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3 mars 2019

A l'approche de l'équinoxe...

La couleur du ciel…

 

La question nous occupe sans pour autant nous tourmenter à l’excès. Le printemps ensoleillé des trois dernières semaines a vécu. Retour à des conditions météorologiques plus en adéquation avec le calendrier. Les nuées grises cimentent le plafond. Une brise fraîche souffle du sud-ouest. Et agite les houppiers.

 

Mais le temps reste sec.

 

Les passereaux chantent à tue-tête. Nous les écoutons, tentant de les identifier en attendant que le groupe soit au complet. Le rire tonitruant du Pic vert. Le motif sur deux notes répétées de la Mésange charbonnière. La plainte mélancolique du Rougegorge familier. Le chant ténu du Roitelet à triple bandeau. La mélopée du Merle noir. Les riches vocalises de la Grive musicienne. Ou les sifflements du Grosbec casse-noyaux. Les voix se mêlent, s’emmêlent et le premier exercice consiste à les séparer pour les écouter individuellement.

 

Pas simple. La pratique manque…

 

Une belle allée bordée de platanes et de chênes traverse la plaine de Montfort. Les Alouettes des champs s’époumonent, chantant au vol une vingtaine de mètres au-dessus de nos têtes. Des Corneilles noires – qu’il ne faut pas confondre avec le rare Corbeau freux – musardent dans les blés d’hiver à la recherche d’un casse-croûte à se jeter dans le gosier.

 

Puis nous franchissons la lisière. Pénétrant en forêt. A gauche, une parcelle dans laquelle ne subsistent que les semenciers – ces grands chênes conservés pour la régénération naturelle. Le sous-bois, lui, a été coupé pour fournir du bois de chauffe ou de la pâte à papier. A droite, situation opposée. Les grands arbres ont disparus. Coupés pour alimenter l’ébénisterie. Exportés massivement vers la Chine pour revenir en Europe sous la forme de meubles ou de planches. La régénération naturelle a eu lieu : un taillis haut de trois ou quatre mètres couvre densément le sol forestier.

 

La lumière – faible – crée une atmosphère austère. Les troncs gris des arbres nus s’harmonisent avec le plomb du ciel. Pas de quoi dissuader les Pics épeiches et Pics mars de s’activer. Nombreux cris d’oiseaux dans les hautes branches. Poursuites entre rivaux. Entre voisins aux frontières encore mal établies. Ca chante, ça crie, ça râle. Ca se dispute. Et au final, ça courtise.

 

Spring is coming !

 

Le chant dissyllabique du Pouillot véloce retentit tout à coup. L’espèce est de retour après un hiver dans les contrées plus clémentes du sud de la France et de la façade atlantique. Un chant impossible à confondre imitant les « clips » et les « claps » des deniers d’or et d’argent qu’un usurier revêche empile dans le secret d’une alcôve mal éclairée.

 

Le premier grand arbre se dessine bientôt. Une masse impressionnante de bois sombre qui s’impose au centre d’une parcelle de gringalets. Un magnifique chêne de 1,70 mètres de diamètre. Une écorce profondément veinée. Et des branches épaisses comme des arbres. Des feuilles pédonculées. Le chêne Géneau – tel est son nom – est un Chêne sessile. Dans sa ramure, une volée de Grives mauvis s’est arrêtée. Halte migratoire d’oiseaux sur la route du nord. Hommage d’une visite au vénérable aïeul. De longs « siii » stridents déchirent l’air, emportés au loin par le vent qui forcit. Déjà les oiseaux s’envolent, poussés à leur tour par la bourrasque suivante.

 

Le groupe poursuit son petit bonhomme de chemin. Salue au passage le chêne Salvat puis le chêne Lécuyer.  Deux ancêtres vieux de quelques siècles. Ayant davantage connu la royauté que la république. Lorsque l’un des plus grands arbres du massif se détache sur le ciel. Un fût droit comme un « I », épais comme une colonne du temple de Karnak. Prolongé par une profusion de branches explosant en toutes les directions. Humble, la forêt s’est écartée. Aucun arbre – fut-il rachitique – ne pousse à moins de trente pas de lui. Une clairière en hiver. Une tonnelle abondamment ombragée en été. Un trou de pic s’ouvre sur une branche basse. Pinsons des arbres et mésanges de diverses espèces parcourent l’écheveau des ramifications. Une Sittelle torchepot, les ongles plantés dans le bois, descend le long de l’écorce la tête en bas. Le chêne de l’Ascension est un monde à lui tout seul.

 

Les joues d’Eole se gonflent…

 

Après un déjeuner au bord de l’eau, sur la rive nord d’un petit étang forestier, notre groupe repart pour la seconde partie de la sortie. Pente très humide le long de laquelle la pluie des derniers jours ruisselle encore. Boue nous obligeant à zigzaguer. Dans la terre détrempée, des empreintes trahissent le passage de quelques sangliers. Sabots largement fendus. Suivis de deux gardes – deux ongles – quelques centimètres en arrière.

 

Les bouleaux – au format d’allumettes – dansent au vent. Leurs fins rameaux ondulent. Imitent les vagues en provenance du large et progressant vers la grève. Les oiseaux se taisent. Les insectes sortis la semaine passée se sont prudemment réfugiés au cœur de la végétation. Et s’y terrent dans l’attente de jours meilleurs. Le groupe progresse en file indienne sur l’étroit sentier. Regagne la grande futaie de chênes. Et atteint un vaste carrefour. Au centre, une table ronde en pierre cernée de bancs.

 

La table du roy – et je conserve à dessein l’orthographe originelle, surannée mais pleine du charme de l’ancien –, la table du roy, donc, sert à Louis XVI lorsqu’il arrive de Versailles chasser en forêt de Rambouillet. Sa Majesté descend de son carrosse doré. Foule l’herbe grasse pour poser son auguste derrière sur la pierre du banc. Un laquais lui apporte probablement une paire de bottes tandis qu’un lad patiente au côté du cheval royal, une main tenant les rênes, l’autre sur le chanfrein pour l’apaiser. A la fin de la chasse, on imagine la scène inverse agrémentée d’un repas arrosé d’un grand cru servi dans des coupes d’argent. Puis un intentant se glisse discrètement derrière le roi et lui glisse respectueusement à l’oreille que Marie-Antoinette allait encore râler si les agapes royales se poursuivent plus que de raison. Louis XVI rappelle que la reine reçoit au Petit Trianon et n’a cure de son absence mais remonte pourtant en voiture la tête déjà pleine de la prochaine chasse. Et de jeter au cocher un prophétique « Prenez le chemin des écoliers, je n’aime pas les raccourcis ! » Nous nous installons nous aussi autour de la table. Pour boire un coup. Grignoter un morceau. Et pour le plaisir de nous trouver ensemble à bavarder. Minutes de paix, de sérénité que l’on goûte avidement.

 

A tel point que nous pourrions aisément nous y attarder.

 

Mais nous choisissons de poursuivre notre quête des arbres remarquables. Des hêtres d’abord. Qui ne bénéficient d’aucun classement particulier mais qui n’impressionnent pas moins le randonneur passant à leur pied. Après le chêne de Bazoches et ses 4.50 mètres de circonférence, nous partons en hors-piste. Quittant le chemin pour nous enfoncer au cœur d’une parcelle. Slalomant entre les arbres. Enjambant quelques ronces. Le sol est moelleux des litières successives, empilées automne après automne. Les feuilles de l’an dernier flétrissent les unes sur les autres. La microfaune du sol s’en nourrit, les dégrade, les fragmente. Et crée un sol riche et aéré que les terres agricoles ont perdu à la suite des dernières décennies de culture intensive et de traitements phytosanitaires aussi divers que nombreux.

 

L’un des géants repose à terre. Effondré sur le sol forestier. Probablement couché là par une ultime bourrasque – celle de trop. Après des siècles debout, ce chêne immense a brusquement terminé sa vie et repose désormais dans un linceul de jeunes premiers hauts de quatre mètres à peine. Dans le puits de lumière ainsi créé, des espèces de lisière apparaissent. Quelques Sureaux noirs, des bouquets de Primevères acaules. Des touffes de Ficaires qui ne tarderont plus à fleurir.

 

Parvenus au carrefour de la Mare Ronde, le plus grand hêtre de la forêt s’élève, colossal, au-dessus de tous les autres arbres. Sa silhouette massive nous écrase un peu. Dans quelques semaines, les feuillages le masqueront en grande partie. Les deux grands charmes à l’écorce noueuse, musculeuse figurent eux aussi parmi les plus beaux arbres du massif.

 

Le dernier arbre de notre liste est aussi le plus vieux. L’âge du chêne Baudet est estimé à plus de 500 ans. Il meure lentement de vieillesse au bord d’un chemin sur lequel il a pu contempler le passage de rois éphémères tels que Charles VIII, Louis XII ou François Ier. Un arbre encore en culotte courte lorsque le monde vibre de la découverte de Christophe Colomb. Le témoin des guerres de religions qui ensanglantent le XVIe siècle. Pleure avec Barthélémy les huguenots assassinés. Et qui a déjà vécu plus de la moitié de sa vie lorsque Robespierre s’amuse à étêter son prochain avec son nouveau jouet.

 

De quoi donner le vertige…

                               

Tandis qu’une Grive musicienne pousse la chansonnette, une ornière inondée est inspectée. Des pontes de Grenouilles agiles flottent entre deux eaux. A l’intérieur des œufs, des embryons à des stades différents se développent. Des points noirs minuscules ou au contraire des larves presque formées. Des têtards nagent sur le fond. Déjà âgés, munis de pattes : des Grenouilles rousses vraisemblablement. Une espèce plus précoce que la première. Ayant l’habitude de pondre dans l’eau encore gelée de décembre et de janvier. Nous observons un Triton palmé, long d’environ six centimètres.

 

Au-dessus de nos têtes, les nuées s’assombrissent encore. L’anthracite s’ajoute au zinc et à l’étain. Les houppiers ploient sous les rafales. Le vent mugit. Nos chances d’achever la sortie au sec s’amenuisent à chaque minute… Nous regardons les nuages rouler à toute allure en direction du nord-est alors qu’au sol, l’air demeure parfaitement immobile. La pénombre grandit quand les premières gouttes viennent s’écraser sur nos épaules. Une pluie modérée et au final de courte durée. Une première giboulée illustrant la résistance acharnée de l’hiver face aux assauts du printemps.

 

En vue des véhicules, une touffe de jonquilles tâche le sous-bois de son jaune d’or. Des Perce-neige fleurissent encore alors que d’autres bouquets montent déjà en graines. L’Ours blanc local nous regarde passer depuis son île. Il est un peu plus de 17h00. La balade s’achève dans la bonne humeur qui nous a accompagnés  tout au long de notre marche. Merci à toutes et à tous pour votre participation et d’avoir fait de cette journée une réelle réussite.

 

Liste des espèces

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Oiseaux :

Héron cendré, Bernache du Canada, Canard colvert, Buse variable, Faisan de Colchide, Pigeon ramier, Pic vert, Pic épeiche, Pic mar, Alouette des champs, Corneille noire, Pie bavarde, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Grive mauvis, Grive musicienne, Grive draine, Pouillot véloce, Roitelet à triple bandeau, Étourneau sansonnet, Grosbec casse-noyaux, Bouvreuil pivoine, Pinson des arbres

 

Amphibiens :

Grenouille rousse, Grenouille agile, Triton palmé

 

Mammifères :

Cerf élaphe (traces), Chevreuil européen (traces), Sanglier (traces)

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En vidéo, le chant de la Grive musicienne... qui porte décidément bien son nom !

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