le causse s’éveille. La lumière croît à travers la couverture nuageuse tandis que nous rentrons affamés. Café, thé et chocolats chauds fument dans les tasses. Nous ne saurions faire attendre davantage les croissants, brioches et petits pains qui nous tendent les bras.

 

Le ventre plein, nous partons pour une balade sur le causse autour de notre auberge. Au menu : vieilles pierres dans le hameau, milieu arboré avec haies en périphérie avant d’aborder la steppe sèche parsemées de bouquets de buis et de genévriers.

 

Sur un toit, un couple de Moineaux soulcies vaquent à ses occupations. Poussant des cris peu familiers des ornithologues franciliens, les oiseaux inspectent le faites des toits, les murets et la végétation rase qui y pousse à la recherche de leur nourriture. Dans la haie bordant la dernière maison, une Fauvette orphée chante à gorge déployée. Mais reste à couvert. Nous n’apercevons – malgré une persévérance certaine – que sa silhouette sautillant de branche en branche dans les aubépines.

 

Le chemin s’élève en pente douce dans la colline. Alouettes lulus, Rossignols philomèles, Fauvettes à tête noire, Fauvettes grisettes, Bruants proyers, Pinsons des arbres, jalonnent notre progression. Au sol, des centaines de pieds d’orchidées jettent sur le causse des taches de couleur. Orchis militaires, Orchis singes, Orchis mâles, Orchis bouffons, Orchis brûlés, Ophrys d’Aymonin, Ophrys litigieux, Ophrys de la passion. La liste s’allonge à chaque pas. Nous prenons du temps pour les identifier. Pour les photographier sous tous les angles, regrettant que la lumière soit si terne.

 

La brume se dissipe peu à peu. Bientôt un vent léger se lève et achève de disloquer la crasse qui se glisse depuis hier entre le soleil et nous. Des pans de ciel bleu s’invitent en fin de matinée. Un second couple de Fauvettes orphées est repéré. Les oiseaux nourrissent peut-être des jeunes au nid car les adultes multiplient les allers-retours, volant fréquemment au-dessus de leur territoire. Une fauvette de belle taille avec la gorge et le ventre pâle, la tête très sombre encadrant un œil blanc. Une découverte pour la plupart d’entre nous.

 

Et le chant du Bruant ortolan.

 

Parvenus sur la crête, le regard porte au loin. Au nord, le signal de Randon – un relai de télévision, de radio et de téléphonie desservant le nord de la Lozère et le sud du Cantal – est visible au sommet du plus haut sommet de la Margeride à près de 50 kilomètres à vol d’oiseau. Au sud, le massif du Mont Aigoual et ses 1565 mètres d’altitude. A perte de vue, des pelouses sèches, des collines et des monts émoussés. Le vent faible siffle faiblement à nos oreilles. Hormis notre hameau et celui du Villaret regroupant cinq ou six bâtiments, aucune habitation n’est visible. La route étroite est silencieuse. Aucun autre promeneur. Nous sommes seuls au monde.

 

Un luxe rare en ce début du XXIe siècle.

 

Tout à couple, un cri roulé retentit. Un Guêpier d’Europe – oiseau aux mille couleurs – passe au vol. Malheureusement, l’oiseau ne se pose pas et poursuit son chemin sans que nous ayons pu correctement l’observer. Nous aurions pu ressentir une petite pointe de frustration si les premiers Vautours fauves n’avaient choisi ce moment pour franchir la ligne de crête. Immense voiliers, les oiseaux aux ailes beige et noir, tournent à la recherche d’un ascendant. Ailes larges. Doigts digités au bout des ailes. Tête blanche aux plumes rases scrutant les environs à la recherche d’une carcasse à faire disparaître – car les vautours sont exclusivement nécrophages, ne se nourrissent que de chaires mortes et jouent à ce titre un rôle fondamental de nettoyeur.

 

Le soleil de l’après-midi nous emporte au bord du causse. Surplombant les magnifiques gorges du Tarn, nous longeons le haut des falaises. Une quête un peu folle pour des naturalistes amateurs de botanique. Le cadre est vertigineux. Trois cents mètres d’à-pic par endroit. Sur le plateau, encore des orchidées à chaque pas. Avec quelques nouveautés : Céphalanthères à longues feuilles, Orchis homme-pend... Mais c’est une autre orchidée que nous recherchons. Le très rare Sabot de Vénus pousse ici, le long des pentes arborées à l’abri des rayons du soleil. Nous en trouvons au bout de quelques recherches. En bouton malheureusement. La fraîcheur du mois de mai a retardé la floraison d’une dizaine de jours au moins. En 2017, nous les avions observés à cette même date – bien fleuris. La déception est grande. De magnifiques Gentianes pneumonanthes  viennent toutefois nous consoler.

 

La chaleur devient lourde. Non pas que le thermomètre s’affole, mais nous portons toujours les parkas d’hiver qui nous ont permis de ne pas geler le matin même. Les belles éclaircies, les cumulus qui se nourrissent de l’humidité de l’air ambiant et la pente à remonter changent la donne. Transpiration.

 

A la faveur du soleil, des insectes sortent de leurs abris. Des papillons d’abord avec des Citrons, Argus frêles, Aurores et Piérides de la moutarde. Et un névroptère de toute beauté : quelques Ascalaphes soufrés papillonnent de leurs ailes jaune et noir. Lorsqu’ils posent et se laissent admirer, nous observons un insecte magnifique aux longues antennes noires. Les photographes, ravis de l’aubaine, ajoutent de nombreux clichés à ceux qu’ils devront patiemment trier à la fin du séjour.

 

De retour aux véhicules, un Vautour moine passe au-dessus de nos têtes émerveillées. Un Vautour au plumage très sombre, encore plus grand que le Vautour fauve et aux ailes plus larges. L’oiseau glisse dans l’air et descend lentement dans la gorge.

 

Nous balader sur le causse donne soif. Stop.

Occasion ou prétexte pour aller visiter le beau village de Sainte-Enimie. Stop.

Et prendre sur le coin du nez l’orage qui éclate à notre arrivée. Stop.

Au bord du Tarn, un couple de Cincle plongeur nourrit un jeune. Stop.

En terrasse, nous faisons connaissance avec quelques bières locales. Stop.

Fin de journée à l’auberge : feu de bois et dîner extraordinaire. Stop.

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Dimanche 26...

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Comme la veille, un petit groupe s’arrache des bras de Morphée pour arpenter le causse environnant. Le lever du jour nous glace rapidement. Le vent du nord nous transperce et éloigne rapidement le doux et chaud souvenir de la couette.

 

La tentation d’y retourner ne nous effleure pourtant pas. Le naturaliste passionné est jusqu’au-boutiste et ne recule pas devant les intimidations d’Eole. Nous reprenons le chemin de la veille. Le plafond – haut – nous laisse espérer une belle journée. La météo – que nous consultons matin et soir malgré des prévisions très aléatoires – promet un retour pour la journée d’un soleil généreux.

 

Perdrix rouge et Caille des blés chantent. La première durant un instant alors que nous mettons le nez dehors. La seconde tout au long de notre sortie. Un Torcol fourmilier se manifeste lui aussi bruyamment. Dans les grands arbres d’une haie, l’oiseau reste malheureusement invisible. Mais à chercher un oiseau, on en trouve parfois un autre – auquel on ne pensait pas forcément. Un magnifique mâle de Pie-grièche écorcheur surveille son territoire depuis la cime d’un arbuste – une aubépine. Avec son masque noir, l’oiseau donne l’impression d’être un justicier désirant garder l’anonymat et prêt à pourfendre l’injustice. Ou au contraire un bandit de grand chemin en quête d’un mauvais coup. La seconde hypothèse colle mieux à l’écorcheur. Son surnom lui vient en effet de son habitude d’empaler ses proies – gros insectes, micromammifères, petits reptiles – sur de longues aiguilles – épines végétales, barbelés… – et se constituer un garde-manger.

 

Après un nouveau petit déjeuner gargantuesque, le beau temps revenu nous conduit sur le rebord du monde. Les gorges de la Jonte s’ouvrent à nos pieds. Une déchirure d’environ un kilomètre de large pour trois ou quatre cents mètres de profondeur. Ce n’est pas le grand canyon, mais le groupe se sent petit devant un tel spectacle. La contemplation – émue – se prolonge. Les premiers Vautours fauves s’envolent et profitent des courants ascendants qui montent déjà le long des parois calcaires. Tout au fond, la rivière dévale la pente pour aller se jeter dans le Tarn au niveau du Rozier. Le cours d’eau sépare la Lozère de l’Aveyron.

 

Le soleil et la chaleur qui monte ont fait sortir les papillons. Nombreux à butiner les milliers de fleurs qui tapissent les pentes. Citron, Citron de Provence, Argus vert, Azurés du thym, Azuré des cytises, Machaon, Flambé, Damier de la succise, Fluoré, Mégère, Sphinx gazé, Piéride de la moutarde, Aurore… Nous prenons du temps pour les admirer, les photographier. Des tailles différentes. Formes et couleurs variées. Les papillons se nourrissent souvent sur des fleurs aussi colorées qu’eux. Les photographes – au bord de l’euphorie – prennent un plaisir immense à immortaliser ces scènes aux milles teintes. Le Sphinx gazé présente également deux réels défis techniques.  Le premier est de le cadrer. L’insecte, capable d’accélérations fulgurantes, ne tient pas en place et change en général de fleur à l’instant où il apparaît dans le viseur. Le second est de stopper les ailes afin de les avoir nettes. Bien sûr, des ailes floues donne du mouvement à la photo. De la vie. Mais « arrêter » un sphinx capable de 50 à 75 battements à la seconde peut également aboutir à un magnifique cliché. Le jeu est lancé. Mais la lumière changeante ne permet pas de grimper au-dessus d’un mille cinq centième de seconde. Encore insuffisant.

 

La température monte. Les plus hautes corniches coupent le vent et abritent tout à fait le sentier que nous suivons. Les couches de pulls tombent les unes après les autres. Les arbres verdissent peu à peu alors que les promeneurs s’effeuillent.

 

Vases communicants ?

 

A propos de vases, notre groupe arrive en début d’après-midi au niveau des vases de Chine et vase de Serres. Deux formations géologiques impressionnantes qui se dressent au-dessus du vide telles des cheminées au sommet d’un toit. Le chemin devient plus pentu. Le paysage encore plus grandiose. Le pique-nique – sur le rebord d’une falaise – s’organise. Salades. Charcuterie. Fromages du pays. Pâtisseries. Devant nous, les Vautours fauves longent les gorges, montent dans le ciel, tournent et retournent. Les Martinets à ventre blanc passent à toute vitesse. Parfois fort près. Hirondelles de fenêtre et Hirondelles de rocher nichent dans les à-pics inaccessibles à la plupart des prédateurs.

 

Après un col, nous quittons les gorges de la Jonte pour suivre celles du Tarn. Nous sommes juste au-dessus de la confluence des deux rivières. Dans le défilé plus étroit, le cours d’eau gronde, gonflé par les pluies des derniers jours. Une rumeur sourde se répercute sur les falaises. Enfle.

 

Ambiance !

 

La fin de la promenade est une longue côte d’un peu plus de deux kilomètres. Nous suons sous l’effort. Grimpant chacun à notre rythme. Nous accordant des pauses régulièrement. Pour observer. Photographier. Ou simplement souffler un peu. En haut, une buvette a judicieusement ouvert au sein d’un très joli hameau – où ne vivent à l’année que deux habitants. Vieilles pierres. Jardins de curé. Des fleurs partout. Une décoration de bon goût. Et des boissons fraîches que nous apprécions hautement.

 

Sur la route du retour, nous nous arrêtons dans un village caussenard. Une quinzaine de maisons. Une belle petite église en pierre. Un ancien presbytère reconverti en gîte rural. Une fontaine d’eau potable, un paysage extraordinaire sous les fenêtres et un arbre exceptionnel : un Orme champêtre vieux de plusieurs siècles, énorme. Décimés par la graphiose, les vieux spécimens ne se rencontrent plus que de façon exceptionnelle dans nos campagnes. Une chance inouïe de croiser celui-ci. Classé parmi les arbres remarquables de France depuis 2009, il est mentionné dans la base des arbres monumentaux comme le plus gros Orme champêtre de France et compte parmi les dix plus gros au monde – mesuré en 2014 : circonférence (à 1,3 m de haut) de 5,71 m pour une hauteur de 26,50 m.

 

De retour à l’auberge, un grand rapace évolue dans un ciel d’azur. Longues ailes. Silhouette majestueuse. Vole sur place les pattes pendant dans le vide. Un Circaète Jean-le-Blanc profite lui aussi de l’amélioration de la météo pour chasser ses proies favorites : serpents et lézards. Un bel oiseau que nous espérions rencontrer durant ce séjour. Le feu crépite dans la cheminée de la grande salle de l’auberge. Car la température baisse vite avec la tombée de la nuit. Au grand soulagement de nos estomacs, le dîner est moins copieux. Fait de légumes et de poisson. Toujours délicieux mais plus léger…

 

Ciel nocturne sans trop de nuages. Une sortie « astronomie » est improvisée. Stop.

Ciel noir sans lumière parasite. Etoiles par milliers. Stop.

Castor, Pollux, Véga, Deneb, Altaïr, Capella ou encore Antares. Stop.

Jupiter se lève accompagné de ses quatre satellites galiléens. Stop.

Nous observons même quelques étoiles filantes. Stop.

N’oubliez pas de faire un vœu… Stop.

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Lundi 27...

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Le beau temps de la veille a vécu. Les nuées grises charriées ce matin par le vent du nord se précipitent vers la Méditerranée, ébouriffant arbres et naturalistes sur leur passage. On ne peut leur en vouloir, la moitié de la population du nord de l’Europe fait de même à chaque période de congés. La déception est à la hauteur des espoirs de la veille. Nous avons cru à l’installation durable des beaux jours. Une balade au saut du lit et le désormais traditionnel petit déjeuner au coin du feu de bois ne tardent pas à raviver nos couleurs.

 

Une grande balade sur le causse est décidée. Chemin de randonnée reliant les trois hameaux du causse Méjean : Hures, Drigas et le Buffre. Une très belle balade que, fidèles à notre rythme, nous parcourons avec une lenteur étudiée : suffisamment lentement pour ne rien manquer du spectacle paysage-faune-flore, suffisamment vite pour ne pas risquer de passer la nuit dehors.

 

Dès le départ, les Traquets motteux suivent notre progression. Très beau petit passereau, il gagne son nom en se perchant systématiquement sur des mottes, amas de pierres, rochers ou piquets de clôture. Nous surveillant du coin de l’œil, les oiseaux poursuivent le nourrissage de leurs jeunes. De la nourriture dans le bec – insectes – les traquets parcourent leur territoire à ravitailler leurs mômes insatiables. Tous les parents de toutes les espèces animales sont de tout cœur avec eux. Car le plat de spaghettis à la bolognaise n’arrive jamais sur la table aussi vite que ce que les enfants aimeraient.

 

De nombreuses orchidées fleurissent le causse. La flore, d’une richesse exceptionnelle, impressionne. Orchis sureau, Ophrys de la passion, Ophrys litigieux, Orchis brûlé, Orchis pourpre, Orchis mâle… Les photographes ne savent plus où donner de la tête.

 

Quand, au niveau d’une carrière, un oiseau attire l’attention de l’un de nous. Des gestes muets  mais insistants invitent le groupe à se rassembler autour de la longue vue. Sur un tas de graviers grossiers un oiseau très coloré surveille les environs. Tête bleue. Poitrine et ventre orange. Ailes sombres et dos blanc et bleu. Un splendide mâle de Monticole de roche garde un œil sur nous. L’observation est mutuelle mais l’admiration demeure probablement de notre côté. Photos avec nos téléobjectifs poussés au maximum du zoom. Photos à travers l’oculaire de la longue vue à l’aide de nos smartphones. Chacun tente de garder une image de cette magnifique rencontre. Tournant autour de la zone, nous essayons de nous approcher. Farouche, l’oiseau s’éloigne. Mais reste cantonné à son chez lui. La femelle est rapidement découverte avec de la nourriture dans le bec. Le couple niche donc bien là et nourrit des jeunes dissimulés dans une anfractuosité rocheuse.

 

Un autre temps fort du séjour !

 

Le pique-nique sort des sacs au fond d’une doline cernée d’un muret. Une petite cabane de pierres sèches – nommée « caselle » en Aveyron et dans le Quercy, « borie » en Provence – surveille un maigre pâturage sur lequel le berger fait paître ses brebis. Nous déjeunons à l’abri du vent au milieu des orchidées. Le froid n’invite pas au farniente. La marche reprend pour atteindre le sommet de la colline à l’écart des chemins de randonnées. Là, sur un hectare environ, s’étale le site protohistorique de la Rode de Drigas. Remontant à six siècles avant notre ère, il abrite à 1107 m d’altitude une communauté celte. Une ville s’installe sur ce lieu aisé à défendre. Un mur de pierres haut de quatre mètres protège le site. Aujourd’hui passable écroulé, il forme encore une enceinte bien visible. La vue y est imprenable. A 360 degrés. Le ciel bas masque tous les hauts sommets de Lozère. Au sud, le massif de l’Aigoual a la tête dans les nuages. Tout comme le mont Lozère à l’est, l’Aubrac à l’ouest et les montagnes de Margeride au nord.

 

Ambiance écossaise…

 

Abandonnant ce lieu battu par un vent glacé que rien n’arrête, nous pénétrons dans le bois de pins couvrant le versant nord. Le Coucou gris chante au loin. Les Pouillots de Bonelli et les Mésanges noires, communes dans les parties boisées du causse, donnent eux aussi de la voix. Au-dessus de nos têtes passe un Circaète Jean-le-Blanc. Probablement acculé par une progéniture affamée pour sortir chasser les reptiles par ce froid. Nous le verrons à trois ou quatre reprises sillonner la crête, les serres toujours vides de nourriture.

 

A la sortie du hameau du Buffre, une magnifique lavogne apparaît au détour d’un chemin. Le causse Méjean est un vaste plateau calcaire. Le sol, perméable, ne retient pas l’eau. Aucun cours d’eau. Aucun étang. Aucune mare. Pas une goutte sur des milliers d’hectares. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont conduit les autochtones à bâtir des maisons en pierres. Matériaux également utilisé pour les charpentes et toitures. Sans avoir recours au bois. Car si le bâtiment avait pris feu, il aurait été impossible d’éteindre l’incendie. Mais le causse est une zone d’élevage, spécialisé dans les ovins, moins exigeants que les vaches. Bétail qui doit se désaltérer. L’homme a donc creusé et imperméabilisé des dépressions remplies par les eaux de pluies – les lavognes. Celle du Buffre est l’une des plus belles. Colonisée par une importante végétation aquatique. Et par une faune riche. Des dizaines de Tritons palmés nagent entre deux eaux. Se poursuivent. Courtisent les dames. La saison de reproduction semble battre son plein. Nous observons attentivement afin de découvrir d’autres amphibiens. Au moment où nous nous apprêtons à poursuivre notre chemin, une libellule est découverte dans l’herbe proche de l’eau. Ses ailes humides sont encore froissées. Ses couleurs pastel pas encore réellement apparues. Il s’agit d’une toute jeune adulte en train d’émerger. La larve est probablement sortie de l’eau quelques heures plus tôt, s’est fixée sur une tige et a entamé sa dernière mue. La jeune libellule, encore incapable de voler, achève sa métamorphose. Achève d’étirer ses ailes. En cherchant, nous trouvons plusieurs émergences à différents stades. Des libellules à peine sorties  de leur dernière enveloppe larvaire, jusqu’à l’adulte ailes encore brillantes prêt à gagner les airs. Nous repérons deux espèces : la libellule déprimée et la Libellule à quatre taches. 

 

Le dîner fait sensation. Stop.

Raclette avec des assiettes débordant de charcuteries diverses et variées. Stop.

On fait ce qu’on peut. Mais ne venons pas à bout du festin. Stop.

Marche digestive obligatoire. Pour nous remettre l’estomac en place. Stop.

Le froid n’incite pas les oiseaux à chanter. Silence absolu en ce début de nuit. Stop.

Ne nous parlez plus de jambon. On se met au régime dès demain. Stop.

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Mardi 28...

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Le vent du nord s’est renforcé dans la nuit. Au lever du jour, il cingle les joues de ceux – peu nombreux – à s’être évadé du lit dès potron-minet. Froid vif. Crachin. Et brouillard masquant tous les sommets dépassant les 1100 mètres. Les oiseaux chantent pourtant, plus attentifs au calendrier qu’à la météo. Même si l’atmosphère évoque novembre, les hormones excitent le monde vivant. Tous ceux qui n’ont pas abusé de la charcuterie la veille sont occupés à perpétuer leur espèce. Parade nuptiale, défense du territoire, nourrissage de la progéniture… La biodiversité est encore riche si loin du tumulte de l’humanité.

 

Malgré nos bonnes résolutions de la veille, le groupe honore le petit déjeuner de la plus belle manière. Mangeant comme au sortir d’un jeûne prolongé. Pour adresser un pied de nez à l’adversité ou pour au contraire nous constituer des réserves et encaisser une improbable disette… D’aucun parlerait de gourmandise honteuse. Mais en étudiant les sociétés animales, il apparaît évident qu’il ne s’agit que d’un réflexe aussi vieux que la vie poussant chaque être à prendre ce qu’il peut quand il le peut.

 

Instinct de survie, ni plus ni moins ! Et avec ce nouveau repas, nous écartons pour longtemps le risque de famine.

 

En ce jour de retour, il est décidé d’aller visiter un autre site dans le nord de la Lozère. Un arrêt sur le chemin de l’Ile-de-France. La Margeride présente un visage très différent du causse. L’eau est ici omniprésente. Etangs, mares, lacs, ruisseaux, rivières abondent. La végétation, grasse, verdit la campagne. Prés de fauche sur les pentes. Tourbières gorgées d’eau au fond des dépressions.

 

Depuis l’entre-deux guerres, époque de la construction du barrage retenant ses eaux, le lac de Charpal repose au pied du Truc de Fortunio – une colline culminant à 1552 mètres d’altitude. Le lac lui-même est à 1326 mètres au-dessus de la mer. Soit trois cents au-dessus du plateau caussenard.

 

Le vent chahute un peu la surface de l’eau. Et bruisse dans la forêt d’épicéas qui couvre les environs. Ce paysage austère évoque le Canada. Les grands espaces glacés du piémont des montagnes rocheuses. Les milliers d’orpailleurs se ruant sur le Klondike au crépuscule du XIXe siècle. Les Ours noirs, les Grizzly et les Orignaux peuplant le pays. Le fantasme cesse lorsqu’on évoque le loup. Le canidé sillonne probablement ce territoire isolé.

 

Nuages et collines jouent les uns avec les autres. Le signal de Randon apparaît et disparaît tour à tour. Au gré du vent. Au gré des trouées dans la crasse nébuleuse. Il est là. Mais l’instant d’après une nuée l’avale de nouveau. Le Merle noir chante sans se préoccuper de la météo. Le Chardonneret élégant et le Pouillot véloce font de même. Au-dessus de l’eau, des centaines d’hirondelles de martinets chassent les rares insectes s’aventurant hors de leurs abris. Au sommet d’un épicéa, un Bec-croisé des sapins vocalise. Ses notes, emportées par la brise se perdent au loin dans la forêt.

 

Nous nous engageons sur la rive sud du lac. La plus exposée au vent. Anorak remonté jusqu’au nez. Bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles. Les gants sont aussi de la partie. Panoplie hivernale complète. Le long du sentier, la balade sent bon le mois de mars. Des milliers de jonquilles encore en fleur parsèment les prairies humides. Un Narcisse des poètes – tout blanc – parmi elles. Des Lys martagons et des Gentianes jaunes en feuilles vont attendre encore quelques semaines pour fleurir.

 

Brusquement, l’horizon se bouche. Un voile gris épais vient décolorer le paysage. Un grain arrive sur nous. Il nous reste quelques dizaines de secondes avant de nous trouver rincés. Nous qui étions en train de chercher un coin à l’abri du vent pour pique-niquer… Le groupe se scinde alors en deux. Ceux qui tentent le retour aux véhicules au pas de course pour déjeuner dans l’habitacle restreint mais chaud. Et ceux qui estiment ne plus rien avoir à redouter et qui se réfugient sous les épicéas pour reprendre un peu du jambon de pays, rescapé de l’orgie de la veille. Et le grain arrive. Le vent forcit. La pluie – oblique – tombe et crible la lisière. A une dizaine de mètres en retrait, le déjeuner se déroule dans un confort relatif… 

 

Retour ponctué d’averses. Stop.

Les lumières sur le lac sont magnifiques. Stop.

Forêts verdoyantes, montagnes bleutées et rayons de soleil sur les jonquilles. Stop.

A 14h00, le convoi s’ébranle pour 500 km en direction du pôle le plus proche. Stop.

Cure de salade verte prévue dans les semaines à venir. Stop.

Nous reviendrons au mois de septembre pour l’été indien. Stop.

 

Liste des espèces observées

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Oiseaux

Canard colvert, Milan royal, Milan noir, Buse variable, Vautour moine, Vautour fauve, Busard cendré, Circaète Jean-le-Blanc, Faucon crécerelle, Perdrix rouge, Caille des blés, Oedicnème criard, Goéland leucophée, Pigeon biset domestique, Pigeon ramier, Tourterelle turque, Coucou gris, Petit-duc scops, Chouette hulotte, Engoulevent d'Europe, Martinet à ventre blanc, Martinet noir, Guêpier d'Europe, Huppe fasciée, Torcol fourmilier, Pic vert, Alouette lulu, Alouette des champs, Hirondelle rustique, Hirondelle de rochers, Hirondelle de fenêtre, Grand Corbeau, Corneille noire, Choucas des tours, Pie bavarde, Geai des chênes, Crave à bec rouge, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange noire, Mésange huppée, Grimpereau des jardins, Cincle plongeur, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Rossignol philomèle, Rougequeue noir, Rougequeue à front blanc, Tarier pâtre, Traquet motteux, Monticole de roche, Merle noir, Grive litorne, Grive musicienne, Grive draine, Hypolaïs polyglotte, Fauvette à tête noire, Fauvette orphée, Fauvette des jardins, Fauvette grisette, Fauvette passerinette, Pouillot fitis, Pouillot véloce, Pouillot de Bonelli, Roitelet huppé, Roitelet à triple bandeau, Gobemouche gris, Accenteur mouchet, Pipit rousseline, Pipit des arbres, Bergeronnette grise, Bergeronnette des ruisseaux, Pie-grièche écorcheur, Étourneau sansonnet, Moineau domestique, Moineau soulcie, Verdier d'Europe, Chardonneret élégant, Linotte mélodieuse, Serin cini, Bec-croisé des sapins, Pinson des arbres, Bruant proyer, Bruant jaune, Bruant zizi, Bruant ortolan

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Odonates

Libellule déprimée, Libellule à quatre taches

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Papillons de jour

Flambé, Machaon, Piéride de la moutarde, Aurore, Fluoré, Citron de Provence, Citron, Argus vert, Azuré du thym, Azuré des cytises, Argus frêle, Mégère (Satyre), Procris (Fadet commun), Belle Dame, Petite Tortue, Mélitée orangée, Damier de la succise

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Papillons de nuit

Sphinx gazé (Hemaris fuciformis), Moro-sphinx (Macroglossum stellatarum), Processionnaire du Pin (Thaumetopoea pityocampa), Doublure jaune (Euclidia glyphica)

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Névroptères

Ascalaphe soufré (Libelloides coccajus)

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Mammifères

Chevreuil européen, Lièvre d'Europe, Lapin de garenne

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Reptiles

Lézard vert occidental, Lézard des murailles

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Amphibiens

Alyte accoucheur, Triton palmé

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Orchidées

Sabot de Vénus (Cypripedium calceolus), Orchis bouffon (Anacamptis morio), Céphalanthère de Damas (Cephalanthera damasonium), Céphalanthère à longues feuilles (Cephalanthera longifolia), Orchis de Fuchs (Dactylorhiza fuchsii), Orchis sureau (Dactylorhiza sambucina), Limodore à feuilles avortées (Limodorum abortivum), Orchis brûlé (Neotinea ustulata), Néottie nid d'oiseau (Neottia nidus-avis), Listère ovale (Listera ovata), Ophrys litigieux (Ophrys araneola), Ophrys d'Aymonin (Ophrys aymoninii), Ophrys de la passion (Ophrys passionis), Orchis homme pendu (Orchis anthropophora), Orchis mâle (Orchis mascula), Orchis militaire (Orchis militaris), Orchis pourpre (Orchis purpurea), Orchis singe (Orchis simia)

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