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28 avril 2019
La Chine à l'honneur...
Une matinée bien fraîche…
Il est 9h passé de quelques minutes. L’ambiance est pour le moins austère. A peine +6°c au thermomètre. Un ciel de plomb. Un vent modéré emportant vers l’horizon des nuées houleuses, agitant l’air et fouettant nos visages rougis.
Les oiseaux chantent pourtant. Concert matinal où toutes les voix se mêlent, tentent de couvrir les autres, de se faire entendre. Pas évident au début de bien les distinguer les unes des autres. Nous commençons donc par les plus communes. Par les oiseaux qu’on rencontre partout au presque. Le Pinson des arbres à mi-hauteur dans un grand chêne. Une Mésange charbonnière dans une haie. Un Merle noir en lisière des habitations. Un Pouillot véloce et son célèbre « chiff-chaff »… Chacun engrange ce savoir tout neuf dans un coin de sa mémoire.
Mais pas d’inquiétude : il y aura de nombreuses occasions le long du parcours de réécouter toutes ces espèces.
Sur le chemin en direction de la forêt, une petite bruine s’abat sur nos têtes. Atmosphère britannique. L’ondée est heureusement de courte durée mais la brise cingle. Aux pieds de quelques trembles, en bordure d’une parcelle agricole, quelques dizaines d’orchidées sont en fleur. Une couleur violacée pour une vingtaine de centimètres de haut. Des Orchis mâles (Orchis mascula dans la langue de Sénèque) : nos premières orchidées de l’année 2019. D’autres fleurs sont là pour nous certifier que le printemps est installé malgré la météo automnale. Quelques Ficaires. Des Anémones des bois, des Arums, des Bugles rampantes…
Et le jaune étincelant du colza qui nous accompagne jusqu’à la lisière.
Le vent qui s’épuise sur les arbres de lisière pénètre peu en sous-bois. Pénétrer en forêt est un réel soulagement pour tous ceux dépourvus d’origine bretonne ou normande. Les houppiers ondulent et bruissent au souffle d’Eole. D’autres espèces d’oiseaux donnent de la voix. Une Fauvette des jardins dans un épais roncier. Un Pipit des arbres dans une belle futaie claire. Et le Coucou gris qui permet à tout le monde d’identifier un oiseau universellement connu.
Alors que nous approchons du premier gros chêne remarquable, un mâle de Faisan vénéré coupe un layon de la forêt. L’oiseau erre entre les arbres et picore le sol à la recherche des graines et fruits (glands) dont il se nourrit. Originaire des forêts tempérées de la Chine, l’espèce est régulièrement introduite à des fins cynégétiques. Il se reproduit peu en forêt de Rambouillet et la majorité des oiseaux rencontrés sont issus d’élevage et de lâchers périodiques. L’oiseau devant nous affiche d’ailleurs à notre égard une grande confiance. Confiance que d’aucuns jugeront exagérée : son espérance de vie n’excédera sans doute pas la semaine d’ouverture de la chasse. Pour le moment l’oiseau vit sa vie, vient vers nous sans peur et nous permet de prendre de belles photos.
L’observation est magnifique : un oiseau de toute beauté dans un plumage mordoré.
Le chêne Géneau, bien visible en hiver, est aujourd’hui masqué par le feuillage des arbres autour de lui. Seule la base de son tronc massif apparaît dans une trouée. En nous approchant, ses branches énormes émergent de la végétation. Immense, colossal, l’arbre domine tous les autres. Son houppier dépasse probablement ceux de ses voisins de plusieurs mètres. Plus exposé, son feuillage est donc moins avancé. Ses feuilles sortent à peine de l’écrin poisseux des bourgeons. Les plus grandes – à peine formées - mesurent quelques centimètres de long. Les autres chênes plus petits, les charmes et les hêtres du sous-bois sont eux bien en feuilles. Des feuilles tendres, gorgées d’humidité, aux mille nuances de vert.
Tout le long de notre parcours, le vert déborde. Des cataractes de feuilles s’épanouissant à la lumière – bien terne ce matin.
Un véritable jardin d’Eden.
Entre deux et quatre mètres de hauteur – parfois un peu plus haut, un Pouillot siffleur jette ses trilles à terre. Des cascades de notes qui débutent lentement pour s’accélérer en approchant du sol. Entrecoupées de phrases sifflées qui lui ont valu son nom. Un oiseau souvent confiant. Curieux. Qui – si on l’observe dans le calme – vient chanter autour de nous. Sur une branche ici, sur une branche là. Volant brièvement de l’une à l’autre.
Aux environs de midi, alors que nos estomacs se rappellent déjà à notre bon souvenir, un chêne titanesque se dresse tout à coup devant nous. Un fut haut de six ou sept mètres et qui explose brutalement en une forêt de branches toutes aussi épaisses que des arbres. Un « arbre monde » comme le publie Richard Powers. Le chêne de l’Ascension, s’il n’est pas le plus vieil arbre du massif forestier, est sans doute l’un des plus impressionnants.
La pause déjeuner approche. Ce n’est plus qu’une question d’hectomètres. Un chemin sableux serpente le long d’un ru. Sur la pente au-dessus de nous, un chant magnifique retentit alors que nous ne l’attendions pas. Pourtant le biotope aurait pu nous y préparer. Une futaie claire, mixte, mêlée de grands chênes et de quelques Pins sylvestres. Alors que le soleil tente une bien timide percée, un Rougequeue à front blanc sort de son silence et s’éveille à notre passage. Dans le bouquet de bouleaux sur notre gauche, un autre oiseau coloré s’anime lui aussi. Une note unique, douce et flûtée. Puis une autre identique. Et une autre encore. Espacées de quelques secondes. Un Bouvreuil pivoine. Et alors que la brève éclaircie se referme déjà, la première Tourterelle des bois du printemps égraine à son tour un roucoulement impossible à confondre.
Une après-midi à peine moins froide…
Notre déjeuner est pris dans un cadre idyllique. Au bord d’un bel étang, surplombé de grands arbres. Toute l’ombre dont nous aurions rêvé s’il avait régné un chaud soleil. Mais le vent chahute toujours les nuages aux cinquante nuances de gris. L’eau de l’étang est secouée, ridée. Seuls quelques rares oiseaux sont encore actifs. Un Pinson des arbres à gauche. Un Pouillot véloce à droite. C’est l’occasion de les réécouter seuls, sans le brouhaha de la matinée. De nous les remettre en tête.
L’ambiance du pique-nique est franchement amicale. Mais nous ne nous attardons pourtant pas au bord de l’eau. Le froid humide nous transperce maintenant que nous demeurons immobiles.
La marche reprend. Les muscles se réchauffent et diffusent une douce température à l’ensemble de nos organismes. Une côte assez raide achève de nous rendre à tous nos couleurs. Les anoraks s’ouvrent, les cœurs s’accélèrent. Le chemin s’enfonce toujours plus profondément dans un écrin luxuriant de verdure. Partout, l’herbe est grasse des pluies de la semaine. Au centre d’un vaste carrefour, la table du roi nous reçoit pour quelques minutes d’arrêt. Bâtie en 1788, elle recevait Louis XVI au cours de ses parties de chasse. Arrivant en carrosse de son coquet home sweet home versaillais, Sa Majesté descendait de voiture sans doute fourbu par quarante kilomètres de cahots, s’essayait à sa table et se préparait à la chasse. Au retour, il y ôtait ses bottes et prenait sans doute une collation avant de rentrer retrouver au logis sa reine qui l’attendait avec quelques agapes revigorantes : « Salut Louis. La chasse a été bonne ? Tiens, goûte ces petits fours : une tuerie. Si je m’écoutais j’en perdrais la tête ! »
Dans cette partie de la forêt s’élèvent des hêtres majestueux. Trois ou quatre mètres de circonférence. Des fûts droits comme des « i ». Un port altier, royal. Végétation particulièrement verte dans tout ce secteur. Des feuilles déjà grandes à toutes les branches. La lumière déjà basse diminue encore, happée par les milliards de cellules photosynthétiques tournant à plein régime. Entre les branches, un Ecureuil roux se faufile et grimpe hors de vue.
Nouveau carrefour. Six routes s’en échappent en étoile. Une pénombre douce recouvre les lieux. Quatre grands arbres à l’écorces noueuses, musculeuses toisent notre petit groupe. Des charmes. Parmi les plus gros de la forêt. Des troncs épais. Des ramures fournies. Quatre vénérables ancêtres qui auraient beaucoup à nous dire s’ils pouvaient nous parler. A leur côté un hêtre immense les regarde de haut. Pas loin de trente mètres du sol à la cime et 4.5 de circonférence. Le plus grand spécimen du secteur. A son pied, nos petites tailles semblent insignifiantes. Des lilliputiens se tordant le cou pour contempler Gulliver. Non loin de là un miroitement attire notre regard. Une très belle mare s’épanouit dans un puits de lumière. Rives touffues. Et sur l’eau cinq magnifiques canards. De petite taille. Tête bigarrée, barrée d’un épais sourcil blanc. Des arlequins au milieu d’un carnaval chatoyant. En alerte, les Canards mandarins nous surveillent. Nous les observons de loin. Sans un mouvement. Sans un bruit. Très farouches, les oiseaux ne se calment pas complètement. L’un d’eux décolle, titillant encore la nervosité des autres. Tous finiront par prendre la tangente. L’espèce, originaire d’extrême orient, a été introduite dans la région durant les années 1990. Un couple détenu par des particuliers a donné chaque année naissance à des canetons qui se sont égayés dans toutes les directions. Aujourd’hui, les Canards mandarins nichent sur plusieurs mares forestières.
Une bien belle rencontre. Aujourd’hui, la Chine est à l’honneur !
Le dernier arbre remarquable de notre périple n’est pas le moindre : le chêne Baudet, le doyen du massif. Son âge est aujourd’hui estimé à cinquante-trois décennies. Un arbre contemporain de François Ier. Adolescent lorsque le roi ramène Léonard de sa campagne d’Italie et installe confortablement l’inventeur de génie au Clos Lucé. Qui a pleuré le coup de poignard de Ravaillac. Vécu la fronde. Et déjà vieux de trois-cents ans lorsque la place de la Bastille s’embrase.
Vertigineux !
Aujourd’hui l’arbre est mourant. L’ONF considère que seul un miracle le tient encore debout et l’a enfermé à l’intérieur d’un périmètre interdit aux promeneurs que nous sommes. Un grillage en empêche l’accès. Et pourtant il résiste encore et toujours. Le vent d’aujourd’hui – certes modeste – ne paraît pas le malmener outre mesure. Vaillant, l’arbre fait front. Pourtant, l’issue est inéluctable. Comme nous l’avons vu une heure plus tôt, l’arbre connaitra la même fin que celle du chêne Frisé – aujourd’hui à terre.
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.
Dans la parcelle au pied du chêne, alors qu’une lumière magnifique se fraye l’espace d’un instant un passage entre les nuages, une vibration emplit l’air. Un son d’une régularité monotone. Semblant sans fin. La Locustelle tachetée – un oiseau revenu d’Afrique durant la première quinzaine d’avril – teste les environs. Une femelle dans les parages ? Un autre mâle à convaincre de passer son chemin ? Le chant décroît derrière nous. Notre odyssée tire à sa fin. Nous ne croisons nulle sirène. Circé et Polyphème demeurent cachés. Nous avons bien croisé un lion et un ours blanc. Un panneau nous a invités à la plus grande prudence en raison de la traversée inopinée de caïmans… Notre retour se fait toutefois sans embûche.
Une magnifique sortie. Avec un groupe aussi chaleureux que le fond de l’air a été froid – et ce n’est rien de le dire ! Une forêt débordant de vie que le printemps et les averses de la semaine ont transformée en paradis de verdure. Les cuisses tirent bien un peu mais la balade valait amplement l’effort.
Liste des espèces
Oiseaux :
Bernache du Canada, Canard colvert, Canard mandarin, Buse variable, Faisan de Colchide, Faisan vénéré, Pigeon ramier, Tourterelle turque, Tourterelle des bois, Coucou gris, Chouette hulotte, Pic vert, Pic noir, Pic épeiche, Pic mar, Pic épeichette, Alouette des champs, Corneille noire, Pie bavarde, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Rougequeue à front blanc, Merle noir, Grive musicienne, Grive draine, Locustelle tachetée, Fauvette à tête noire, Fauvette des jardins, Fauvette grisette, Pouillot fitis, Pouillot véloce, Pouillot siffleur, Roitelet huppé, Roitelet à triple bandeau, Gobemouche gris, Pipit des arbres, Étourneau sansonnet, Grosbec casse-noyaux, Verdier d'Europe, Bouvreuil pivoine, Pinson des arbres
Mammifères :
Ecureuil roux