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17 mars 2019

Vous avez dit « contraste » ?

Les feuillus…

Le bleu est à l’honneur ce matin. La météo avait prévu un temps exécrable et pourtant ce matin le soleil domine. Apparu au-dessus de la forêt, l’astre du jour répand ses rayons sans compter. Même s’ils ne chauffent pas encore, ils nous réjouissent, nous rassurent quant à cette journée que nous avons craint tomber à l’eau – au sens propre comme au figuré.

 

Ne pas crier victoire trop tôt. On peut encore s’en prendre une sur le coin de la tête…

 

Le groupe se met en marche et quitte la belle clairière bocagère de Gambaiseuil pour entrer en forêt. La végétation est encore humide des précipitations de la nuit. Des gouttes perlent encore aux branches et l’herbe du chemin étincelle dans la lumière crue du contre-jour. Les oiseaux chantent de tout côté. Mêlent leurs voix en un concert polyphonique. Le Verdier d’Europe chante au vol au-dessus de son territoire. Les Mésanges bleues et charbonnières préfèrent un poste fixe. Mais quadrillent leur petit monde, reconduisent les intrus aux frontières. L’Accenteur mouchet entonne sa strophe flûtée. Celle tonitruante du Troglodyte mignon retentit à son tour.

 

Lorsqu’un cri de cochon retentit. Incongru quand tel cri tombe du haut d’un grand chêne au milieu du village. Peu de chance qu’un porc atteigne les hautes branches du houppier, même si celles-ci supporteraient allègrement le poids de la charcuterie. Non ! Ce chant est celui du Pic mar. Un bel oiseau bigarré de blanc et de noir, souligné d’une calotte rouge vif. Un chant identifiable entre mille. Malheureusement l’animal reste invisible dans l’écheveau de branches.

 

A peine entré en sous-bois, un autre cri typique retentit. En provenance d’une très belle mare en contre-bas. Une femelle de Canard mandarin. Espèce d’Asie orientale introduit en forêt de Rambouillet au début des années 1990. Un couple d’oiseaux d’ornement présent sur une propriété privée a donné chaque année naissance à des canetons qui se sont ensuite dispersés aux quatre vents. Nous découvrons l’individu. En alerte sur l’eau. Le plumage grisâtre indique une femelle. Très farouche, madame décolle et pose sur la branche horizontale d’un chêne à quatre ou cinq mètres de hauteur. Après le cochon, voici le canard arboricole. Sauf que cette fois, ce comportement est connu chez cette espèce. Le Canard mandarin a l’habitude de nicher dans un arbre creux (un ancien trou de pic par exemple), à une hauteur pouvant varier de 60 centimètres à plus de 10 mètres.

 

Le ciel devient laiteux. Les bleus pâlissent. La brise apporte des filaments blanchâtres qui se tissent les uns aux autres. La météo se charge, la lumière baisse. Nous avons bien fait de ne pas trop pavoiser. Le Hêtre des Ponts-Quentin, premier arbre remarquable de notre parcours se dresse à la jonction de deux sentiers. Tel un poteau indicateur, il étale ses branches à la manière d’une rose des vents. Gambaiseuil à l’ouest, Saint-Léger-en-Yvelines à l’est. Grosrouvre au nord. Un tronc massif, de près d’1,50 mètres de diamètre. A l’écorce grise et lisse. Un arbre au port tourmenté, mais majestueux. Un arbre magnifique.

 

L’averse nous rattrape à mi-pente sous le plateau. Une pluie fine et de courte durée. A peine le temps de sortir les capes de pluie des sacs à dos. Mais la luminosité souffre de l’épisode. La forêt sombre dans une grisaille morne. Plafond bas que les plus hautes branches griffent. Une seconde douche – plus importante – s’avère nécessaire pour laver le ciel. Les nébulosités ensuite se déchirent à nouveau. Le ciel bleu gagne à nouveau du terrain. Le soleil se joue des cumulus pour jeter au sol ses doux rayons. Le temps s’améliore franchement. A tel point que nos yeux guettent les premiers papillons de la journée – on est comme ça : optimistes jusqu’au bout des ongles.

 

Le Pin Girafe apparaît sur les coups de midi. Un arbre singulier, à deux pieds – donc deux arbres originels. Mais soudés en un seul tronc au-dessus de deux mètres de haut. Quel événement a pu engendrer une telle curiosité ? On suppose une facétie humaine. Une contrainte imposée jadis à deux arbres distincts ayant finalement fusionné.

 

La poursuite de la balade passe par un secteur… humide. On jette un coup d’œil à nos chaussures. « Elles sont imperméables ? » Normalement oui. C’est ce qu’il y avait d’écrit sur l’étiquette. « Et vous avez eu l’occasion de vérifier ? » Pas vraiment…

 

Un challenge !

 

Impossible de manquer une telle occasion d’éprouver les tests constructeurs. Une sorte de crash test. Ça passe ou ça traverse. Nous serons rapidement fixés. Le suspens ne nous tiendra pas éveillés jusqu’au milieu de la nuit comme c’est parfois le cas avec un bon bouquin. Nous nous engageons sur le nouveau chemin. Quelques flaques. De l’eau dans le fossé. Rien de bien méchant. La forêt de Rambouillet est humide, nous avons l’habitude. Mais bientôt, des touffes de joncs apparaissent. Puis une roselière. Le chemin se transforme brutalement. Le bourbier ne nous dit rien qui vaille. Poser le pied sur les touffes de végétation. Un pas de côté et c’est la gadoue jusqu’au mollet. L’eau ruisselle de partout. Le chemin n’existe plus. Les meilleurs passages sont les coulées des animaux. De nombreuses traces marquent le sol. Biches et sangliers pour la plupart. Les mammifères nous épient probablement en cet instant. A couvert dans ce marais difficile d’accès. Les chaussures s’enfoncent fréquemment mais tiennent le coup. La progression est lente. Le groupe franchit la difficulté et est heureux de constater que les étiquettes n’exagéraient pas.

 

Note n°1 pour l’organisation : envisager un autre itinéraire si les pluies se poursuivent dans les semaines à venir…

 

Les conifères…

 

Le terrain s’améliore. Nous retrouvons des pentes de bruyère, un sol bien drainé. Le sable colle à nos souliers trempés. S’agglutine. Absorbe l’humidité. Un grand chêne s’élève bientôt devant nous. Semble nous féliciter d’être parvenus jusqu’à lui. Un mètre de couturière en main, nous mesurons sa circonférence à 4,35 mètres. Des branches grosses comme des arbres. Pas un gringalet.

 

Le soleil devient généreux. De belles lumières dessinent les troncs. Saturent les fougères de roux. De beaux nuages allant du blanc à l’anthracite glissent dans le bleu du ciel. Les houx aux feuilles vernissées luisent, réfléchissent les rayons tels des centaines de petits miroirs. Les jambes – un peu lourdes – ralentissent le rythme dans la pente suivante. Car la forêt de Rambouillet n’a rien d’un plateau monotone. Et la parcourir est la meilleure façon de s’en convaincre. Chacun gère la côte les yeux au sol, concentré sur sa respiration. Et apprécie encore davantage l’arbre trônant au sommet. Un chêne magnifique au milieu des Pins sylvestres. Un chêne de belle taille mais loin de concurrencer le géant précédent. Un chêne couvert de mousse. Sur son tronc mais aussi sur l’ensemble de ses branches. Un arbre entièrement vert, doté – assurément – de pouvoirs magiques. Brocéliande et ses farfadets : Merlin hante les lieux. Et cette lumière qui paraît provenir de l’arbre ne révèle-t-elle pas que les légendes disent vrai ?

 

La question reste en suspens mais mériterait que nous revenions en catimini au crépuscule observer cette aura mystérieuse. Nous qui cherchions des licornes au cours d’une précédente sortie… Nous devrions revenir explorer ces lieux et goûter la sérénité qui en émane.

 

Seulement la sérénité ne nourrit pas. Le clocher de Gambaiseuil vient de sonner treize coups et nos estomacs trouvent le temps long. Un banc opportun nous reçoit pour un pique-nique fort agréable. Pas un bruit d’origine humaine. Pas un cri. Pas un avion. La rumeur de la route s’est tue elle aussi. La Mésange noire – peu commune en forêt de Rambouillet – chante depuis les grands pins derrière nous. Mésanges huppés, Mésanges bleues et Mésanges charbonnières furètent dans les branches, passent d’un arbre à l’autre d’un coup d’ailes. Le Pouillot véloce égraine ses deux notes, « chip-chap chip-chap chip-chap… » Un compteur d’écus. Un usurier empilant ses pièces d’or dans la pénombre d’une alcôve. La mélopée du Rougegorge familier pleure la grande parcelle dépouillée de ses arbres. Les bûcherons, à l’œuvre tout l’hiver ont achevé de couper les derniers chênes encore debout. Plus un arbre de plus de deux mètres n’est debout sur une surface de huit ou neuf hectares. Le long du chemin, un tas de bûches destinées au bois de chauffage.

 

Moche !

 

Mais la forêt possède une immense capacité à cicatriser ses plaies. Bientôt, les fougères viendront masquer les traces du passage des engins de débardage. Les bruyères vont bénéficier d’une grande quantité de lumière. Et les espèces de milieux ouverts, de lisière vont coloniser ce nouvel espace.

 

Note n°2 pour l’organisation : penser à venir prospecter le secteur. Engoulevent d’Europe et Alouette lulu sont pressentis dans le quartier.

 

Sandwichs, salades, fruits… Et thermos de thé bien chaud. Malgré les calories absorbées, nos corps immobiles se refroidissent rapidement. Et l’horizon ouest se bouche de plus en plus. Des nuées sombres gagnent du terrain. Le groupe reprend son périple, sans illusion quant au grain qui s’annonce. La lumière chute brutalement. Tout comme la température. Nous perdons cinq ou six degrés en quelques minutes. La première goutte tombe… et rebondit sur le sol.

 

De la grêle !

 

Le ciel s’ouvre alors. Une giboulée de glace s’abat sur nos têtes. Les grêlons restent fort heureusement de taille réduite. Au sol, une danse anarchique est improvisée sous nos yeux. Les billes de glaces choquent le sol, repartent vers le haut, croisent d’autres grêlons en chute, chutent de nouveau pour enfin s’immobiliser. Comme une horde de criquets sauteurs recouvrant tout le sol. La forêt change de physionomie. Le soleil et la douceur printanière de la fin de matinée ont vécu. Le sous-bois blanchit et replonge au cœur de l’hiver. Les masses de glace n’en finissent plus de tomber, s’accumulent dans les replis de nos sac à dos, de nos vestes et croustillent sous nos pas.

 

Et un froid brutal – seulement 4°c au thermomètre.

 

Nos souffles chauds forment des volutes de buées dans l’air. Les fermetures éclairs de nos blousons sont remontées jusqu’en haut. Nos doigts rougissent, s’engourdissent et trouvent refuge au fond de nos poches. Le ciel s’éclaircit au couchant. La lumière revient peu à peu. L’averse ralentit. Et cesse tout à fait, aussi brusquement qu’elle s’est jetée sur nous.

 

Paysage comme saupoudré d’une fine couche de poudreuse. Le soleil reparaît. Mais plus personne n’attend les papillons espérés en matinée.

 

Le groupe regagne les véhicules. Mais ne se sépare pas pour autant. Car nous partons à la rencontre d’un des plus grands arbres du massif forestier. Un arbre qui surclasse tous ceux observés durant cette journée. Lorsque le grand chêne apparaît, l’émotion devient palpable. Une masse énorme. Un fut large, droit comme un « I », explosant à six ou sept de hauteur en une foison de branches. Aucun autre arbre dans un rayon d’une douzaine de mètres. Le grand chêne est seul au milieu de sa clairière. Les autres – des chênes d’Amérique – ne sont que des courtisans sans importance inclinés au pied du vénérable monarque. Près de 5,5 mètres de circonférence. Plus personne ne parle. Chacun de nous est seul avec lui.

 

Un monde à part entière !

 

La sortie s’achève sur ce tête-à-tête admiratif. Comme si nous venions de rendre visite à un grand homme honoré et respecté de tous. Le grand sage – bienveillant – vient d’apposer ses mains sur nous. Durant le retour, nous goûtons la quiétude, la paix de cette entrevue. Nous nous séparons heureux de cette balade. Heureux que de telles merveilles subsistent encore. Heureux à l’idée que nous les reverrons.

 

Liste des espèces

Oiseaux :

Canard mandarin, Buse variable, Pigeon ramier, Tourterelle turque, Martin-pêcheur d'Europe, Pic vert, Pic noir, Pic épeiche, Pic mar, Corneille noire, Pie bavarde, Geai des chênes, Mésange charbonnière, Mésange bleue, Mésange noire, Mésange huppée, Mésange nonnette, Mésange à longue queue, Sittelle torchepot, Grimpereau des jardins, Troglodyte mignon, Rougegorge familier, Merle noir, Grive musicienne, Grive draine, Pouillot véloce, Roitelet à triple bandeau, Accenteur mouchet, Pipit farlouse, Bergeronnette grise, Bergeronnette des ruisseaux, Moineau domestique, Grosbec casse-noyaux, Verdier d'Europe, Chardonneret élégant, Bouvreuil pivoine, Pinson des arbres, Bruant jaune

 

Mammifères :

Cerf élaphe (traces), Chevreuil européen (traces), Sanglier (traces)

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