top of page

78

14 mai 2019

Pique-nique à la

tombée de la nuit 

Le soleil descend…

L’église a sonné un peu plus de dix-neuf coups lorsque notre groupe – sac sur le dos – se met en marche. Le soleil, encore haut, descend lentement sur l’horizon. La lumière rasante illumine la forêt, traverse chaque jeune feuille, sature les verts et les pare d’or.

 

Après des jours de mauvais temps, le ciel est de nouveau bleu.

 

Le vent qui a soufflé une grande partie de la journée s’estompe. Les houppiers, encore chahutés, s’immobilisent peu à peu. La végétation est luxuriante. Des cascades de feuilles ruissellent au-dessus du chemin. Herbes et fougères tapissent le sol et montent vers la lumière. Les fortes pluies de la semaine passée détrempent encore le sentier. Nous craignions les moustiques mais la légère brise qui persiste suffit à les chasser.

 

En sous-bois, les Rougegorges familiers chantent à tue-tête. Un chant plaintif, mélancolique. Aux accents tristes mais mélodieux. Il est souvent l’un des derniers oiseaux à chanter le soir. Et l’un des premiers à donner de la voix – bien avant que le soleil ne se lève. Une espèce préférant les buissons, les haies, le sous-bois plutôt que les grands arbres. Le Rougegorge pose son nid à même le sol et se perche préférentiellement sur les branches basses. Ou à mi-hauteur.

 

Le Merle noir, la Grive musicienne et le Pinson des arbres poussent également la chansonnette. Plus pour attirer les femelles – ces espèces nichent tôt en saison et la plupart nourrissent déjà de jeunes oisillons. Mais pour marquer leur territoire respectif. Pour rappeler à la cantonade que le secteur est occupé. Que les ressources alimentaires qui s’y trouvent sont réservées au nourrissage de leur famille. Et que toute intrusion exposerait l’envahisseur à des poursuites – au sens littéral du terme.

 

Puis la forêt s’écarte.

 

A travers les branches apparaît un miroitement. Lumière vespérale reflétée sur un miroir d’eau. Notre groupe parvient au bord de deux plans d’eau appartenant à la chaîne des étangs de Saint-Hubert. La surface, faiblement ridée, scintille dans le contre-jour un peu cru. Un Héron cendré transformé en statue de pierre guette les pieds dans l’eau les poissons. Qu’un imprudent vienne à s’approcher de façon inconsidérée, et l’oiseau retrouve immédiatement sa mobilité, détend vivement son cou et transperce l’inconscient de son bec. Deux autres hérons volent majestueusement. Leurs longues ailes arquées s’appuyant sur l’air pour glisser lentement et poser le long d’une rive.

 

Quelques hirondelles chassent les insectes, plus nombreux ici qu’ailleurs en raison de l’omniprésence de l’eau. Des Hirondelles de fenêtre identifiables à la large tâche blanche barrant leur croupion. Un cri râpeux typique trahit la présence parmi elles d’une Hirondelle de rivage. De la même taille que la première mais de couleur brune, l’espèce niche dans des trous creusés dans le sable d’une berge ou du front de taille d’une carrière.

 

L’interlude au bord de l’eau nous permet d’apprendre à identifier les deux espèces de chênes présents en forêt de Rambouillet : d’abord le Chêne pédonculé et sa feuille sessile, puis le Chêne sessile et sa feuille pédonculée – non, non, ce n’est pas une erreur ! Juste une petite astuce à connaître et que nous révisons régulièrement au cours de nos sorties. Le chant tout en harmonie de la Fauvette à tête noire retentit alors que nous regagnons le couvert végétal. Ainsi que la célèbre strophe du Coucou gris que chacun reconnaît dès la première note.

 

Et la lune monte…

 

Au débouché d’un chemin passablement humide, notre groupe atteint un vaste carrefour. Huit routes s’en échappent en étoile avec, à leur centre, une grande table de pierre entourée de bancs. Nous nous installons sur la table du roi pour dîner.

 

Bâtie pour Louis XVI à la fin de son règne, elle est utilisée comme « table de débotté ». Afin que le roi puisse s’asseoir après la chasse, ôter ses bottes, chausser ses escarpins avant de remonter dans son carrosse et rentrer retrouver sa reine en leur demeure versaillaise. Parfois, un laquais prévient sa Majesté : « Sire, un SMS de Marie-Antoinette. Elle reçoit ce soir au petit Trianon et vous incite à flâner sur vos terres. » Le roi acquiesce, débonnaire. Remercie le porteur du message qui se retire après s’être incliné. Ordonne d’un signe de tête qu’on mette quelques lapins à rôtir. Et de sortir une bonne bouteille. Plus rien ne presse.

 

Assis autour de la table, les provisions émergent des sacs. Des salades. Des sandwiches. Du pain, du fromage. Et même un improbable bocal d’asperges… Le pique-nique est convivial. Un Gobemouche gris chante. Une strophe peu audible qui se mêle aux différents cris des autres espèces. Au-dessus des arbres s’élève la lune au torse bombé. Elle sera pleine d’ici quatre jours. Il est 21h00 lorsque nous reprenons notre marche. Le soleil s’apprête à plonger sous la ligne d’horizon. Il éclaire encore d’une lumière orangée les arbres les plus hauts. Puis le ciel s’obscurcit lentement.

 

Outre les derniers cris de contact que se lancent encore quelques espèces avant d’aller se percher pour la nuit, trois chants perdurent encore en ce début de crépuscule. Rougegorge familier, Merle noir et Grive musicienne jouent les prolongations. Trois traits d’union – trois ponts reliant le monde diurne sombrant dans un sommeil bien mérité et le monde nocturne en train d’ouvrir un œil.

 

Sur le chemin, un amphibien saute à notre approche. Une belle Grenouille agile de couleur brune. L’humidité du sol lui permet de se déplacer dans le sous-bois. La faible lumière filtrant sous les arbres rend la photographie hasardeuse. Nous tentons tout de même l’aventure – avantage du numérique sur l’argentique –, mais l’animal nous échappe d’un bond pour se réfugier dans l’eau d’un fossé.

 

Plouf !

 

Un « psit » retentit alors au-dessus de nos têtes et tombe dans nos oreilles. Il est 21h30 et une Bécasse des bois traverse le ciel quelques mètres au-delà des cimes. La « croule » – c’est-à-dire le chant et le vol de parade de la bécasse – s’étale du mois de mars au début du mois de juillet. En dehors de cette période, l’espèce demeure d’une grande discrétion et ne s’envole que lorsqu’elle est dérangée, levée par un promeneur ou un chien en maraude dans les taillis où elle se tient.

 

La nuit est tombée maintenant. Le vent également. Plus un souffle n’agite l’air. Les feuilles respectent le calme, la trêve de la nuit et demeurent parfaitement immobiles. Sous les grands chênes bien en feuilles en cette mi-mai, la lumière de la lune ne pénètre pas. Lampes torche en main, nous rentrons, guettant un nouveau passage de bécasse. Des Chouettes hulottes se manifestent. Cris grinçants de portes qui couinent. De simples contacts. Une femelle sans doute aux abords du nid. Des jeunes grandissent probablement à l’intérieur. Peut-être déjà grands si la ponte a été précoce (parfois dès le mois de février).

 

Dans les prés en lisière, un concert de Rainettes vertes emplit la nuit d’une clameur lointaine. Probablement plusieurs dizaines de grenouilles mêlent leur voix. Dans une trouée, les premières étoiles trouent la voûte sombre du ciel. La Grande-Ourse au zénith. Castor et Pollux à l’ouest. Capella – l’étoile alpha du Cocher – brillant de mille feux au-dessus de la forêt.

 

Nous regagnons les véhicules peu après 23h00. D’autres Rainettes vertes chantent dans le hameau où nous sommes garés. Les étoiles s’allument les unes après les autres au fur et à mesure que l’obscurité progresse. A cette époque de l’année, la nuit noire est de courte durée. Le groupe se sépare heureux de la sortie. La météo clémente a été un ingrédient de choix tout comme la bonne humeur générale qui nous a suivi tout au long de notre trajet.

 

Merci à toutes et à tous.

 

Liste des espèces

Oiseaux :

Héron cendré, Canard colvert, Bécasse des bois, Pigeon ramier, Tourterelle turque, Coucou gris, Chouette hulotte, Martinet noir, Pic épeiche, Pic mar, Hirondelle de fenêtre, Hirondelle de rivage, Corneille noire, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange nonnette, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Rougequeue noir, Merle noir, Grive musicienne, Fauvette à tête noire, Pouillot véloce, Gobemouche gris, Étourneau sansonnet, Moineau domestique, Chardonneret élégant, Pinson des arbres

 

Amphibiens :

Rainette verte, Grenouille verte, Grenouille agile 

P1330404.JPG
P1330432.JPG
P1330422.JPG
P1330419.JPG
P1330402.JPG
P1330413.JPG
bottom of page