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9 avril 2019
Crépuscule rambolitain...
La sérénité de la fin de journée…
Il est dix-neuf heures. Le poteau qui se dresse au centre du carrefour indique le nom des routes forestières qui s’éloignent en étoile. Panneau indicateur d’un temps où les déplacements se faisaient à pieds ou à cheval. Où le mot « voiture » ne désignait pas encore l’utilitaire qui lui est aujourd’hui associé.
L’air immobile laisse la végétation en paix. Les têtes des jeunes bouleaux frémissent à peine. Les grands chênes ne bougent pas d’un rameau. Dans le silence du soir, le chant du Pouillot fitis résonne. Un chant mélodieux aux notes descendantes. Si caractéristique qu’il est un des chants que le débutant retient le plus aisément. Son proche cousin, le Pouillot véloce est encore plus immédiat. « Chiff-Chaff, Chiff-Chaff, Chiff-Chaff », égraine-t-il inlassablement. Ces deux notes lui collent tellement à la peau que les anglophones ont élevée l’onomatopée au rang de nom vernaculaire.
C’est cet instant qu’une star choisit pour entrer en scène. De façon remarquée. « Cou-cou, Cou-cou, Cou-cou » L’oiseau parasite dont la spécialité est de pondre dans le nid des autres, a été popularisé jusque dans les chansons enfantines. Dans la forêt lointaine, alors que les bruits de la journée s’estompent, son chant porte loin. Au moins trois ou quatre oiseaux vont ainsi se répondre une partie de la soirée. Jusqu’à ce que la nuit se referme sur les bois. A courte distance, sa voix puissante sature l’air. Emplit nos oreilles qui perçoivent alors d’autres sons – des souffles rauques – audibles uniquement de près.
Une lumière douce saupoudre d’or la végétation naissante. Les jeunes feuilles des bouleaux étalent leurs verts tendres. Aubépines, Chèvrefeuilles, Charmes piquent eux aussi de vert le sous-bois renaissant. Un merisier en fleur ici. Une touffe d’Anémones des bois là. Les Ficaires jaunes ont refermé leur corolle pour la nuit. Dans l’herbe du fossé, des Pulmonaires à longues feuilles apportent une touche de bleu.
Le soleil disparaît derrière les arbres. Son disque est encore visible pour quelques minutes à travers les branches puis plonge sous l’horizon.
L’atmosphère change alors. Nous sentons l’humidité de la végétation nous tomber sur les épaules. Luminosité et température baissent de quelques degrés. La plupart des oiseaux se sont tus. Le Bouvreuil pivoine qui chantait encore une dizaine de minutes plus tôt s’est retiré en coulisses.
Merles noirs, Grives musiciennes et Rougegorges familiers poursuivent leurs vocalises. Ils sont souvent les premiers à ouvrir le bal au lever du jour. Et presque toujours les derniers à ranger la salle lorsque tous les invités se sont éclipsés discrètement. Du coup, le groupe peut se familiariser avec leur répertoire. Car il est bien plus facile d’apprendre le chant d’un oiseau lorsque celui-ci joue les solistes. Et qu’on se libère du fardeau de démêler la polyphonie matinale quand tout ce qui compte de plume tente de se faire entendre au milieu du brouhaha général.
La nuit tombe…
Le casse-croûte s’organise un peu avant 21h00. La lumière est basse mais le ciel conserve une clarté certaine. La lune montante, accrochée au-dessus du couchant, veille sur notre repas. Les sandwiches en main, nous entendons notre première Bécasse des bois passer dans l’espace vide au-dessus du chemin.
« Psitt »
L’oiseau à la silhouette rondouillarde s’éloigne rapidement au-dessus de la forêt. Son long bec se détachant sur le ciel. Attendant un second passage, nous poursuivons notre en-cas. Lorsqu’un chevreuil sort d’une parcelle, saute le chemin et s’évapore dans le sous-bois de l’autre côté. Durant un moment, nous percevons le bruit de sa marche, ses pas l’emportant vers le sud-est. Soldé par un aboiement final… Car le chevreuil aboie. Au moment où nous reprenons la route, le sous-bois a disparu dans le noir. La bécasse a fait un second passage, mais pas de troisième. D’autres parcelles propices à l’espèce nous attendent plus loin.
Tout à coup, un mouvement sur notre droite.
Des pas – légers –, longs. On les sent appartenir à un animal svelte. Elégant. A la démarche aérienne. Nous soupçonnons le chevreuil aperçu brièvement de traîner encore dans le secteur… Deux lampes torches ont été allumées pour éviter les flaques de boues qui maculent le chemin. L’endroit est humide et la fraîcheur de l’air s’intensifie. Une ornière plus profonde que les autres retient encore l’eau des dernières pluies. Sur le fond vaseux, de nombreux amphibiens apparaissent dans le faisceau des lampes. Des Tritons palmés. Une bonne vingtaine. Quelques adultes de sept bons centimètres de long, mais surtout des jeunes et des larves avec leurs branchies externes sur les tempes.
Nous en trouverons dans toutes les ornières encore en eau. Les fossés, plus profonds et emplis des feuilles mortes de l’automne dernier offrent trop de cachettes pour espérer observer les tritons qui s’y trouvent certainement. Une autre Bécasse traverse le ciel en croulant. Mais la nuit est maintenant trop avancée. Nous nous contentons du son – sans l’image. De même pour le hululement qui s’élève juste après. La Chouette hulotte nous salue d’une courte sérénade.
En levant la tête, la lune est toujours là. Son fin croissant brille. Mais le reste du disque lunaire apparaît grisâtre et contraste faiblement avec le ciel d’encre : le phénomène de « lumière cendrée ». Lorsqu’elle est proche de l’axe Terre-Soleil – un peu avant et un peu après la nouvelle lune –, le disque lunaire est faiblement éclairé par la lumière du soleil réfléchie par la Terre. Cette lumière cendrée résulte d’un jeu de ricochets improbables emportant la lumière du Soleil vers la Terre, puis vers la Lune pour finalement revenir très atténuée vers la Terre. Sous son disque brille Aldébaran – la orange –, l’étoile la plus brillante de la constellation du Taureau. Et à sa droite, Mars. Un beau triangle mettant en scène un satellite, une étoile et une planète.
Orion – elle – règne sur la voûte céleste. Son splendide sablier occupe tout un pan de l’horizon sud-ouest. La nuit maintenant bien installée nous offre un magnifique spectacle. Une immensité inconcevable nous invitant à l’humilité.
Dans le dernier fossé inondé avant de rejoindre les véhicules, nous découvrons une grosse larve de libellule. Une anisoptère probablement de la famille des aeschnidés. La Grande Ourse est sortie de la couche de crasse qui la masquait jusque-là. Un au-revoir sur lequel le groupe se disperse. Une très agréable soirée avec de belles observations. Qu’elles soient visuelles ou sonores, vespérales ou crépusculaires, ornithologiques ou astronomiques…
Nous reviendrons !
Liste des espèces
Oiseaux :
Canard colvert, Buse variable, Faisan de Colchide, Bécasse des bois, Pigeon ramier, Pie bavarde, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange nonnette, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Grive musicienne, Fauvette à tête noire, Pouillot fitis, Pouillot véloce, Roitelet huppé, Bergeronnette grise, Grosbec casse-noyaux, Verdier d'Europe, Linotte mélodieuse, Bouvreuil pivoine, Pinson des arbres
Mammifères :
Chevreuil
Amphibiens :
Triton palmé